Verset à verset Double colonne
D’après le verset 28, l’événement raconté dans ce chapitre paraît avoir eu lieu à Babylone aux premiers temps du gouvernement de Darius le Mède (538). Il présente de nombreuses analogies avec celui qui fait le sujet du chapitre 3 et l’on a cru y découvrir des indices pareils d’inauthenticité, en particulier des allusions nombreuses à la persécution des Juifs par Antiochus Épiphane. À ce que nous avons répondu à la fin du chapitre 3, nous ajouterons les réflexions suivantes :
On a souvent mis en doute l’existence du Darius dont il est question ici et contesté le fait d’une domination mède à Babylone. Hérodote, Bérose, le Canon de Ptolémée ne nomment pas Darius et font succéder Cyrus immédiatement au dernier monarque chaldéen.
D’autre part nous avons des indices qu’entre la prise de Babylone par Cyrus et l’établissement de celui-ci comme roi à Babylone il s’écoula un intervalle de deux années : La destruction de Babylone eut lieu en 538 et l’on est généralement d’accord pour fixer le retour de la captivité à l’an 536. Or, d’après tous les témoignages bibliques (2 Chroniques 36.22 ; Esdras 1.1 ; etc.), ce retour eut lieu la première année du roi Cyrus. Sur les contrats babyloniens en écriture cunéiforme, Cyrus n’est qualifié de roi de Babylone, roi des nations, qu’à partir de l’an 3 compté après la prise de la cité ; dans les contrats de l’an 1 et de l’an 2 il est appelé seulement roi des nations (Lenormant). On s’explique ainsi que, d’après certains auteurs, Cyrus ait régné sept ans (Xénophon), d’après d’autres neuf (Abydénus, le Canon de Ptolémée). La présomption que ces derniers faits créent en faveur d’une domination mède qui aurait duré deux ans à Babylone, devient presque une certitude, surtout en regard des passages que nous avons cités en introduction. On est donc conduit, à identifier Darius le Mède avec le Cyaxare II de Xénophon. Ce que cet auteur raconte du caractère et de l’âge de Cyaxare correspond parfaitement avec ce qui est dit, de Darius dans notre chapitre. Quant à la différence de nom, l’historien Josèphe nous dit que Darius le Mède était connu sous un autre nom chez les Grecs. Cette différence n’est du reste pas grande, car Darius (Darjawesch) signifie dominateur et Cyaxare (Ouwakshatra) veut dire potentat ; et les deux noms paraissent être des titres royaux.
On comprend aisément que lors même que ce ne fut qu’en qualité de vassal du roi mède que Cyrus prit Babylone, il fut cependant considéré par la tradition comme ayant régné tout de suite, vu le caractère effacé du roi mède et le peu de temps qu’il régna. L’expression reçut le royaume, Daniel 5.31, si on ne veut pas la comprendre dans le sens de : reçut de Dieu (comparez la tournure analogue, fut fait roi, Daniel 9.1), convient parfaitement à la passivité d’un Cyaxare qui, quoique suzerain et oncle de Cyrus, ne prit aucune part effective à la campagne contre Babylone et au passage de la Cyropédie où Cyrus annonce à Cyaxare qu’il lui a préparé un palais à Babylone.
Nous devons encore mentionner une autre explication proposée ces derniers temps par M. Lenormant, qui considère comme impossible tout ce que dit Xénophon des rapports entre Cyrus et Cyaxare. D’après lui, Cyrus aurait investi de la royauté pour quelque temps, comme prix de sa trahison, un grand personnage d’origine médique qui avait contribué à lui livrer la ville et qu’Abydénus désigne dans un de ses fragments comme un Mède dont se glorifiait jusqu’alors l’Assyrie. Mais ce Mède peut très bien être Cyaxare lui-même.
Des satrapes. Voyez Daniel 3.2. Ce titre est naturel ici, puisqu’il s’agit d’un gouvernement perse.
Au nombre de cent vingt. On a objecté que Xénophon ne parle que de six satrapes envoyés par Cyrus dans les provinces, mais il n’est question dans ce passage (Cyropédie, livre VIII, chapitre 6) que des provinces de l’Asie-Mineure et de l’Arabie. On a également objecté le rapport d’Hérodote qui dit (livre III, 89) que Darius, fils d’Hystaspe, trouva bon de diviser le royaume en vingt gouvernements ou satrapies et les inscriptions perses de ce roi donnent le même chiffre de provinces. Mais on voit que dans Hérodote il s’agit d’une nouvelle répartition du royaume en cercles d’impôts et les monarques perses n’ont certainement pas attendu jusqu’à lui pour établir dans les provinces de leur vaste empire des fonctionnaires chargés de parer aux premiers symptômes de soulèvement. Nous savons du reste positivement que le chiffre des provinces perses a beaucoup varié selon les temps ; ainsi, sous le roi Assuérus (Xerxès), on en comptait cent vingt-sept (Esther 8.9 ; Esther 9.30) ayant à leur tête des satrapes et des gouverneurs.
