On conçoit tout l’intérêt de l’Église à posséder, aussi pur que possible, le texte de nos livres sacrés. Retrouver ce texte après avoir éliminé toutes les altérations qui peuvent s’y être glissées : tel est proprement le but de la critique textuelle. Ce terme de critique (voir ce mot) a parfois, dans l’esprit du public, une signification péjorative absolument injustifiée. La critique est une science aux règles précises ; étymologiquement elle doit s’entendre de toutes les opérations dont le but est de discerner, de séparer l’erreur de la vérité (du grec krineïn). Pour le Nouveau Testament, la critique se propose donc d’en établir le texte tel qu’il est sorti de la main des écrivains originaux. En vue de cette reconstitution, elle emploie les mêmes procédés communément appliqués aux grands textes classiques (Sophocle, Platon, Virgile, etc.) dont les autographes ont disparu et dont il ne subsiste que des copies, séparées souvent de l’œuvre originale par un nombre considérable de siècles.
Le travail est relativement aisé pour des œuvres dont il n’existe qu’un nombre réduit de copies (Sophocle, 100 ; Catulle, 3) ; il est infiniment plus compliqué pour le texte du Nouveau Testament, dont il existe plus de 4 000 copies manuscrites ; d’autre part le nombre des copies des traductions du texte, dont le rôle en critique est primordial, dépasse 10 000. Or, dans cette masse imposante, il n’est pas deux copies absolument identiques, et l’on estime à 150 000 le nombre des variantes relevées. On aurait tort cependant de penser que la multiplicité de ces variantes nous met dans l’impossibilité de recouvrer la teneur primitive du texte. C’est le contraire qui est vrai. Car l’élimination méthodique des leçons fautives permet d’approcher, avec beaucoup plus de chances, le texte original. La critique textuelle se trouve ainsi placée devant le Nouveau Testament dans de bien meilleures conditions que devant la plupart des classiques latins et grecs.
La découverte des manuscrits originaux du Nouveau Testament est absolument improbable. Tertullien parle bien d’écritures authentiques (litteroe authenticoe) qui circulaient de son temps (De proescr., 36.1-2) ; mais son contemporain Irénée ne paraît pas croire que ces autographes existent encore ; il met en garde, au contraire, contre les altérations des copies en circulation (Eusèbe, Histoire ecclésiastique, V, 20.2). On est donc obligé d’établir le texte par déduction, en utilisant toutes les ressources dont dispose la critique. L’ensemble de ces ressources ou matériaux constitue ce qu’on appelle l’apparatus criticus
Les documents se divisent en trois grandes classes que nous allons examiner sommairement :
Les spécimens les plus curieux sont assurément les textes transcrits sur des fragments de poterie, appelés ostraka (coquilles). On possède également quelques textes sur papyrus (figure 271). Mais, peu nombreux, ces éléments sont de minime importance au point de vue de la reconstitution du texte, à cause de leur état très fragmentaire. Leur valeur est surtout philologique, car, rédigés dans l’idiome hellénistique contemporain des Évangiles et des épîtres, ils apportent une précieuse contribution à la connaissance de la langue du Nouveau Testament (voir Papyrus et ostraka).
Les manuscrits dont nous nous occuperons ici sont des parchemins, dont le plus ancien date du milieu du IVe siècle. H. von Soden estime à 4 085 le total des manuscrits grecs du Nouveau Testament. Jusqu’au IXe siècle le texte des manuscrits a été transcrit sans séparation entre les mots (scriptio continua), ce qui n’a pas laissé de compliquer la tâche de la critique. Les copistes, d’autre part, faisaient grand usage d’abréviations, de contractions. De plus, le texte a subi de nombreuses corrections ; on a pu discerner sur certains manuscrits le travail de sept mains successives. Mais ces difficultés mêmes se transforment en auxiliaires pour la critique : le type d’écriture (continue, droite, couchée, ronde), la forme des lettres (majuscules, minuscules), la ponctuation, l’accentuation, etc. viennent en aide au paléographe pour déterminer l’âge et la provenance du manuscrit. D’autres indications extérieures suppléent aux lacunes de l’histoire : c’est ainsi que la stichométrie (mensuration des lignes d’écriture) permet de discerner les additions ou les suppressions apportées au texte original. Par exemple, le critique anglais Rendell Harris a pu déduire de la stichométrie des plus anciens manuscrits grecs que ceux-ci ne contenaient pas originellement la péricope de la femme adultère (Jean 7.53-8.11). La division du texte ou capitulation, la nature des matériaux (papyrus, parchemin), la forme des manuscrits (rouleau, codex), la teinte de l’encre, etc. constituent également de précieuses indications.
