L’Oriental a une mentalité concrète, rebelle aux abstractions de l’argumentation philosophique ; il aime les images, les comparaisons, tout ce qui met un peu de pittoresque dans le discours ; de là son goût pour le proverbe, qui exprime une vérité morale en faisant appel à l’imagination ; de là l’importance relative, dans la littérature d’Israël, des ouvrages du genre gnomique (de gnômè = sentence), représenté principalement par les livres canoniques des Proverbes et de l’Ecclésiaste, et les livres apocryphes de l’Ecclésiastique ou Siracide et de la Sapience.
Les proverbes hébreux sont l’expression rythmée de la sagesse populaire. L’homme est doué de jugement ; il observe ce qui se passe autour de lui, et il en tire instruction pour lui-même tout d’abord ; en outre, comme il fait partie d’une famille, d’une société, d’une nation, il éprouve le besoin de communiquer à d’autres le résultat de ses observations, encourageant ses contemporains, les mettant en garde, leur donnant une direction pratique. Si sa parole est sage, et surtout si, condensée, concrète, elle a revêtu une forme pittoresque et frappante, elle a des chances d’être répétée et de durer. Tel la redira à l’occasion, en lui donnant une forme encore plus captivante. Ainsi se créent les proverbes. Il arrive qu’on puisse retrouver les circonstances accidentelles qui les ont fait naître. Ainsi, quand on vit un jour le jeune Saül, ce fils de famille, se mêler aux exercices d’une troupe quelque peu exubérante de prophètes ambulants, quelqu’un s’écria : « Quoi ! Saül est-il aussi parmi les prophètes ? » et le mot resta (1 Samuel 10 : et suivant). En une autre occasion, c’est une énigme qui a subsisté : le propos de Samson, lors de ses noces (Juges 14.14), devint ainsi un des proverbes d’Israël.
Le passage de l’énigme au proverbe apparaît assez bien dans les paroles d’Agur (Proverbes 30.11 ; Proverbes 30.33). Les verset 11,14 renferment quatre énigmes dont la solution n’est pas donnée : les quatre fois, l’auteur pose un problème à ses auditeurs. Par contre, les V- 15, 18, 21, 24, 29 étaient à l’origine des questions, dont Agur a fourni les réponses : questions et réponses ont été rangées parmi les proverbes.
Étant donné leur origine, il serait bien superflu de chercher les auteurs de tant de maximes, dont quelques-unes furent purement occasionnelles. Cependant, deux classes d’écrivains contribuèrent spécialement à embellir ou à enrichir le trésor des proverbes hébreux. Les uns étaient des stylistes, aimant à polir d’anciens dictons et à leur donner un tour irréprochable. Ils taillaient patiemment des pierres précieuses à facettes. Tel est le rôle attribué par la tradition au roi Salomon, qui aurait composé trois mille proverbes à propos des arbres et des oiseaux, des reptiles et des poissons (1 Rois 4.32 et suivant). Les autres étaient des sages, ayant en vue surtout l’instruction morale du peuple. Leur ministère fut de tous les temps (Ésaïe 29.14), mais ils eurent un champ d’action plus vaste au retour de l’exil, après l’âge des prophètes. La loi était désormais fixée : on n’y pouvait rien ajouter, on n’y devait rien changer. Cependant on pouvait l’appliquer, présenter ses préceptes sous une forme nouvelle et populaire. Ces instructeurs transformaient l’or de la loi en menue monnaie. Ils donnaient des leçons de bon sens, de justice, d’équité, de droiture (Proverbes 1.3). Ces sages et leurs conseils sont cités à côté des prêtres qui veillent à l’exécution de la loi, et des prophètes qui manient la parole, dans Jérémie 18.18. Leur propos est fort bien décrit en conclusion du livre de l’Ecclésiaste (voir ce mot), ce « sage » qui a pesé et mis en ordre nombre de maximes, s’appliquant à rédiger des sentences agréables et vraies, pareilles à des aiguillons ou à des clous solidement plantés (Ecclésiaste 12.11-13).
Le proverbe n’a primitivement aucun rapport direct et nécessaire avec la poésie. Il veut atteindre la conscience, alors que la poésie touche les fibres délicates du cœur. Pour deux raisons, toutefois, le proverbe hébreu devait bientôt adopter la cadence de la poésie nationale (voir Poésie hébraïque).
La poésie cherche l’expression concrète, pittoresque, figurée. Les syllabes accentuées frappent agréablement l’oreille et aident la mémoire. Le proverbe ayant besoin, lui aussi, d’une forme sollicitant l’imagination et se fixant dans le souvenir, devait très naturellement être amené à emprunter la livrée de la poésie. En outre, le nom hébreu du proverbe est mâchal, ce qui signifie comparaison, ou encore parabole (voir ce mot). Or, la comparaison impliquant deux termes, le parallélisme des vers offrait juste le rythme qu’il fallait pour les proverbes.
