(du latin vigilare = veiller). « Qualité de celui qui veille avec beaucoup de soin à ce qu’il doit faire » (Littré).
La vigilance de Dieu est exaltée dans les Prophètes et dans les Psaumes (Jérémie 1.13 ; Jérémie 31.28 ; Jérémie 44.27 ; Psaumes 121.4 ; Job 29.4 ; Esdras 5.5 etc.).
L’Ancien Testament recommande la vigilance à Israël, pour acquérir la sagesse (Proverbes 8.34), pour assurer sa vie (Proverbes 19.16 ; Psaumes 50.23). pour obtenir le salut (Ésaïe 56.2) et de façon générale pour s’assurer la protection vigilante de Dieu (Genèse 31.49 ; Job 8.6 ; Proverbes 13.3 etc.).
Toute la morale évangélique est fondée sur la vigilance. Il faut être vigilant pour ne pas succomber à la tentation (Matthieu 26.38 et suivant), pour échapper aux tribulations à venir (Luc 21.36), pour n’être point surpris par l’heure de la mort (Matthieu 24.32 et suivant, Luc 12.37 et suivant) ; l’enseignement le plus topique sur la vigilance est donné par Jésus dans la parabole des dix vierges : cinq d’entre elles n’avaient pas « veillé avec soin sur ce qu’elles devaient faire », et leur négligence à se munir du nécessaire pour alimenter les lampes leur coûte l’entrée aux noces de l’époux qui s’est attardé (Matthieu 25.1-13).
Les apôtres, à la suite du Maître, recommandent aux chrétiens d’être vigilants : « Sois vigilant en toutes choses », dit Paul à Timothée (2 Timothée 4.5). Il prescrit la vigilance pour l’affermissement de la foi (1 Corinthiens 16.13 ; Actes 20.31) et de la sobriété (1 Timothée 5.5, cf. 1 Pierre 5.9 « Soyez vigilants dans la prière », dit l’apôtre Pierre (1 Pierre 4.7). « Sois vigilant ! » rappelle l’ange à l’Église de Sardes (Apocalypse 3.2). Puisque la vie chrétienne est décrite dans l’Évangile comme un train de guerre contre les puissances mauvaises, où le chrétien a à lutter sans cesse contre les perversités du monde tout en déjouant les ruses du Diable (Éphésiens 6.11. cf. Matthieu 6.13; Luc 22.31 ; 1 Pierre 5.5 etc.), il était naturel que la fidélité y fût présentée sous l’angle de la vigilance.
De ces devoirs de vigilance naquirent, dans l’Église, les vigiles. Cet usage chez les chrétiens, à partir du IIe siècle, de passer dans la veille et dans la prière une partie de la nuit qui précédait les fêtes de Pâques et de Pentecôte, se réclamait, d’après Jérôme, du fait que David dit dans Psaumes 119.62 : « Je me lève la nuit pour te célébrer », de l’exemple de Jésus qui passait des nuits à prier (Luc 6.12), et du reproche du Maître aux disciples qui n’avaient pu « veiller une heure » avec Lui (Matthieu 26.40). Au Ve siècle on y joignit les vigiles de Noël. Aujourd’hui la messe de minuit, célébrée avant le 25 décembre, est le dernier vestige de ces vigiles, dont les mœurs dès le IVe siècle devinrent inquiétantes.
Au XVe siècle on appelait vigiles les grands offices des morts. Nous devons à ces vigiles un ouvrage qui nous renseigne fort utilement sur la vie du clergé au temps de Louis XI C’est un poème historique intitulé Vigiles du roi Charles VII, écrit par Martial d’Auvergne ou de Paris (1492). L’Église sortait à peine du long scandale des papes rivaux (1378-1449). Calixte III (Mort en 1458) s’était discrédité par un népotisme éhonté, Paul II (Mort en 1471) par son luxe, Sixte IV (Mort en 1484) par son trafic des indulgences et le cumul des bénéfices.
Martial d’Auvergne, dont les sentiments élevés se font jour dans les vers émus qu’il accorde aux victimes de la guerre, expose en un raccourci impressionnant l’état de déchéance spirituelle où vivaient alors les gens d’Église, avides, mondains, et qui avaient parfois jusqu’à huit ou neuf prébendes :
Mais qu’en font-ilz ? ilz en font bonne chière ; Qui les dessert ? ilz ne s’en soucient guère ; Qui fait pour eulx ? ung autre tient leur place ; Mais où vont-ilz ? ilz courent à la chaçe ; Et qui chante ? ung ou deux povres moines ; Et les abbez ? ilz auroient trop de peines, De contempler ; ce n’est pas la manière ; Et du service ? il demeure derrière ; Où va l’argent ? il va en gourmandise ; Et du conte ? sont les biens de l’Église ; Et les offrandes ? en chiens et en oyseaulx ; Et des habits ? ilz sont tous damoyseaux ; Et les rentes ? en baings et en luxure ; De prier Dieu ? de cela l’on n’a cure ; Et povres gens ? ceulx là meurent de faim ; Hé n’ont-ilz rien ? l’on ne leur donne brin (un brin) ; Où charité ? est en pèlerinage ; Hé que fait Dieu ? il est bien aise ès cieulx ; Hé quoi ! dort-il ?
Si l’on rapproche ce témoignage de ce qui est dit aux articles Apôtre, Noël et Succession apostolique, on voit apparaître la fragilité de l’argumentation romaine dans le domaine des choses de l’Esprit. La succession apostolique par l’assistance continue de l’Esprit transmis par ordination de prêtre en prêtre n’est qu’une fiction, comme cette autre fiction de la chaîne des papes accrochant à saint Pierre, — fiction que la science catholique eût sans doute envoyée rejoindre les Fausses Décrétales et la prétendue Donation de Constantin, si elle n’avait craint, en retirant cette pierre, de faire crouler tout l’édifice sacerdotal.
Le langage ecclésiastique appelle aujourd’hui vigiles les veilles des fêtes de Pentecôte, l’Assomption, la Toussaint et Noël. Le jeûne et l’abstinence sont prescrits pour chacun de ces jours quand il ne tombe pas sur un dimanche.
Alexandre Westphal
Numérisation : Yves Petrakian