Verset à verset Double colonne
Élie avait sans doute espéré que le retour du peuple à son Dieu et l’impression profonde que devait avoir éprouvée le roi lui-même, allaient se manifester par un changement total dans l’attitude religieuse de la cour et du pays. Au lieu de cela, il se retrouve dès le lendemain en face du même état des choses. Le pouvoir de Jézabel n’est nullement brisé ; Achab est encore son docile instrument ; quand il lui plaira d’envoyer ses émissaires pour se défaire de lui, pas un défenseur ne se présentera pour l’arracher aux mains de cette femme impie. Faut-il s’étonner du découragement, de l’amertume même qui s’empare à cette heure du cœur du prophète ? Plus le triomphe a été glorieux, plus la déception est douloureuse. L’effort le plus puissant qu’un homme ait jamais fait pour rétablir l’honneur de son Dieu, l’une des manifestations les plus imposantes que la terre ait jamais contemplées du pouvoir divin, frappés de stérilité par l’ignoble lâcheté du roi et la stupide indifférence du peuple ! Élie s’était senti fort en Dieu ; il va faire l’expérience de sa propre faiblesse. Dieu a travaillé par lui, il va maintenant travailler sur lui.
Le découragement d’Élie.
Cette menace implique l’assentiment exprimé ou non exprimé du roi. Mais pourquoi faire connaître d’avance son dessein à Élie ? Jézabel préférait-elle peut-être la fuite du prophète à la nécessité de le faire mourir, crime qui aurait-pu faire revenir le peuple à ses bons sentiments de la veille ?
Voyant cela, littéralement : il vit ; d’autres, au moyen d’un changement de voyelles : il craignit. Au fond cela revient au même. Il vit l’état des choses et comprit qu’il n’y avait aucun secours humain à attendre. C’est la situation de Pierre considérant la violence du vent et enfonçant dans l’eau (Matthieu 14.30).
Pour sauver sa vie, littéralement : Et il alla à son âme, c’est-à -dire : il agit en ne consultant que le soin de sa vie, ou bien : il alla où son âme le menait, ce qui peut signifier : selon sa volonté propre, ou au hasard, sans but, sans savoir lui-même où il allait. Quoi qu’il en soit, Élie, sous l’empire de l’amertume qui remplit son cœur, agit en ce moment sans direction supérieure. Après de si glorieuses manifestations de la faveur divine, il avait besoin d’être humilié (comparez ce que Paul raconte de lui-même, 2 Corinthiens 12.7). Dieu l’abandonne à son mouvement propre et se sert de cette faute pour lui faire faire un pas en avant dans la connaissance de lui-même et de son Dieu.
Béerséba. Voir Genèse 21.31, note.
Qui appartient à Juda. Cette ville avait été cédée à la tribu de Siméon (Josué 19.2), mais elle faisait partie du royaume de Juda dont elle marquait l’extrémité méridionale. Le sentiment d’Élie l’emporte aussi loin que possible du théâtre de son activité précédente. Tout ce qui pouvait se faire a été fait. Son œuvre lui paraît à la fois achevée et stérile ; il cherche la solitude et, si possible, la mort.
Il y laissa son serviteur : il veut être seul et pense sans doute n’avoir bientôt plus besoin de lui. Au bout d’un jour de marche dans le désert, il tombe accablé de tristesse et d’épuisement.
Un genêt (rôthem) : buisson aux branches ténues et aux feuilles maigres, qui croît au désert dans les dépressions du sol et dans le lit desséché des torrents, là où les caravanes dressent ordinairement leurs tentes.
C’est assez ! Le but de sa vie, le retour d’Israël à son Dieu, n’a pas été atteint ; il n’a plus rien à faire ici-bas qu’à mourir.
Pas meilleur que mes pères : il avait cru être appelé à faire et en état de faire ce que d’autres n’avaient pas réussi avant lui à exécuter ; il voit que son impuissance égale la leur. À quoi bon vivre ? Pour voir plus longtemps le péché de son peuple, sans pouvoir y remédier ! Il faut, pour éprouver une pareille douleur, le cœur d’un homme qui a fait de la cause de son Dieu l’unique intérêt de sa vie.
