Verset à verset Double colonne
Ce titre se rapporte non seulement à ce chapitre mais au livre entier ; car il mentionne les quatre rois sous lesquels Ésaïe a exercé tout son ministère.
Vision d’Ésaïe. Le livre d’Ésaïe ne renferme qu’une vision proprement dite, celle du chapitre 6 ; mais toute communication divine, lors même qu’elle n’a pas lieu sous forme d’image sensible, peut recevoir le nom de vision. Comparez Ésaïe 2.1 : la parole qu’Ésaïe a vue (Amos 1.1 ; Michée 1.1 etc.). L’ouvrage qu’Ésaïe avait composé sur la vie d’Ézéchias portait aussi le nom de vision (2 Chroniques 32.32). L’antique nom des prophètes était celui de voyants : Dieu révèle aux yeux de leur esprit ce qui reste caché au commun des hommes.
Touchant Juda et Jérusalem. Les prophéties d’Ésaïe concernant les peuples étrangers et le royaume des dix tribus ont toujours pour objet suprême Juda et Jérusalem, parce que Jérusalem est le siège du règne de Dieu et Juda la tribu royale qui doit enfanter le Messie.
Sur les quatre rois mentionnés ici (Osée 1.1 ; Michée 1.1), voyez l’introduction sur Ésaïe.
Ce discours a été placé en tête du livre d’Ésaïe, non qu’il soit la plus ancienne de ses prophéties, mais en raison de son contenu. Il sert d’introduction au livre entier. D’après les versets 6 à 8, le pays est ravagé par une armée étrangère. C’est ce qui n’eut lieu que deux fois pendant la vie d’Ésaïe : sous Achaz, lorsque Retsin et Pékach envahirent la Judée (Ésaïe 7.1) ; puis sous Ézéchias, lorsque Sanchérib se disposait à attaquer Jérusalem (chapitres 36 et 37). C’est à cette dernière époque qu’appartient notre discours. D’après les versets 11 à 15, le culte est fidèlement célébré en Juda ; ce n’était point le cas sous Achaz. D’après les versets 7 et 8, Jérusalem seule est épargnée au milieu d’un pays dévasté par des étrangers : ces traits conviennent à merveille à l’invasion assyrienne (2 Rois 18.13 ; 2 Rois 19.26 ; 2 Rois 19.29-32)
Ce discours d’ouverture résume les expériences du prophète durant son long ministère. Il dénonce l’impiété et l’immoralité qui se couvrent du manteau du formalisme et prédit des châtiments nouveaux et toujours plus sévères. Ce réquisitoire se développe en trois strophes :
Comparez le début du cantique de Moïse, Deutéronome 32.1. La plainte de Dieu est celle d’un père odieusement trahi par ses enfants. Elle est si grave, qu’il veut la faire entendre aux témoins les plus antiques et les plus vénérables, à ceux-là mêmes qui ont assisté à la conclusion de son alliance avec Israël et aux soins fidèles qu’il lui a voués. Comparez Michée 6.1-2 ; Michée 1.2 ; Psaumes 50.4 ; Ésaïe 34.1
Des enfants. Comparez Exode 4.22 ; Deutéronome 32.6 et surtout Osée 11.1-4 : Lorsqu’Israël était jeune enfant, je l’aimai, je l’appelai hors d’Égypte… ; j’ai appris à Éphraïm à marcher…, je lui ai présenté la nourriture.
Le bœuf et l’âne étaient les animaux domestiques les plus communs en Palestine (Exode 20.17 ; Luc 14.5).
Ha ! exprime l’indignation et la surprise.
Le Saint d’Israël. Ce nom de Dieu se trouve 29 fois dans le livre d’Ésaïe, 5 fois seulement dans le reste de l’Ancien Testament Le chapitre 6 explique la prédilection du prophète pour cette expression. La sainteté est à ses yeux le trait saillant du caractère de Dieu (voir à Ésaïe 6.3). De cette perfection résulte la nécessité du jugement en général. Mais le terme Saint d’Israël exprime l’idée d’un rapport spécial de Dieu avec Israël. Dieu se sanctifie dans ce peuple ; il l’a choisi pour s’y révéler et en faire l’organe de sa propre sainteté dans le monde. Dieu est le Saint d’Israël, afin qu’Israël soit à son tour le saint de Dieu. De là découle une garantie, de protection pour les justes (Osée 11.9) ; mais de là résulte aussi la gravité exceptionnelle de l’infidélité d’Israël.
Ésaïe a évidemment sous les yeux le spectacle qu’il dépeint. Le pays et ses habitants sont comparés à un homme blessé, dont le corps, tout en plaies vives, n’offre plus même au juge une place où le frapper encore.
Accomplissement littéral des menaces Lévitique 26 et Deutéronome 28.