On pourrait aisément grouper les proverbes en deux classes, suivant qu’ils font ressortir une ressemblance ou un contraste. Les uns, qu’on pourrait appeler des similitudes, attirent l’attention sur le rapport qu’il peut y avoir entre les divers actes de l’homme et les phénomènes de la nature et de la vie. C’est le cas de la majorité des sentences contenues dans Proverbes 25 à 27. Le second terme du parallélisme commence assez uniformément par le mot ainsi. « Comme de l’eau fraîche pour une personne fatiguée, — Ainsi est une bonne nouvelle venant d’une terre lointaine » (Proverbes 25.25, Segond). Les autres marquent une opposition, et le second terme commence par mais, « Le cheval est équipé pour le jour de la bataille, — Mais la délivrance appartient à l’Éternel » (Proverbes 21.31). Ces proverbes antithétiques sont fort nombreux.
La nation juive, très traditionaliste, avait le culte du passé. Les proverbes des anciens représentaient une sagesse qu’on ne mettait pas en question. Citer un proverbe à propos fermait la bouche à l’adversaire. Celui-ci n’avait plus qu’une ressource pour riposter : découvrir un autre proverbe exprimant le contraire du premier. La sagesse des proverbes ne faisant souvent apparaître qu’une moitié de vérité (comparez Proverbes 17.8 et Proverbes 6.35 ; Proverbes 26.4 et Proverbes 26.5), on avait quelque chance, avec un peu d’esprit de répartie, de trouver un autre proverbe à rétorquer. On a souvent critiqué, de nos jours, le caractère utilitaire des proverbes hébreux. Ils annoncent ici-bas une récompense matérielle à ceux qui les pratiquent, et certains puristes trouvent donc qu’ils manquent de sublimité morale. Il ne faut pourtant pas perdre de vue qu’ils mettent au-dessus des succès terrestres la crainte de l’Éternel, et que le bonheur qu’ils promettent dépend avant tout de l’obéissance à sa volonté. Bien souvent, l’idéal des prophètes dut paraître trop élevé au commun peuple : il était donc bon qu’il y eût parmi les livres sacrés des Hébreux une sorte de catéchisme populaire, renfermant des leçons morales simples et saines, parlant à la fois à l’imagination et à la conscience des plus humbles.
Les proverbes de l’Ancien Testament ont formé le caractère de nombre d’hommes distingués, et ceux qui se donnent la peine de les étudier y trouvent en grande abondance des directions pratiques, aussi utiles de nos jours qu’au temps du roi Salomon.
Pour le livre canonique des Proverbes, voir l’article suivant.
Jésus, qui connaissait si bien ceux auxquels il s’adressait (Jean 2.24 et suivant), et qui savait approprier sa parole aux besoins de ses auditeurs, ne dédaigna pas les proverbes, frappant lui-même à l’occasion des mots qui sont, maintenant encore, d’usage courant (Matthieu 6.34 ; Matthieu 12.30; Luc 16.10), ou empruntant des expressions proverbiales à la langue populaire. Ce n’est pas une entreprise vaine ni sans intérêt que de chercher l’origine de quelques-uns, tout au moins, des proverbes qu’on trouve dans ses discours.
Notre examen prouve que Jésus a souvent puisé au trésor de sa nation des proverbes qui contribuent au pittoresque de ses entretiens. S’il arrive que les expressions proverbiales dont il se sert aient leur équivalent dans la littérature grecque ou latine, il y a plutôt coïncidence que dérivation. Après tout, la race humaine est une, et les mêmes expériences fondamentales se sont faites, une fois ou l’autre, dans toutes les régions du monde. Il est donc naturel que les mêmes proverbes se retrouvent un peu partout, sous des formes qui peuvent varier. Toutefois, la culture des villes grecques en Palestine (Décapole) et le commerce qui mettait les Judéens en contact avec le monde païen peuvent avoir introduit des formes proverbiales de la Grèce jusque dans les milieux très fermés de la société juive. C’est ce qui pourrait expliquer les exemples 11 et 12.
Si les proverbes sont relativement fréquents dans les paroles de Jésus, ils apparaissent rarement dans les écrits de Paul. On en trouve pourtant quelques-uns, et ils sont d’origine grecque, ce dont on ne saurait s’étonner. Celui qui avait été Saul de Tarse, sans avoir exploité largement le trésor des lettres classiques, avait pourtant vécu ses jeunes années dans un centre très actif de culture hellénique, où bien des passages de poètes grecs étaient pour ainsi dire entrés dans le domaine public, et répétés, à titre de proverbes, par des gens qui n’en connaissaient probablement pas l’origine. Quand l’apôtre rappelait aux chrétiens de Corinthe (1 Corinthiens 15.33) que les mauvaises compagnies corrompent les bonnes mœurs, savait-il qu’il citait Ménandre ? Et le mot d’Épiménide : Crétois toujours menteurs ! (voir Crétois) avait dû passer dans le vocabulaire de gens qui n’avaient jamais entendu parler de cet auteur (Tite 1.12). Si Paul n’use guère des proverbes, il fait, par contre, de nombreuses citations de l’Ancien Testament, et tel verset qu’il cite pouvait bien être devenu, chez les Juifs, l’équivalent d’un proverbe (1 Corinthiens 15.32, cf. Ésaïe 22.13 ; Romains 12.19, cf. Deutéronome 32.35).
Il ne semble pas qu’il y ait des proverbes proprement dits dans les autres écrits du Nouveau Testament. Il faut relever pourtant le genre sentencieux de l’épître de Jacques (voir article), apparentée d’une part aux livres sapientiaux de l’Ancien Testament et d’autre part aux enseignements concrets du sermon sur la montagne.
Ch. B.
Numérisation : Yves Petrakian