On a classé les manuscrits en deux grandes familles selon la forme des lettres : les manuscrits en lettres onciales ou majuscules, et les manuscrits en lettres cursives ou minusculesque l’on voit apparaître dès le IXe siècle.
On ne peut fixer l’âge d’un manuscrit que très approximativement en se référant à des indices extérieurs ; l’Alexandrinus, par exemple, qui contient les canons d’Eusèbe et une lettre de siècle Athanase, ne peut remonter au delà de la seconde moitié du IVe siècle. Quant à l’origine des manuscrits, on peut dire qu’ils ont vu le jour, pour la grande majorité, en Orient. Le Vaticanus serait originaire de Césarée pour Scrivener, d’Égypte pour Nestlé, de Rome pour Westcott-Hort. Le Codex D, que Théodore de Bèze offrit en 1581 à l’Université de Cambridge, est originaire de Lyon.
Au nombre des manuscrits il faut compter également les lectionnaires (fragments des récits évangéliques destinés à être lus publiquement), postérieurs pour la plupart au Xe siècle. Ils offrent souvent un type ancien du texte et, comme tels, ne doivent pas être négligés.
Tous ces manuscrits ont été soigneusement classés. On suit couramment aujourd’hui la classification de Tischendorf. Dans ce système, les manuscrits en lettres onciales sont désignés par les majuscules de l’alphabet romain A, B, etc., de l’alphabet grec à partir du T, et de l’alphabet hébreu ; les manuscrits minuscules sont désignés par des chiffres arabes. Gregory a proposé de désigner les manuscrits majuscules par des chiffres arabes, en caractères gras, précédés d’un o. Ainsi le Vaticanus, désigné par B dans le système de Tischendorf, se note par o2. Pour les minuscules, Gregory supprime le o et emploie des chiffres arabes non gras. La classification de von Soden est de toutes la plus complète, car elle renseigne à la fois sur le contenu du manuscrit et sur son âge. Le contenu du manuscrit est indiqué par la lettre grecque ç pour les manuscrits du Nouveau Testament en entier, par epsilon pour les manuscrits des Évangiles ; par a pour les copies des écrits apostoliques. En ce qui concerne l’âge, von Soden désigne les manuscrits du IVe au IXe siècle par des chiffres (1 à 99, 01 à 099). Les manuscrits du Xe siècle sont désignés par les nombres 1 000 à 1 099. Les manuscrits des siècles suivants sont désignés par le dernier chiffre du siècle, suivi de deux o : le signe epsilon 300 désigne par exemple un manuscrit contenant les Évangiles et datant du XIIIe siècle.
Nous nous bornerons à signaler les plus importants.
Le Codex Sinaïticus (S). Il contient le Nouveau Testament en entier. Découvert par Tischendorf, en 1859, au monastère de Ste-Catherine au mont Athos, il fut longtemps conservé à Saint-Pétersbourg (actuellement Leningrad) ; aujourd’hui au British Muséum, l’Angleterre l’ayant acheté à la Russie par souscription nationale, en 1934. C’est une admirable pièce, sur vélin en peau de gazelle. Il date probablement du dernier quart du IVe siècle.
Le Codex Alexandrinus (A) se trouve au British Muséum depuis la création de ce musée, en 1753 ; il est originaire d’Alexandrie, ainsi qu’en témoigne la forme copte des lettres, et date sans doute de la fin du Ve siècle ; son texte, excellent pour l’Apocalypse, est moins sûr pour le reste du Nouveau Testament
Le Codex Vaticanus (B), un des plus grands trésors de la Bibliothèque du Vatican. On ne peut se rendre compte de la splendeur primitive de ce manuscrit, qui date du milieu du IVe siècle, car une main du Xe ou du XIe siècle a recouvert l’ouvrage entier d’une nouvelle peinture. Par sa sobriété, le Vaticanus constitue une autorité de premier ordre.
Le Codex d’Éphrem (C), propriété de la Bibliothèque Nationale, est le plus important des palimpsestes bibliques. On appelle palimpseste un document dont l’écriture première a été grattée pour lui substituer une nouvelle copie. C’est à Tischendorf, âgé alors de 27 ans, que revient la gloire d’avoir remis au jour le texte primitif. Le palimpseste contient des fragments de tous les livres du Nouveau Testament à l’exception de 2 Thessaloniciens et de 2 Jean.