Des étrangers. Il n’y a que des étrangers (des barbares dans le sens antique du mot) qui ont pu en agir ainsi (Reuss). Remarquez la répétition du mot étrangers à la fin de la phrase : tournure oratoire qu’Ésaïe emploie souvent pour faire ressortir le mot essentiel.
La fille de Sion : la ville de Jérusalem. Sion désigne primitivement la montagne qui portait la citadelle de David ; puis la citadelle elle-même ; enfin la ville qui s’établit à l’entour et ses habitants. Dans la locution fille de Sion, la ville, par une figure poétique familière à l’Ancien Testament et employée aussi par la statuaire moderne, est personnifiée sous les traits d’une jeune fille. Comparez Ésaïe 47.1 : fille de Babylone. Le mot Sion n’est donc pas le complément, mais l’apposition du mot fille : la fille qui est ou qui se nomme Sion (exactement comme nous disons : la ville de Rome, la ville de Paris). Les habitants sont envisagés comme les enfants de la ville ainsi personnifiée (Ésaïe 54.1 ; Ésaïe 60.4 ; Ésaïe 66.8).
Est restée… Tout le pays est ravagé ; Jérusalem demeure seule debout, semblable à une hutte de gardien dans une vigne ou dans un champ.
Tour de garde, littéralement : une ville de garde, c’est-à-dire, où veillent constamment des gardiens : un de ces forts isolés que l’on élève sur les frontières d’un pays pour défendre les passages. Comparez 2 Rois 17.9, où ces forts sont opposés aux grandes villes.
L’Éternel des armées. Voir à 1 Samuel 1.3 (où ce nom paraît pour la première fois). Le mot hébreu tsebaoth signifie moins des armées pourvues de moyens de destruction que des cohortes rangées. Ces cohortes sont les astres et les anges. Le Dieu des armées est donc celui qui, dans l’univers, gouverne tout avec ordre.
Un faible reste : Jérusalem avec ses habitants et le peuple réfugié dans son enceinte. Sans ce dernier reste, Israël serait effacé de la terre comme le furent les villes de la plaine (Genèse 19).
La fidélité dans le culte, loin d’excuser le péché, le rend plus odieux ; une repentance sincère, qui aura pour fruit la justice, peut seule procurer la bénédiction de Dieu.
Vous ne différez de Sodome et de Gomorrhe que par le sort que la miséricorde de Dieu vous a fait (Ésaïe 3.9 ; Deutéronome 32.32 ; Ézéchiel 16.44-58).
Comparez Amos 5.21-23. La loi ordonnait sans doute tous ces actes de culte, mais elle les prescrivait pour former l’homme à l’obéissance, non pour l’en dispenser. La pratique du bien voilà le vrai sacrifice que Dieu demande. Comparez 1 Samuel 15.22 ; Psaumes 40.7 ; Psaumes 51.18 ; Osée 6.6 ; Michée 6.6-8, etc.).
Fouler les parvis. Cette expression indique que si l’on n’y vient dans un vrai esprit d’adoration, les fouler, c’est les profaner (Apocalypse 11.2).
Ésaïe mentionne quatre espèces de solennités :
Vous étendez vos mains. La coutume juive n’était pas de joindre les mains, mais de les élever vers le ciel pour la prière (Exode 17.11 ; comparez 1 Timothée 2.8).
Pleines de sang : des mains qui ont servi d’instruments de meurtre ; on osait venir au temple après avoir tué. Les mœurs de ce temps étaient d’une violence dont nous nous faisons avec peine une idée (Proverbes 1.10-16).
La nouvelle, comme l’ancienne alliance, établissent que Dieu ne peut pardonner au pécheur qu’autant qu’il a rompu intérieurement avec le mal ; de cette rupture résultent infailliblement dans la conduite de sérieuses améliorations. Ce qu’Ésaïe réclame ici, comme condition du pardon, c’est exactement ce que Jean-Baptiste demandait aux Israélites comme condition de leur entrée dans le royaume du Messie (Luc 3.7-14).
La loi avait expressément recommandé à la bienveillance du peuple et surtout des magistrats, les orphelins et les veuves, en général tous les êtres privés de leurs appuis naturels (Exode 22.21-27). Les violences commises contre eux sont un des péchés les plus fréquemment censurés par les prophètes et en particulier par Ésaïe (Ésaïe 3.14-15 ; Ésaïe 10.2)
Oh ! Venez et débattons nos droits… Poursuivant son appel à la conversion (versets 16 et 17), le prophète invite le peuple à se présenter devant Dieu avec les dispositions qu’il réclame. Alors il verra si ses droits de peuple de l’alliance ne seront pas reconnus, malgré l’injustice qui a jusqu’ici souillé ses mains. Israël, en effet, mis en accusation par son Dieu, se permet de l’accuser à son tour et le force ainsi à se défendre. Mais c’est en vain qu’il fait valoir ses observances extérieures ; l’injustice en détruit tout le mérite. Qu’il entre donc dans la voie que Dieu lui trace et il verra si le pardon et la bénédiction divine ne lui seront pas rendus ! Que si Dieu en agit autrement, alors Israël pourra justement l’accuser. Comparez le procès de Dieu avec son peuple, dans Michée 6.2-8. Dieu veut non seulement être juste, mais être reconnu tel par ses créatures.
