Verset à verset Double colonne
1 Sentence de Tyr. Hurlez, navires de Tarsis ; car elle est détruite ! Plus de maisons, on n’y entre plus ! C’est du pays de Kittim qu’ils en reçoivent la nouvelle.Le prophète annonce la ruine de Tyr (versets 1 à 14), puis son relèvement après soixante-dix ans d’humiliation (versets 15 à 18). On ne peut fixer qu’approximativement la date de cette prophétie. Du temps d’Ésaïe, Tyr fut assiégée par Salmanasar, roi d’Assyrie. Repoussé avec de grandes pertes, il dut se borner à intercepter les sources d’eau potable qui alimentaient la ville. Ce blocus dura cinq ans et finit sans doute avec son règne. Ce n’est pas à ce siège, demeuré d’ailleurs sans résultat, qu’il faut appliquer notre prophétie, puisque, d’après le verset 13, les destructeurs de Tyr doivent être, non les Assyriens, mais les Chaldéens. Cependant cette tentative de Salmanasar peut fort bien en avoir fourni l’occasion. Juda, qui tournait à cette époque ses regards vers l’Égypte, devait être aussi tenté de s’appuyer sur la forteresse de la mer, qui venait de soutenir victorieusement l’attaque des Assyriens. Le prophète déclare que ces Assyriens qui n’ont pas vaincu Tyr, seront vaincus par les Chaldéens et Tyr avec eux. Il ne faut donc pas s’appuyer sur cette ville qui, comme l’Égypte (chapitre 19), sera frappée par le jugement de Dieu.
Tyr : la principale ville des Phéniciens, célèbre dans l’antiquité par son industrie (fabrication du verre et de la pourpre, métallurgie, etc.), par ses richesses et par ses nombreuses colonies en Asie-Mineure, en Chypre, au nord de l’Afrique et jusqu’en Espagne. Le commerce de l’antiquité était tout entier aux mains des Phéniciens, particulièrement des Tyriens et des Sidoniens. Ils étaient réputés également comme les plus habiles navigateurs. Tyr est mentionnée souvent dans l’Ancien Testament, surtout dès le temps de David et de Salomon. Son roi Hiram entretenait des rapports amicaux avec ces deux princes (1 Rois 5.1 ; 1 Rois 9.11). Tyr dominait sur une partie de la côte phénicienne et du Liban et au temps d’Ésaïe était à la tête de toutes les autres villes de Phénicie.
Navires de Tarsis. On nommait ainsi les vaisseaux tyriens qui faisaient le commerce de l’Espagne (voir Ésaïe 2.16, note) ; ils en rapportaient principalement des métaux (Ézéchiel 27.12 ; Jérémie 10.9).
Hurlez ! Exclamation adressée aux navigateurs tyriens qui reçoivent en mer la nouvelle de la prise de Tyr et de la destruction de leurs foyers.
Kittim : l’île de Chypre, dont la ville principale, Cittium, était une colonie tyrienne.
Soyez muets. Ces mots s’adressent aux objets immédiats de la catastrophe, les habitants de l’île ; car cette île est Tyr elle-même. La ville de Tyr se composait de deux parties : l’ancienne ville, située sur le continent et appelée Palœtyrus ; et la nouvelle, bâtie sur une petite île, à un kilomètre environ de la côte. Cette dernière était le siège du commerce tyrien ; elle possédait deux ports, les meilleurs de la côte de Syrie. Lorsqu’Alexandre, maître déjà des villes du littoral, assiégea la nouvelle Tyr, il combla, au moyen d’une chaussée, le canal qui la séparait du continent. L’île est ainsi devenue une presqu’île ; son extrémité est occupée aujourd’hui par la petite ville de Sûr (5000 habitants environ).
Sidon : ville phénicienne de la plus haute antiquité, mentionnée déjà dans le Pentateuque (Genèse 10.15) et souvent dans Homère, tandis qu’il n’y est pas encore parlé de Tyr. Sidon est appelée la grande Josué 11.8 ; aujourd’hui son nom est Saïda ; c’est une ville d’environ 10 000 âmes, située sur la côte, à trente kilomètres au nord de Tyr. La nouvelle et peut-être l’ancienne Tyr elle-même était une colonie de Sidon.
Le blé du Nil. Le blé de l’Égypte est appelé ainsi parce que ce pays devait au Nil son extrême fertilité (Genèse 41.57 ; Genèse 42.4 et suivants). L’Égypte était le grenier du monde ancien, les Phéniciens soutinrent avec elle, dès les temps les plus reculés, des relations de commerce très étroites. Voir, sur le commerce de Tyr, Ézéchiel 27.
Sidon, l’antique métropole de la Phénicie, est humiliée du désastre de l’une de ses filles (Tyr). Le commerce de l’une des deux villes ne pouvait être ruiné sans que celui de l’autre n’en souffrit.
La mer aussi est dans le deuil ; car Tyr est comme sa fille ; bâtie au sein de la mer, elle lui doit sa prospérité.
La citadelle de la mer : Tyr, qui se croyait, imprenable dans son île. Comparez Ézéchiel 26.17.
À parlé… Tyr est tellement privée de ses enfants, qu’elle parle comme si elle n’en avait jamais eu.
La cité, fière de sa haute antiquité et de ses colonies lointaines et dont les marchands égalaient des princes, n’est plus. Cette ruine est l’œuvre de Dieu.
Passez à Tarsis. Tout ce qui n’a pas péri à Tyr, doit chercher un refuge dans les colonies. Lors du siège de Tyr par Alexandre, les Tyriens firent passer à Carthage, la principale de leurs colonies, les vieillards, les femmes et les enfants.
Cité joyeuse. Comparez Ézéchiel 26.13.