Dont Daniel était l’un. Darius ne fit ainsi que conserver à Daniel la place que celui-ci avait reçue de Belsatsar la nuit du festin.
Ce Daniel (comparez versets 5 et 28), si merveilleusement favorisé jusqu’ici.
Un esprit extraordinaire : comparez Daniel 5.12.
Alors. C’est donc uniquement l’intention connue du roi d’établir Daniel sur tout le royaume qui pousse ces hommes à chercher à le mettre en faute.
La loi de son Dieu, n’est que le moyen dont ils se servent pour arriver à leurs fins. Il n’est pas plus nécessaire ici qu’au verset 6, de supposer, comme on l’a fait encore récemment, que tous les ministres et les satrapes s’assemblèrent à Babylone à cette occasion. Le mot tous n’est employé qu’au verset 7 (comparez encore verset 21, note).
Tous. Ils s’exprimaient ainsi afin de donner plus de poids à leur proposition et surtout pour éloigner toute idée d’exception, spécialement par rapport à Daniel. C’était un mensonge, puisque Daniel n’avait pas été consulté, mais ce mensonge fit que le roi ne soupçonna pas les projets de ces hommes. Il croyait Daniel d’accord avec eux.
Ministres du royaume. Ce terme est employé ici dans le sens général de fonctionnaires et non comme au verset 2. Il paraît comprendre les quatre classes mentionnées ensuite : les chefs, les satrapes, les conseillers et les gouverneurs. Comparez Daniel 3.2.
Si ce n’est à toi, ô roi. Adorer le roi, d’après les idées religieuses des Perses, n’était pas chose impie, au contraire. Les auteurs anciens témoignent que le roi perse était révéré comme fils et image des dieux et même comme dieu. Il en était de même chez les anciens Égyptiens et les Éthiopiens ; on sait qu’Alexandre-le-Grand se fit rendre en Égypte les honneurs divins. La proposition des ministres ne porte donc rien en soi d’extravagant ou d’invraisemblable. Darius, qui ne connaissait pas les desseins de ses fonctionnaires, accepta leur proposition (verset 9), sans doute comme un moyen excellent d’éprouver la fidélité de ses nouveaux sujets. Les populations soumises n’étaient pas contraintes par là d’adopter la religion du vainqueur, mais seulement d’accomplir un acte par lequel elles le reconnaissaient comme l’incarnation du Dieu suprême, victorieux en sa personne de leurs dieux nationaux. Cette conception est parfaitement conforme à la notion antique d’un monarque universel. Seuls les Juifs ne pouvaient sans infidélité accéder à la volonté du souverain.
Le sens de la première partie du verset est : Fais la chose en toutes formes.
Selon la loi du Mède et du Perse. Le premier des rois mèdes, Déjoces, s’était appliqué à faire du roi un personnage sacré, entouré d’une vénération extraordinaire et dont toutes les paroles, surtout une fois consignées et enregistrées, avaient un caractère irrévocable (comparez Esther 1.19 ; Esther 8.8).
L’auteur de Daniel fait la distinction entre une dynastie mède et une dynastie perse successives (comparez verset 28), mais il ne connaît qu’un seul royaume et une seule loi. Comparez Daniel 7.5, note.
Ouvertes : non grillées comme souvent en Orient. Comparez Ézéchie 40.16. Le texte ne signifie pas que Daniel ouvrit ces fenêtres à ce moment-là, comme pour braver, ainsi qu’on le croit d’ordinaire. Il s’agit d’une disposition tenant à la construction même de la chambre haute.
La chambre haute était la construction légère élevée sur le toit des maisons, où l’on se retirait lorsque l’on désirait être tranquille, par exemple pour prier. Actes 1.13 ; Actes 10.9.
Du côté de Jérusalem. Comparez 1 Rois 8.38 ; 1 Rois 8.44 ; 1 Rois 8.48 et Psaumes 28.2.