Blancs comme la neige… comme la laine. La blancheur de la neige et de la laine est l’emblème de la parfaite pureté (Apocalypse 7.9-14 ; Apocalypse 19.8), tandis que le rouge, couleur du sang (verset 15), est le symbole du crime (comparez le vêtement écarlate de la prostituée, Apocalypse 17.1-6). L’acte de blanchir représente ici l’œuvre de la grâce qui purifie l’âme par un complet pardon.
Écarlate, cramoisi. Les deux mots désignent la même couleur, le rouge éclatant. Le second signifie proprement ver (sanscrit krimi, arabe kermes) et désigne une espèce d’insecte (coccus ilicis) qui dépose ses œufs sur certains chênes nains, très communs dans l’Asie occidentale et dans le sud de l’Europe (quercus coccifera). On obtient, en broyant l’insecte, un rouge vif, dont les anciens se servaient pour teindre, les vêtements de luxe.
Si le peuple répond à l’appel de Dieu, il jouira de nouveau des biens du pays, dont il est maintenant privé (verset 7). Mais s’il persiste dans sa rébellion, la menace Lévitique 26.25 se réalisera.
La bouche de l’Éternel a parlé. Ces mots indiquent que nous avons ici la citation textuelle d’une antique parole prophétique.
Quelle différence morale entre le passé et le présent (versets 21 à 23) ! C’est ce contraste qui rend nécessaire un nouveau jugement (versets 24 à 25). Ésaïe développe enfin l’alternative énoncée versets 19 et 20, c’est-à-dire la promesse d’une part (versets 26 et 27), la menace de l’autre (versets 28 à 31).
Cité fidèle : Jérusalem sous David et dans les premiers temps de Salomon.
Une prostituée. Expression symbolique qui caractérise l’idolâtrie et les désordres qui s’y rattachaient. L’infidélité du peuple provoque la jalousie de Dieu, qui est son Epoux. Cette image se retrouve dans une foule de passages (Exode 20.5 ; Exode 34.14 ; Jérémie 31.32 ; Ézéchiel 16 etc. ; comparez Matthieu 16.4).
Ton argent : les éléments les plus nobles, les princes du peuple (verset 23), qui devraient donner l’exemple du bien.
Changé en scories : les chefs se sont rendus semblables à ce qu’il y a de plus vil dans la nation.
Vin coupé d’eau. Image de la piété nationale, qui n’est plus de bon aloi, car elle ne consiste que dans des apparences trompeuses.
Comparez Genèse 49.24. Les adversaires sont les Israélites rebelles.
Mélangée aux métaux en fusion, la potasse sert à activer la séparation entre les parties viles (plomb, etc.) et le métal noble, qui sort ainsi pur du creuset. C’est l’effet que produira en Israël le jugement qui détruira les rebelles et ne laissera subsister que les fidèles. Comparez Malachie 3.3
Après le jugement, Israël aura de nouveau des chefs tels que ceux qu’il eut dans ses meilleurs jours, Moïse, Samuel, David. Comparez le tableau de cette restauration tracé Jérémie 23.4-6.
Sion ne pouvant être sauvée que par la justice (versets 16 à 20), des individus seulement participeront au salut, non toute la nation (verset 28 et suivants). La grâce qui sauve ne porte donc point atteinte à la justice, qui est l’éternel fondement du règne de Dieu (Psaumes 99.1-5).
Térébinthes, jardins : les bocages consacrés aux idoles et à leurs cultes infâmes (2 Rois 16.1). Le térébinthe, arbre résineux, dont il existe deux espèces en Palestine, y atteint une hauteur de 7,5 à 9 mètres et y perd ses feuilles en hiver (contrairement à ce qui est quelquefois avancé par erreur). Des arbres de cette taille étaient l’objet d’une vénération particulière. On célébrait volontiers sous leur ombre des cérémonies religieuses, on s’y assemblait (Juges 4.5), on enterrait les morts à leur pied (Genèse 35.8).
Celui qui a péché sous ces arbres, dans ces jardins, devient lui-même semblable à un térébinthe flétri, à un jardin sans eau (Psaumes 37.35-36).
L’homme fort : l’homme d’autorité, dont le peuple suit les conseils. Il est soudainement consumé, comme le serait la matière la plus inflammable et sa propre œuvre est l’étincelle qui allume cet incendie : c’est-à-dire que sa ruine est amenée par les conséquences mêmes de sa méchanceté.
Personne n’éteindra. Comparez Ésaïe 66.21. Le livre entier d’Ésaïe se termine par cette pensée qui clôt le discours d’introduction.