Un ange : comme pour Jésus dans sa mortelle agonie. C’est ici le Gethsémané d’Élie.
Un gâteau cuit sur les pierres chaudes. Les pierres chauffées sur lesquelles on applique la pâte remplacent dans le désert les fours dont il a été parlé Lévitique 2.4 ; voir Genèse 18.6, note. Les Bédouins usent encore aujourd’hui de ce moyen.
Et il mangea… C’était un premier acte d’obéissance. Puis il se recoucha, fatigué de sa marche.
Le chemin : celui que Dieu t’appelle à faire en ce moment. Je te conduirai au désert et là je te parlerai, dit le prophète Osée. À ces mots : Le chemin est long, Élie comprend où Dieu l’appelle. Au terme de la voie où il s’est jeté instinctivement, Horeb, le lieu des grandes révélations, se dresse maintenant devant sa pensée. Il se lève et prend le repas que son Dieu lui offre en vue de ce voyage.
Il marcha quarante jours et quarante nuits. Il y avait 280 kilomètres en ligne directe jusqu’au Sinaï ; ce pèlerinage solitaire fut donc pour lui, non un voyage aussi rapide que possible, mais un temps de recueillement, de méditation, de prière, comme les quarante jours de Jésus au désert. Le commerce intime avec Dieu élève le prophète, comme Jésus lui-même, au-dessus des besoins du corps ; de même qu’il a reçu d’en-haut la force de courir plusieurs heures devant le chariot d’Achab, il reçoit maintenant, grâce au repas qu’il vient de prendre et dont Dieu prolonge l’effet fortifiant, le pouvoir d’arriver au but. Sur Horeb, voir Exode 17.6, note.
La caverne : soit la caverne qui a joué un rôle dans la vie de Moïse (Exode 33.22, voir note à ce passage), soit une caverne, selon la valeur indéterminée qu’a souvent l’article hébreu.
Que fais-tu ici, Élie ? Cette question étonne, si Dieu lui-même l’avait appelé en ce lieu. Mais il ne faut pas oublier que ce voyage avait commencé par un acte de propre volonté, qui était en réalité une fuite et que la suggestion divine, verset 7, n’avait fait que lui donner une direction précise. Quelqu’un a dit : Même lorsque nous manquons le chemin, Dieu vient avec nous. Seulement, si cette faute aboutit à la gloire de Dieu, ce n’est qu’à travers bien des humiliations et des souffrances, comme celles par où vient de passer le prophète (verset 4).
Élie verse dans le sein de Dieu toute l’amertume de son cœur. Il a lutté pour l’honneur de l’Éternel, espérant ramener à lui Israël : tout a échoué ; sa vie même est menacée ; il a dû fuir pour la sauver.
Tes autels : ceux que les fidèles des dix tribus, empêchés d’aller à Jérusalem, avaient élevés.
Tué tes prophètes. Élie dans son découragement met les choses au pire. Abdias en avait sauvé un grand nombre, mais qui n’osaient plus se montrer.
Resté moi seul : seul à lutter. Il oublie ou ignore l’existence des 7000 fidèles qui forment encore la petite armée de Dieu en Israël.
