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Vertu
Dictionnaire Biblique Westphal Calmet

1.

Le sens primitif de ce mot (comme en latin virtus, de vir [= homme], terme apparenté lui-même au grec héros) est celui de force, de vigueur. Il était très fréquent dans nos Bibles du XVIe siècle, et, comme virtus dans la Vulgate, s’y appliquait le plus souvent à la puissance de Dieu ; il en reste des traces dans le psautier huguenot :

  • Par ta vertu, Je me vois d’honneur revêtu (30.12).
  • Tu rends les monts inébranlables Par ta seule vertu (65.7).
  • Les cieux, la terre et les autres ouvrages De tes vertus sont les vives images (145).

C’est dans ce sens que les versions Ostervald et Mart, ont conservé la vieille expression : « La droite de l’Éternel fait vertu » (Psaumes 118.15 et suivant). C’est aussi dans ce sens qu’il faut prendre l’épithète de « vertueuse » appliquée à diverses femmes de l’Ancien Testament et conservée entre autres par Segond (Ruth 3.11 ; Proverbes 12.14 ; Proverbes 31.10) ; l’hébreu khaïl que cet adjectif représente s’applique à une personne capable, à une femme de bien, une femme de valeur, une femme vaillante (traduction aujourd’hui la plus fréquente et devenue proverbiale pour le tableau de Proverbes 31.10-31 cf. Siracide 26.2).

Dans le Nouveau Testament il s’agit aussi d’une force efficace (grec dunamis) lorsqu’il est dit (Ostervald, Martin), à propos du Seigneur Jésus en train de guérir, qu’« une vertu sortait de lui » (Marc 5.30; Luc 6.19 ; Luc 8.46), ou lorsque lui-même, au moment de son ascension, annonce aux disciples le don de « la vertu du Saint-Esprit » (Actes 1.8). Du même ordre est la locution courante : en vertu de…  », qui équivaut à : « par l’effet de…  » (Ézéchiel 16.61 ; Galates 4.23 Philippiens 2.13, etc.) ; dans Matthieu 1.18, « par la vertu du Saint-Esprit » est la paraphrase ordinairement adoptée pour rendre la simple préposition ek (littéralement, par le Saint-Esprit). Dans Éphésiens 1.19, « la vertu souveraine » traduit le troisième des quatre mots grecs ayant tous le sens de puissance (dunamis, energeia, kratos, iskhus), et intentionnellement accumulés par saint Paul dans cet hymne à la toute-puissance de Jésus-Christ.

Le terme consacré de la philosophie antique, arête, est lui-même employé dans le Nouveau Testament avec la nuance de force ou principe d’action : « Celui qui nous a appelés par sa gloire et par sa vertu » (2 Pierre 1.3), c’est-à-dire par la glorieuse manifestation de sa puissance. Deissmann a relevé cette expression parmi les ressemblances frappantes qui rapprochent ce début de 2 Pierre d’une inscription trouvée en Carie et qui donne une idée du langage solennel des liturgies officielles en Asie Mineure au 1er siècle (BS, pages 277-284). Il indique aussi que d’après S. Reinach la même traduction serait soutenable dans 1 Pierre 2.9 : « … que vous annonciez les vertus », c’est-à-dire les actes de puissance surnaturelle ; mais ici, Deissmann se prononce pour l’interprétation habituelle, qui voit dans 1 Pierre 2.9 une citation de Ésaïe 4-2 12 et plus probablement encore de Ésaïe 43.21, où le grec des LXX arétas veut dire : louanges, plutôt que : vertus (BS, pages 88-93). De la même manière, une inscription du IIe siècle raconte qu’un aveugle ayant recouvré la vue, la foule païenne se réjouit de ce que « les puissances miraculeuses (grec arétaï) du dieu Asklépios sont toujours vivantes » (VGT, PP- 75, 76).

2.

La notion morale classique de la vertu, aptitude à faire le bien, ou de pratique constante du bien, est étrangère aux livres de l’ancienne alliance, et dans une grande mesure à ceux de la nouvelle alliance. Pour la pensée israélite, réfractaire à l’abstraction, le bien (voir ce mot) consiste en la volonté de Dieu, dont la loi réunit indissolublement la morale et la religion (voir Décalogue) ; d’où il suit que le concept profane, assez vague dans sa généralité, d’homme vertueux se trouve singulièrement précisé dans l’idéal prophétique du croyant fidèle et obéissant à son Dieu par amour pour Lui et pour le prochain (cf. Marc 12.28-31, sommaire de la loi, qui réunit Deutéronome 6.4 et suivant et Lévitique 19.18). C’est ainsi que dans 2 Macchabées 6.31, conclusion du martyre du vieillard Éléazar, « le souvenir de ses vertus » s’applique à son héroïsme dans la fidélité absolue « aux saintes lois de Dieu » (verset 23).