Le Codex Bezoe Cantabrigiensis (D) est originaire du monastère de St-Irénée à Lyon et date du Ve ou du VIe siècle ; après la prise de Lyon par les Huguenots (1562), il tomba entre les mains de Théodore de Bèze. Le texte grec porte en regard une traduction latine, mais le texte grec soulève des questions encore irrésolues. Il est certain, toutefois, qu’il représente un type de texte courant à la fin du IIe siècle. Il est caractérisé par de nombreuses variantes et additions, surtout dans Luc et le livre des Actes. Après Luc 6.4, ce manuscrit contient l’épisode suivant qui ne se rencontre nulle part ailleurs : « Le même jour, ayant vu un homme qui travaillait pendant le sabbat, [Jésus] lui dit : Ô homme, si tu sais ce que tu fais, bienheureux es-tu ; mais si tu ne le sais pas, tu es maudit et transgresseur de la loi. »
Signalons enfin le Codex Freer (W), très important par son âge (IVe-VIe siècle). Il contient la forme particulière de la finale de Marc, entre 16.14 et 16.15, qui nous était déjà partiellement connue en latin par saint Jérôme, et qu’on trouvera à l’article Marc (Évangile), p. 101.
L’écriture en majuscules prenant beaucoup de temps, l’usage s’était introduit, bien avant le IXe siècle, d’une écriture réduite et rapide, où les mots étaient reliés entre eux par des traits, ce qui permettait au copiste d’écrire sans relever la plume (écriture cursive). L’âge récent des manuscrits minuscules n’empêche pas que nombre d’entre eux reproduisent un type de texte ancien. Parmi les minuscules, certains, tel le Codex Basiliensis conservé à Genève, sont de vrais chefs-d’œuvre de calligraphie et se caractérisent en outre par un remarquable souci d’accentuation.
Il faut mettre hors de pair un groupe de manuscrits minuscules dérivant d’un même archétype et originaires, pour la plupart, de la Calabre. On les a réunis sous le titre de groupe de Ferrar, du nom du savant irlandais qui les a collationnés. Signalons dans ce groupe le manuscrit 16, document polychrome : la trame du récit est en vert ; les paroles de Jésus et des anges, en rouge ; les paroles des disciples, en bleu ; les paroles des pharisiens, du peuple, de Satan, en noir. Le № 33 a été appelé le roi des minuscules à cause de sa très grande autorité : il s’accorde avec le Vaticanus et le Codex de Bèze. Le № 346 porte à Matthieu 1.16 la leçon suivante, que l’on trouve aussi dans la version syriaque de Cureton : « Joseph, à qui était fiancée la vierge Marie, engendra Jésus qu’elle appela le Christ. » À signaler aussi que tous les manuscrits du groupe de Ferrar placent la péricope de la femme adultère après Luc 21.38, et l’épisode de la sueur de sang après Matthieu 26.39.
La grande importance de ces documents tient au fait que les versions supposent souvent un texte plus ancien que celui de nos manuscrits. Toutefois, l’âge d’un texte n’est pas forcément une garantie de sa pureté ; plus haut on remonte, plus libre est la manière dont on traite les textes. D’où ce principe : moins une traduction est élégante, plus elle a de chances de serrer le texte qui lui sert de base.
L’importance des versions anciennes comme éléments de reconstitution du texte est déterminée par divers facteurs. C’est d’abord leur ancienneté : la majorité d’entre elles remontent au IIe siècle et au commencement du IIIe. La rapide et large extension du christianisme les propagea autant en Orient qu’en Occident ; les versions nous permettent donc de prendre connaissance d’une forme de texte très rapprochée des origines. Ensuite, beaucoup mieux que les manuscrits, elles indiquent la patrie d’un texte et permettent d’en établir l’arbre généalogique, de retrouver, par exemple, la liaison entre un manuscrit copié en Occident et un texte syriaque ou copte. Enfin des versions permettent d’élucider certains passages difficiles. C’est grâce aux versions par exemple que l’on doit lire, dans Jean 1.28 : Béthanie et non Béthabara
On a réparti les versions suivant leur origine en : syriaques, latines, coptes ou égyptiennes.
Elles nous rapprochent de la langue parlée par Jésus ; de là leur haute valeur. La plus ancienne mention d’une traduction syriaque des Évangiles est faite par Eusèbe (Histoire ecclésiastique, IV, 22.8) : « Le même Hégésippe cite l’Évangile aux Hébreux et l’Évangile syriaque », mais nous ne possédons aucun élément pour déterminer quel était cet Évangile.