Trois fois. L’établissement de la coutume de prier trois fois par jour, que nous rencontrons dans le Nouveau Testament est attribué par la tradition rabbinique aux hommes de la grande Synagogue, postérieure à l’époque où Daniel vivait ; mais il est très possible qu’elle existât déjà auparavant comme habitude particulière à certains hommes pieux, surtout pendant l’exil et en l’absence des sacrifices. On en voit les premiers vestiges dans Psaumes 55.18.
L’un des captifs de Juda. Daniel est présenté ici, non comme le fonctionnaire aimé du roi, mais comme membre d’un peuple étranger et soumis, afin de faire ressortir la gravité de sa désobéissance au point de vue politique.
Il prit à cœur : cherchant dans les lois si elles n’offriraient pas quelque moyen d’annuler le châtiment mérité.
Jusqu’au coucher du soleil : peut-être parce qu’à ce moment-là les affaires cessaient.
Puisse ton Dieu… Le roi pouvait avoir entendu parler des miracles accomplis par le Dieu de Daniel sous les règnes de Nébucadnetsar et de Belsatsar.
La fosse aux lions. Les bas-reliefs d’Assourbanipal représentent des cages dans lesquelles se trouvent des lions captifs amenés à Ninive pour l’usage du roi. Il ne faut pas, ainsi que plusieurs critiques le font de manière à rendre le récit invraisemblable, se représenter la fosse aux lions comme une espèce de caveau étroit et obscur ayant la forme d’un entonnoir renversé et fermé en haut par une pierre, ainsi qu’une citerne peut l’être. Le voyageur Höst a vu des fosses aux lions au Maroc et en a donné une description qui paraît s’appliquer à celle qui existait à Babylone. Ces fosses sont à ciel ouvert et divisées en deux compartiments par un mur percé d’une ouverture que l’on peut ouvrir et fermer à volonté du dehors ; leur niveau est plus bas que celui du sol environnant ; elles sont entourées d’un mur élevé de quelques pieds pardessus lequel on peut voir dans la fosse. Une porte, par où l’on introduit les animaux, donne accès de l’extérieur à l’intérieur de la fosse. Comparez également la fosse aux ours à Berne. Rien n’empêche de se figurer la fosse aux lions de Babylone aménagée sur un modèle analogue. On comprend alors qu’un certain nombre de personnes puissent être jetées dans la fosse, verset 21 et que Darius puisse parler à Daniel avant que la pierre qui fermait la porte fût descellée, verset 20.
De l’anneau de ses grands seigneurs : afin que les accusateurs fussent assurés que Darius n’avait rien fait pour arracher Daniel à la mort.
Au point du jour : à la première lueur de l’aurore.
Dieu vivant. C’est une façon de parler propre aux Israélites : comparez Psaumes 42.3 ; Psaumes 84.3 ; 1 Samuel 17.36 ; etc. Darius peut l’avoir entendue la veille de la bouche de Daniel. Elle est du reste en rapport étroit avec l’acte que le roi espère de la part de ce Dieu et peut lui avoir été inspirée directement.
Parla avec le roi. Le mot parla dans ce contexte a une valeur particulière : cette voix qui part de la fosse est à elle seule une réponse.
Ne m’ont fait aucun mal. Littéralement : ne m’ont aucunement lésé… parce que je n’avais aucunement lésé (fin du verset). Daniel n’a pas péché contre l’esprit, mais seulement contre la lettre de l’édit et le roi sait reconnaître qu’il a agi comme il l’a fait, non par insubordination envers lui, mais par fidélité à Dieu.
Fit retirer. En présence de cette intervention visible du Dieu de Daniel, le roi reprend l’autorité qui lui appartient. Tout ceci est très psychologique.
Ceux qu’on exécute ici ne sont pas tous les fonctionnaires de l’empire, mais ceux qui avaient mené l’affaire à Babylone.
Eux, leurs femmes et leurs enfants. C’était l’usage en Perse de détruire la famille entière avec le coupable. Comparez le récit d’Hérodote, livre III, 119, sur le supplice d’Intaphernes ; cela était défendu chez les Juifs (Deutéronome 24.16), sauf dans le cas spécial d’interdit (Josué 7.24 et suivants).
Comparez Daniel 3.28-29 ; Daniel 4.3.
Notice analogue à celle qui termine le chapitre 1.
Prospéra : comparez Daniel 2.48 ; Daniel 3.30.
Ce Daniel : que ses ennemis voulaient perdre. Cette expression, qui revient trois fois dans le courant du récit, exclut la supposition que Daniel lui-même en soit le rédacteur.