Il n’est pas étonnant qu’il faille chercher l’apparition de la vertu (arétê), au sens philosophique, chez le penseur qui s’est le plus nourri des philosophies helléniques, l’auteur de l’apocryphe Sagesse de Salomon : dans 4.1, la vertu s’applique plus particulièrement à ce qu’on appellerait aujourd’hui la moralité ; dans 5.13, parole attribuée aux méchants lors du jugement dernier, elle s’applique au bien réalisé dans une vie, et dont ceux-là ne peuvent montrer aucune trace ; enfin dans 8.7, c’est l’énumération, très caractéristique, comme produits de la Sagesse, des « vertus » mêmes dont Platoniciens et Stoïciens avaient fait les quatre vertus cardinales : tempérance, prudence, justice, force d’âme.

Il apparaît aussi dans le Nouveau Testament quelque chose de cette conception, lorsque l’apôtre Paul énumère tout ce qui doit « occuper les pensées » des chrétiens : « tout ce qui est vrai, honorable, etc., tout ce qui est vertueux [littéralement, vertu] et digne de louange » (Philippiens 4.8). « Dans cet appel à réaliser l’idéal moral, dit la Bible du Centenaire, nous retrouvons ce terme de vertu, qui est le mot classique des philosophes. En fait, l’idéal que Paul décrit ici est celui des esprits les plus élevés de l’antiquité païenne ». Et, pour citer encore une énumération, une « guirlande de vertus » comme devaient les affectionner les premiers auteurs chrétiens, observons que 2 Pierre 1.5 exhorte ses lecteurs à « joindre à leur foi la vertu, à la vertu la science, etc. », toutes ces conquêtes spirituelles se conditionnant et devant aboutir à la plus élevée, « la charité ». Ce qui permet à certains auteurs de traduire 1 Corinthiens 13.13 : « Ces trois vertus [au lieu de : choses] demeurent : la foi, l’espérance et la charité » (Ostervald).

Ces trois grandes vertus ont été appelées en morale catholique les vertus théologales, parce qu’elles ont pour objet le Dieu de la révélation ; à côté d’elles, les vertus morales, dont les principales (ou cardinales) sont les mêmes que celles de la morale antique : prudence, force, justice, tempérance ; les vertus intellectuelles sont celles qui ouvrent l’esprit à la connaissance de la vérité. On a aussi distingué les vertus d’après leur origine (infuses ou acquises), d’après leurs fins (naturelles ou surnaturelles), d’après leurs degrés (héroïques ou communes), etc. (cf. F. Lichtenberger, Encycl., tome XII, p. 352).

Les moralistes protestants répugnent en général à de telles classifications scolastiques, qui risquent de verser dans la casuistique, en faisant oublier que si la sanctification du racheté de Jésus-Christ doit se poursuivre en tous sens, par toutes sortes de vertus, il n’existe pourtant qu’une seule vertu sanctifiante, celle de l’Esprit du Christ s’infusant dans la vie des disciples comme la sève du cep à travers les sarments pour leur faire porter du fruit (Jean 15.1 ; Jean 15.8). La seule distinction peut-être qu’il importe de maintenir nous ramène à notre point de départ : en philosophie naturelle, la vertu (virtus) est le propre de l’homme (vit), du héros ; mais devant le Dieu de la révélation il n’est pas de héros, pas d’homme à proprement parler (vir) : dans un monde pécheur il n’est pas de vertu (voir Philosophie). Seulement, à ce monde, l’Évangile propose un salut : Celui qui pratiqua toutes les vertus sans porter l’envers d’aucune vertu, se donnant par amour — la vertu suprême — , Celui-là était l’Homme de Dieu, révélateur de Dieu et non pas de la Vertu en soi, Sauveur capable de transformer les pécheurs repentants en de nouvelles créatures, non pour les convertir à quelque impersonnelle Vertu, mais pour les ramener, enfants égarés, à l’amour envers leur Père qui les aima le premier. Voir Régénération, Sauveur.

Jn L.


Numérisation : Yves Petrakian