Fils d’Elkana l’Ephraïmite et d’Anne sa seconde femme, Samuel (hébreu Chemouel), consacré à Dieu dès son enfance, est élevé au sanctuaire de Silo où se trouve l’arche dont le prêtre Héli est gardien. Il ne tarde pas à succéder à ce dernier comme juge en Israël, aux sombres jours où l’arche était tombée aux mains des Philistins (1 Samuel 1-6). Sous l’impulsion de Samuel, Israël reprend courage et les Philistins sont battus à Ében-Ezer (1 Samuel 7). À la suite de ces événements le peuple demande un roi, souhait impie selon 1 Samuel 8, ordre de JHVH lui-même, dit 1 Samuel 9.16. Ayant rencontré le Benjaminite Saül fils de Kis, Samuel le persuade de cette mission et le présente à l’assemblée de Guilgal comme l’élu de JHVH (1 Samuel 9 ; 1 Samuel 10). Après les premiers exploits du jeune chef, Samuel se désiste de ses fonctions, non sans rendre le peuple attentif aux droits du souverain et aux devoirs des sujets à son égard (1 Samuel 11 ; 1 Samuel 12). Après une lutte glorieuse contre les Philistins (1 Samuel 13 ; 1 Samuel 14) où s’illustre son fils Jonathan, Saül attaque les Amalécites. Il épargne le roi et une grande partie du butin. Cette désobéissance aux strictes prescriptions de Samuel entraîne le rejet de Saül (1 Samuel 15). Sur l’ordre de JHVH, Samuel cherche et trouve un autre chef en la personne de David fils d’Isaï, de Bethléhem, qu’il oint séance tenante (1 Samuel 16). Dès lors il disparaît de la scène. Sa mort est signalée 1 Samuel 25.1 ; et c’est son ombre qu’évoque la pythonisse d’Endor, à la demande de Saül, la veille de la bataille de Guilboa (1 Samuel 28 et suivants).
Malgré leurs données parfois contradictoires et tendancieuses, ces pages nous permettent de déterminer le rôle prépondérant de Samuel à cette heure grave de l’histoire d’Israël.
À peu près à l’époque où Israël conquit Canaan, c’est-à-dire vers 1200 avant Jésus-Christ, les Philistins, venus probablement du sud de l’Asie Mineure, occupèrent la région maritime, de la frontière d’Égypte au Carmel. Leur intérêt les poussait à étendre leur domination vers le nord-est, le long de la route des caravanes d’Égypte à Damas. Mais ils se heurtaient là à Israël, qui tenait les montagnes et la plaine de Jizréel. Les conflits incessants (comparez l’histoire légendaire de Samson) mirent finalement Israël dans une situation très précaire. Les Philistins s’emparèrent de l’arche de JHVH, occupèrent certains cantons d’Éphraïm et de Benjamin et établirent des garnisons aux points stratégiques les plus importants.
Sous le coup du malheur, Israël se ressaisit. Le patriotisme revêtit d’abord la forme religieuse assez curieuse du prophétisme primitif : des bandes d’extatiques, de visionnaires et de possédés parcouraient le pays en se livrant à leurs étranges pratiques. Mais ce mouvement, d’origine sans doute cananéenne, s’affirmait ici complètement au profit de la religion nationale : c’était le zèle pour JHVH qui agitait ces exaltés. Le rôle de cette propagande de qualité inférieure n’est pas négligeable ; mais, laissée à elle-même, elle n’eût sans doute abouti qu’à des troubles passagers, sans profit durable, si l’homme qui allait incarner le relèvement d’Israël, Samuel, n’avait paru à cette heure-là.