Il y a un grand rapport entre cette scène de l’apparition divine à Élie et celle de l’apparition à Moïse dans le même lieu. Dans toutes deux le serviteur de Dieu ne peut contempler la face du Maître ; l’un le voit venir, puis, au moment où il passe, se couvre la figure de son manteau ; sur l’autre se pose la main divine pendant que l’Éternel passe et il ne le voit qu’après qu’il a passé. Mais dans les deux scènes l’essence divine est présentée sous le même aspect, celui de la miséricorde infinie de Dieu, qui était comme voilée, dans le cas de Moïse par l’austérité de la loi, dans celui d’Élie par la sévérité des jugements divins exercés par lui. Aussi à l’un et à l’autre de ses deux serviteurs, Dieu fait contempler une manifestation de son être qui surpasse toutes celles du moment présent et dont la pleine réalisation est réservée à l’avenir. Le tourbillon de vent, le tremblement du sol, le feu qui éclate et environne le prophète sont, comme les tonnerres et les éclairs qui avaient accompagné la promulgation de la loi, l’emblème de la justice divine qui se manifeste dans l’histoire et qui peut bien préparer l’avènement du règne de Dieu, mais non le réaliser. La sanctification du nom de Dieu par ces jugements est la condition de la venue de son règne ; mais cette venue elle-même s’opère par un tout autre moyen. Les trois phénomènes précurseurs mentionnés ici rappellent, comme la suite va le montrer, le premier, l’invasion étrangère ; le second, la révolution intestine ; le troisième, la répréhension prophétique, ces grands moyens de l’action éducative de Dieu dans l’ancienne alliance.
Un son à peine perceptible, littéralement : un son de silence, que l’on ne perçoit qu’en l’absence de tout autre bruit. Cela revient bien au sens de la traduction ordinaire : un son doux et subtil, quoique celle-ci présente une nuance qui n’est pas dans le texte. Cette manifestation du Saint des saints saisit l’âme non par sa force, son impétuosité, son éclat, mais par sa faiblesse même. Elle fait pressentir au prophète un mode de révélation divine dont il n’a eu jusqu’ici aucune idée et qui l’émeut si profondément qu’il n’en peut supporter la pensée et se voile la face pour échapper à la vue de Celui dont elle révèle la réelle présence. Lui qui est resté le cœur ferme, le front levé au milieu du tourbillon de l’ouragan, de l’ébranlement du sol et de la lueur des éclairs se croisant autour de lui, il se sent vaincu par la puissance indicible de la douceur divine et il comprend qu’il y a en Dieu quelque chose par quoi il opérera ce que son ministère prophétique n’a pu produire. C’est le mot de l’apôtre : La faiblesse de Dieu est plus forte que les hommes (1 Corinthiens 1.25) ; comparez la parole de Dieu à Moïse Exode 34.5-6. On a essayé de rapporter le symbole du son doux et subtil au ministère d’Élisée, qui a eu quelque chose de moins terrible que celui d’Élie : mais au verset 15 ce ministère est mis sur la même ligne que la mission des deux exterminateurs Hazaël et Jéhu ! On a voulu le rapporter aussi au ministère prophétique en général, plus encourageant que celui de la loi ; comme si les discours des prophètes n’étaient pas remplis de reproches et de menaces de jugement, aussi bien que le ministère d’Élie ! Il faudrait, pour soutenir cette dernière explication, ne considérer dans le ministère prophétique que les promesses de la grâce messianique, ce qui nous ramènerait précisément à l’explication proposée, la seule soutenable à nos yeux : la condescendance infinie de la miséricorde divine dans une alliance nouvelle, faisant ce qu’aucune manifestation de justice et de puissance n’a pu accomplir.
Une voix : la voix personnelle de Dieu. Si Élie se voile la face pour ne pas voir, il s’approche pourtant pour entendre. Après l’enseignement sublime qu’il vient de lui donner, l’Éternel répète sa question ; le but de cette répétition est de renvoyer Élie à sa tâche dépouillé des illusions dont son cœur s’était bercé.
Élie répond en exprimant de nouveau son découragement.
Réponse de l’Éternel : Le temps n’est pas venu où s’accomplira la grande régénération que tu as espéré d’opérer. C’est maintenant encore la période des châtiments ; va, retourne à ton œuvre préparatoire et achève-la en y associant ceux qui doivent après toi la continuer : Hazaël, le roi de Syrie, qui, comme un tourbillon, dévastera Israël ; Jéhu, le futur roi d’Israël, qui, semblable à un tremblement de terre, fera crouler la maison d’Achab ; Élisée, le prophète dont la parole de feu continuera l’œuvre de ton propre ministère.