Une date très précise nous permet de distinguer les deux formes des versions du Nouveau Testament en latin. En 382, le pape Damase confia à saint Jérôme (Mort 420) le soin d’une nouvelle version du Nouveau Testament. On a réuni sous le nom de Vetus Itala (ou latina) les versions latines antérieures au travail de saint Jérôme ; la version de saint Jérôme est connue sous le nom de Vulgate, dont le texte est encore en usage dans l’Église catholique.
Il est probable que le plus ancien exemplaire de version latine est né en Afrique où le latin était courant et où dès le milieu du IIe siècle le christianisme s’était fortement établi. Une caractéristique très curieuse de la Vetus Itala, c’est son accord, pour nombre de leçons, avec les anciennes versions syriaques, sans qu’on puisse encore expliquer cette mystérieuse parenté.
Le critique Hort divise la Vetus Itala en trois groupes de textes, selon leurs affinités linguistiques : le texte africain (Cyprien, etc.) ; le texte européen ; le texte italien (Ambroise, siècle Augustin).
Jérôme s’était amèrement plaint des procédés très libres des copistes. Le pape Damase lui confia le soin d’une révision des versions antérieures ; notre auteur se borna en effet à corriger le vieux texte latin à l’aide des anciens manuscrits grecs. Le travail de saint Jérôme fut d’abord mal accueilli ; saint Jérôme répondit à ses détracteurs, avec son âpreté habituelle, en les traitant de « chiens hurlants ». Connue d’abord sous le nom de translatio emendatior, on ne la trouve désignée comme Vulgata qu’au XIIIe siècle par Roger Bacon. Altéré au cours des siècles, son texte dut être révisé par Théodulphe, évêque d’Orléans (787-821) et surtout par un abbé de St-Martin de Tours, Alcuin (735-804). Le nombre des manuscrits de la Vulgate dépasse 30 000, dont 2 500 environ pour le Nouveau Testament
L’Égypte fut évangélisée dès la fin du Ier siècle, mais comme les premières traces de l’écriture copte n’apparaissent que cent ans plus tard, on ne peut guère assigner à la version copte une date antérieure au début du IIIe siècle. Traduite elle-même dans les divers dialectes égyptiens, cette première version donna naissance à deux types principaux : la version sahidique (dialecte de la Haute-Égypte), fin du IIe siècle ; la version bohavrique (dialecte de la Basse-Égypte), IIIe siècle. Entre ces deux types principaux, il faut citer les versions de l’Égypte centrale : version du Fayoum, de Memphis, d’Akhmim. Les critiques accordent une grande valeur à ces versions, d’abord à cause de l’antiquité du texte qu’elles représentent ; ensuite parce que ce texte, surtout celui de la version sahidique, se rapproche beaucoup du texte original. Détail particulier : presque tous les manuscrits de la Bohairique omettent le trait de la sueur de sang (Luc 22.43 et suivant), l’épisode de la piscine de Béthesda (Jean 5.3 et suivant) et la péricope de la femme adultère.
Signalons enfin les versions de valeur secondaire, parce que de date récente et dérivant de textes grecs relativement jeunes : une version éthiopienne (fin du Ve siècle), une version arménienne (début du Ve siècle), des versions arabes (VIIIe siècle), et les fragments d’une version gothique, composée, vers le milieu du IVe siècle, par Ulfilas, évêque arien des Goths.
Les citations des textes du Nouveau Testament dans les écrits des Pères de l’Église constituent pour la critique une troisième source de matériaux. Elles sont si nombreuses que, grâce à elles, nous pourrions reconstituer le texte tout entier du Nouveau Testament ; et elles ont de plus, sur les manuscrits et les versions, l’avantage de nous reporter souvent à un texte très ancien. Elles doivent cependant être interrogées avec prudence, car les Pères en usent parfois très librement avec le texte ; souvent ils citent de mémoire, ou bien ils combinent deux textes séparés. D’autres fois, ils ajoutent au texte leurs réflexions personnelles. C’est ainsi que Clément d’Alexandrie cite Matthieu 18.3 : « Si vous ne devenez comme de petits enfants vous n’entrerez pas dans le royaume des cieux », sous une forme incontestablement inspirée par une réminiscence de Jean 3.3 : « Jusqu’à ce que vous deveniez comme de petits enfants et naissiez de nouveau, ainsi que le dit l’Écriture, vous ne recevrez pas celui qui est réellement le Père et vous n’entrerez jamais dans le royaume des cieux ». En dépit de ces réserves, les citations ont en général une grande valeur, l’écrivain ayant souvent sous les yeux un texte ancien ; elles aident aussi à fixer la date et l’origine de nos plus anciens manuscrits.