Il était (1 Samuel 1.1) de Rama d’Éphraïm (voir Rama, 2). Cruellement affecté par la situation de son peuple, il trouvait dans sa foi en JHVH une raison péremptoire de travailler à la restauration nationale. Ne trouvant ni dans l’infériorité physique, ni dans la disparition de la foi religieuse, encore très vive au cœur de beaucoup, la raison de l’abaissement d’Israël, il la découvrit dans l’anarchie où vivait le peuple, dans cet état où « chacun faisait ce qui lui semblait bon » (Juges 17.6 ; Juges 21.25), dans l’isolement des clans, résultat assez naturel du passage de l’état nomade à l’état sédentaire. La configuration accidentée du sol de Canaan, qui rendait difficiles les rapports entre les différentes régions, aggravait encore cet état de choses. L’ennemi n’avait devant lui que des groupes incohérents trop faibles pour lui résister. C’était ainsi, par le lent asservissement de la nation, la fin misérable de la glorieuse épopée commencée au Sinaï.
Samuel eut le mérite de comprendre que l’union des tribus sous un seul chef était la seule chance de salut ; bien mieux, que l’établissement de la royauté était l’expresse volonté de JHVH. Sa piété et son patriotisme s’unirent dans cette conviction.
La difficulté était de trouver l’homme approprié. Samuel le découvrit en la personne d’un jeune propriétaire de Guibéa de Benjamin (aujourd’hui Tell el-Foul, 3 à 4 km au nord de Jérusalem), Saül, fils de Kis. Il n’eut pas grand’peine à gagner à ses projets cet homme enthousiaste et généreux : par la considération qu’il lui témoigna, il le persuada de la mission de grouper autour de lui d’abord les forces de sa tribu, puis celles de tout Israël pour restaurer l’indépendance en chassant l’ennemi. Tâche politique et militaire à laquelle le patriote de Rama sut donner aussi l’importance d’une tâche religieuse ; au nom de JHVH il oignit Saül roi, en secret, sans doute pour ne pas éveiller les soupçons des Philistins, non sans le présenter toutefois aux notables de sa bourgade (1 Samuel 9.27-10.1). Il le congédia en laissant à Dieu le soin de lui donner l’occasion de s’imposer au peuple par quelque exploit mémorable (1 Samuel 10.7).
Ce n’était pas tout : il fallait créer dans la nation un courant favorable à la nouvelle institution. Pour réveiller dans les masses la ferveur patriotique, Samuel n’hésita pas à utiliser les services des prophètes dont nous avons parlé et qui, se croyant possédés de JHVH, ne visaient qu’à défendre sa cause. Mais cette cause était celle d’Israël lui-même. Sans se mêler à eux, Samuel encouragea leur propagande religieuse et patriotique. Le public, qui avait quelque mépris pour leur attitude (1 Samuel 19.24), entendait du moins, dans leurs discours enflammés, proclamer la gloire de JHVH et la grandeur du peuple qui le sert. Tout cela, joint à l’activité de Samuel lui-même, devait préparer la nation pour le jour où le nouveau chef se révélerait et l’amener à faire bloc autour de lui. L’événement ne tarda pas à se produire, mais, conseiller de la première heure pour Saül, Samuel ne prit, semble-t-il, qu’une très petite part aux événements subséquents. Il lui reste l’impérissable mérite d’avoir été le premier artisan de cette délivrance. Rien de plus légitime donc que la place éminente que la tradition et l’histoire reconnaissantes lui ont assurée.
Selon nos sources bibliques, toujours préoccupées d’utiliser l’histoire en vue de l’édification, le rôle religieux de Samuel est considérable. Même dégagé des superfétations de la légende, il reste très grand.