Tu oindras. Une onction, au sens littéral du mot, n’a eu lieu que pour Jéhu. Ce mot signifie : Tu consacreras : Tu appelleras ces trois hommes à la tâche que je leur ai destinée. Comparez verset 19 ; 2 Rois 8.13 ; 2 Rois 9.3-6. Leur mission sera donc une mission de jugement. Pour Hazaël et Jéhu cela s’est réalisé à la lettre ; on ne peut citer qu’un cas de ce genre pour Élisée, le châtiment infligé aux jeunes gens de Béthel (2 Rois 2.23-24). Les deux premiers instruments ont si bien fait leur office que le troisième a été dispensé de rien ajouter au jugement de son peuple.
Je laisserai. Je me conserverai, outre Élisée, 7000 fidèles et ne permettrai point qu’ils soient emportés par le torrent de l’idolâtrie. Nous voyons apparaître ici pour la première fois cette notion du saint reste, qui joue un si grand rôle dans les prophètes et se retrouve dans saint Paul, Romains 11.4. Dieu corrige ainsi l’exagération involontaire d’Élie (verset 10 et 14). Le nombre 7000 est symbolique. Ce reste est marqué du sceau de la sainteté de Dieu et de la consécration divine par le nombre sept. Ces fidèles se tenaient cachés et avaient échappé aux regards d’Élie, mais ils n’en existaient pas moins. Sept mille sur onze cent mille (1 Chroniques 21.5), c’était peu ; mais c’était la semence sainte dont il est parlé Ésaïe 6.13.
Qui ne l’a pas embrassé, ce qui ne signifie pas seulement : qui ne se sont pas baisé la main en passant devant l’idole, en signe d’adoration ; mais qui n’ont pas embrassé l’idole elle-même, ainsi que cela se faisait parfois, comme dans le cas rapporté par Cicéron, où la statue d’Hercule avait les joues et la barbe usées par les baisers des adorateurs.
Et trouva Élisée : à Abel-Méhola (verset 16) ; voir à Juges 7.22. Cette localité se trouvait dans la vallée du Jourdain, à quelques kilomètres au sud de Beth-Séan.
Saphat. C’était un homme riche, puisqu’il avait un domaine assez vaste pour être labouré par douze charrues simultanément. Élisée, son fils, surveillait tout l’ouvrage en tenant les cornes de la douzième, les autres étant conduites par des serviteurs. La richesse de son père est relevée parce qu’elle fait d’autant mieux ressortir son obéissance à Élie et son dévouement à la cause de Dieu.
Son manteau : le vêtement de prophète (2 Rois 1.8 ; 2 Rois 2.8 ; Zacharie 13.4). Cet acte signifiait l’appel au ministère prophétique.
Car que t’ai-je fait ! Le car porte sur reviens : Reviens sans tarder car je t’ai appelé de la part de l’Éternel à un labour d’un autre genre.
La paire de bœufs ; la douzième, qu’il conduisait personnellement.
La sacrifia, non au sens cérémonial du mot sacrifier ; il n’y avait pas là d’autel ; mais l’immola pour le repas d’adieu qu’il voulait donner aux siens.
L’attelage des bœufs : le joug et la charrue, qui lui fournirent le bois pour apprêter le repas.
Aux gens : non à ceux de la ville, mais à peux de la maison, parents et serviteurs. Ce banquet était l’adieu à toute sa vie précédente ; comparez celui donné par le péager Lévi ou Matthieu (Matthieu 9.9 et parallèles). La différence de conduite d’Élie et de Jésus, Luc 9.59-62, s’explique par la raison qu’il n’y avait pas ici, comme pour le premier des deux disciples, de longues cérémonies funèbres, durant une semaine entière, à accomplir et que le second s’engageait au service de Christ, puis revenait lui-même en arrière.
Ce récit des scènes du Carmel et d’Horeb est l’un de ceux de l’Ancien Testament dans lesquels éclate avec le plus d’évidence la lumière d’une révélation positive. Le caractère de la manifestation future par laquelle Dieu régénérera le monde et qui seule sera capable d’opérer ce prodige impossible à la loi, y est annoncé d’une manière admirable.