Citons parmi les écrivains ecclésiastiques dont la critique utilise les citations :
On le voit : pour tenter d’établir le texte primitif, la critique dispose de ressources considérables. Encore faut-il que ces ressources soient convenablement traitées. Le savant ne doit négliger aucune lumière ; il lui faut appeler à son aide la paléographie, l’archéologie, la philologie et l’histoire ; il doit parcourir avec son texte, mais en sens inverse, tout le chemin que ce texte a fait depuis ses origines, pour reconstituer, autant que possible, le texte tel qu’il est sorti de la main de son auteur.
Nous avons dit que les matériaux présentent entre eux de très nombreuses variantes : le premier soin de la critique est de relever et d’élucider ces variantes. Nestlé fait très justement remarquer à ce propos que la tâche du critique ressemble beaucoup à celle du médecin qui doit porter un diagnostic avant de guérir. Le nombre considérable des variantes inclinerait à penser que le texte serait dans un état de confusion et d’incertitude irrémédiable. Or c’est précisément le nombre des variantes qui augmente pour le critique les chances de rétablir le texte. Supposons par exemple que nous possédions une centaine de copies de Marc, indépendantes les unes des autres. Supposons encore que chacune de ces copies présente 10 fautes et que ces fautes, introduites dans le texte par accident, soient différentes dans chaque copie. Si nous ne consultions qu’une seule copie, il est évident que nous ne remarquerions aucune altération alors qu’en fait notre texte serait entaché de dix erreurs. En consultant deux copies, nous aurions un ensemble de 20 variantes : l’un des deux textes posséderait évidemment la bonne leçon, mais nous n’aurions aucun terme de comparaison pour la relever. Si nous prenions un troisième manuscrit, nous aurions un total de 30 variantes, mais deux de nos textes, portant la leçon originale, auraient raison contre la leçon d’un seul texte. En poursuivant ce travail pour l’ensemble de nos 100 manuscrits, nos chances de posséder le texte authentique seraient ainsi de 99. En réalité le travail n’est pas aussi aisé ; ce que nous en disons a pour but de montrer que la critique a pour première tâche de traiter les variantes par éliminations successives. Et ce travail a été si minutieusement poussé que Westcott et Hort estiment que les 7/8 du texte néotestamentaire sont désormais hors de contestation.
Les règles suivies pour le rétablissement du texte sacré ne sont pas différentes de celles que l’on applique communément aux textes classiques :
Les variantes sont de deux ordres. Les unes sont accidentelles. (1) Il arrive que le copiste, en suivant des veux son texte, saute d’un mot à ce même mot reproduit plus loin. Ce phénomène porte en paléographie le nom de homoïoteleuton. M.L. Havet l’appelle « saut du même au même » (2). On sait que la plupart des manuscrits onciaux ne comportent pas de section entre les mots (scriptio continua). Le copiste pouvait ainsi séparer les mots de diverses manières et donner au texte un sens très différent. C’est l’œil qui est ici coupable, mais l’oreille peut être également induite en erreur lorsque les scribes écrivaient sous la dictée : il y a ainsi homophonie ou ittacisme quand le copiste, trompé par une ressemblance euphonique, écrit un mot différent : « Il mit le corps dans le tombeau vide (kénô) » au lieu de « tombeau neuf (kaïnô) » (Matthieu 27.60).
D’autres variantes sont intentionnelles ; elles n’ont pas toujours pour origine le parti pris, mais dérivent souvent d’un désir de mieux chez le copiste ; certains fragments, destinés à la lecture publique, ont reçu des adjonctions telles que : « en ce temps-là, etc. ». Plus graves sont les variantes qui dérivent d’un souci dogmatique. Dans Jean 1.18 : « Personne n’a jamais vu Dieu ; le Fils unique est celui qui l’a révélé », le Vaticanus et le Sinaïticus divinisent le Fils unique en ajoutant le mot Théos (Dieu) sous l’influence du dogme de la divinité de Jésus-Christ.
En confrontant l’ensemble des matériaux dont ils disposent, les critiques ont remarqué que les mêmes variantes se reproduisaient dans toute une série de manuscrits d’âge et de provenance différents ; il faut donc supposer que ces manuscrits dérivent d’un type commun. Nous ne pouvons entrer ici dans le détail d’une théorie extrêmement compliquée. Westcott-Hort, suivis par Gregory, indiquent comme suit les grandes étapes du texte :
On peut estimer à plus d’un million les éditions du Nouveau Testament grec. Nous signalons les plus importantes.
A. W. d’A.
Numérisation : Yves Petrakian