L’historiographie israélite, qui fait de lui un voyant (1 Samuel 9.6 ; 1 Samuel 9.11), un prêtre (1 Samuel 3 ; 1 Samuel 9 ; 1 Samuel 13), un juge (1 Samuel 12) et un prophète (1 Samuel 15), le revêt ainsi de toutes les dignités sauf celle de la royauté. Ces appellations ne sont pas toutes de la même main ni de la même époque. Les deux dernières sont plus récentes. L’une d’elles (1 Samuel 12), sans le ranger parmi les douze juges classiques, lui attribue leur rôle de chefs politiques et de porte-parole de JHVH (voir Juges) : la personnalité de Samuel doit ici donner plus de poids à des considérations religieuses et morales qui n’étaient pas de son temps. Ce trait est encore accentué dans 1 Samuel 15 : Samuel est ici un prophète presque au même titre qu’Ésaïe ou Jérémie. Cette conception reflète le jugement que l’école deutéronomique (VIIe - VIe siècle) portait sur le passé, ainsi que l’usage qu’elle faisait de ces documents, mais ne correspond pas à la réalité historique.
Celle qui fait de Samuel un voyant et un prêtre est sans doute plus proche de cette réalité. Le « voyant » (rôèh), ou devin, habile à lire la volonté de la divinité dans la forme et le mouvement des nuées, dans le sifflement des serpents, les murmures des bois ou des rochers, etc., se faisait fort d’obtenir de cette puissance supérieure, par des moyens que nous ignorons, les réponses souhaitées des fidèles. Tel est le rôle que 1 Samuel 9 attribue à Samuel et qui attire chez lui Saül à la recherche des ânesses de son père.
Le texte 1 Samuel 3 est un peu moins ancien : il nous montre Samuel faisant son apprentissage auprès d’Héli, lequel est expressément désigné par le mot kôhèn (1 Samuel 2.11). Cette fonction-ci découlait tout naturellement de celle de voyant : l’interprète des desseins de la divinité n’est-il pas aussi celui qui saura le mieux avec quelles paroles et quels gestes il faut s’approcher d’elle ? Aussi bien est-ce Samuel qui, d’après 1 Samuel 9.11 ; 1 Samuel 9.14, offre pour toute la communauté de Rama le sacrifice qui ne saurait avoir lieu sans lui. Mais ce prêtre n’a rien de ce qui distinguera plus tard l’homme revêtu de cette fonction. Il n’est pas descendant d’Aaron, pas même lévite ; son autorité de prêtre lui vient certainement de ses capacités de voyant. Les narrations postérieures ont donné à ce mot de prêtre comme à celui de prophète l’extension qu’ils avaient à leur époque : « Celui qu’on appelait autrefois le voyant (dit 1 Samuel 9.9) s’appelle maintenant le prophète » ; et 1 Samuel 3 s’applique à montrer en Samuel le prêtre, gardien du sanctuaire et représentant officiel de JHVH.
Il est impossible de préciser le caractère spécifiquement « yahviste » de la piété et de la foi de Samuel. Pour lui JHVH est le Dieu d’Israël plus encore, si possible, que pour Moïse : c’est lui qui a donné Canaan au peuple élu, dont le droit sur ce pays ne se discute pas. La domination des Philistins est une offense à Israël, plus encore une offense à JHVH. Le premier devoir du fidèle est donc de chasser les infidèles de la terre qu’ils souillent de leur présence. Ainsi se confondent les convictions patriotiques et les convictions religieuses de Samuel. Et certes, dans ce sens son rôle est bien celui d’un prophète, c’est-à-dire d’un témoin et d’un défenseur de la cause de JHVH. Mais nous ne saurions dire davantage de sa piété. À en juger d’après certains passages, elle était encore singulièrement rude et sauvage (cf. 1 Samuel 15, pourtant d’une époque plus récente).
Cela ne le diminue en rien, car la grandeur de Dieu s’affirme dans la faiblesse de ses témoins ; au seuil de cette période de l’histoire d’Israël la figure de Samuel se dresse comme celle de l’homme qui a vu clair et qui a fixé, dans une heure de foi et d’amour patriotique, l’avenir de la nation à laquelle Dieu réservait de si tragiques et si glorieuses destinées.
Voir Prophète.
E. G.
Numérisation : Yves Petrakian