Aux jours anciens. Les prêtres de Tyr lui donnaient, au temps d’Hérodote, 2300 ans d’existence. C’était, d’après Strabon, la plus ancienne des villes de Phénicie, Sidon exceptée.
Que ses pieds portaient au loin… Autant son origine remontait haut dans le temps, autant son empire s’étendait loin dans l’espace. Les pieds sont le symbole du mouvement.
Qui donnait des couronnes. Les colonies de Tyr étaient gouvernées par des princes dépendants de la métropole (Psaumes 72.10). Comparez Ésaïe 2.10-12.
Répands-toi dans ton pays, comme le Nil. Les habitants de la colonie de Tarsis (la fille de Tarsis, comparez Ésaïe 1.8, note) qui ont jusqu’ici exploité les produits de leur pays pour le compte de Tyr, pourront désormais le posséder et le parcourir librement, comme se répand le Nil quand il déborde sur toute l’Égypte (Amos 8.8).
Tu n’as plus de chaînes. La colonie est émancipée ; elle prend le rang de cité indépendante.
Il : l’Éternel.
À étendu sa main sur la mer : pour frapper la forteresse de la mer. Comparez Exode 14.21.
Les royaumes, celui d’Égypte, par exemple (verset 5), comprennent, en voyant le sort de Tyr, celui qui les attend eux-mêmes.
Canaan. Comparez Genèse 10.19. Ce terme désignait non seulement le pays occupé par les Israélites, mais aussi la Phénicie. Les Juifs appelaient ordinairement les Phéniciens Cananéens, nom qui signifie marchands. Le jugement qui frappe Tyr s’étend à toute la Phénicie.
Fille de Sidon. La population de Sidon vaincue est comparée à une vierge déshonorée.
Passe à Kittim. Comme Tyr a fui à Tarsis (verset 6), Sidon devra se réfugier en Chypre. Mais là même les fugitifs ne trouvent pas le repos : la colonie émancipée refuse de les accueillir. Les colonies phéniciennes supportaient impatiemment le joug de leurs métropoles. Peu de temps avant le siège de Tyr par Salmanasar, le roi Eluléus avait dû réprimer une révolte des Cypriotes.
Le texte hébreu de ce verset est obscur. Il nous paraît que le prophète y annonce la destruction de Ninive par les Chaldéens. Cet événement devait être pour Tyr le présage du sort qui l’attendait.
Ce peuple qui n’était pas. Cette expression, appliquée aux Chaldéens, est embarrassante ; car leur empire est plus ancien même que celui de Ninive. Elle s’explique sans doute par le fait qu’au temps d’Ésaïe la Chaldée ne formait pas un empire indépendant ; elle était divisée en plusieurs États, la plupart vassaux de Ninive. Le prophète voit surgir une monarchie chaldéenne qui s’affranchit de la domination assyrienne et qui exécute enfin sur Ninive le jugement de Dieu. La tentative d’émancipation de Mérodac-Baladan, à l’époque d’Ésaïe (chapitre 39 ; voir introduction), fut le prélude de cette renaissance de la puissance chaldéenne qui atteignit son apogée sous le règne de Nébucadnestar.
Assur, il (le peuple chaldéen) l’a livré aux bêtes du désert, littéralement : il l’a fondé pour les bêtes sauvages. Cette phrase pourrait avoir le sens directement opposé : Assur l’a livré (a livré les Chaldéens) aux bêtes du désert. Mais on ne saurait trop à quoi ces mots feraient allusion. Il est plus naturel de faire d’Assur l’objet et des Chaldéens le sujet de la phrase. Ésaïe nomme ici le mystérieux ennemi dont il a menacé la Palestine au chapitre précédent (Ésaïe 22.1-14) et qui, après avoir détruit Ninive frappera Tyr. Ninive fut prise en 606 par le Chaldéen Nabopolassar, allié au Mède Cyaxare ; elle devint dès lors, à la lettre, la demeure des bêtes du désert. Comparez Sophonie 2.13 et suivants.
Ils : les Chaldéens.
Ses palais : ceux de Ninive. Les Chaldéens, qui ont pu abattre Ninive, sauront bien aussi réduire Tyr, qui se vante de sa résistance victorieuse à Salmanasar.
Après cette digression, Ésaïe revient à Tyr. Nébucadnetsar assiégea cette ville pendant treize ans. L’histoire ne dit pas positivement qu’il la prit. Mais cela ressort du passage Ézéchiel 29.17-24 et du témoignage des anciens d’après lequel ce prince soumit toute la Phénicie. Tyr fut dès lors assujétie aux Chaldéens ; c’est de Babylone qu’on lui envoyait ses rois, des princes phéniciens captifs. Il paraît donc que Nébucadnetsar la laissa subsister, ainsi que le fit plus tard Alexandre, qui s’en empara après sept mois de siége. C’est au moyen-âge seulement que Tyr a subi une véritable destruction. Le prophète attribue aux Chaldéens la ruine qu’ils n’ont fait que commencer et il la décrit comme si elle devait se réaliser d’un seul coup. Dans l’événement qui priva Tyr de son indépendance se concentre à ses yeux la série des catastrophes qui ont consommé sa chute.
Après soixante-dix ans d’abaissement, Tyr se relèvera et le produit de son trafic sera consacré à l’Éternel.
En ce jour-là : celui de la prise de Tyr (versets 1 à 14).
Sera oubliée. Elle perdra momentanément sa position de reine des mers. Le long siège et la prise de Tyr par Nébucadnetsar durent porter un coup fatal à son commerce.
Soixante-dix ans. Ces soixante-dix ans sont, d’après le verset 13, comme dans Jérémie, la période de la domination chaldéenne (Jérémie 25.11-12 ; 2 Chroniques 36.21), qui dura depuis l’an 606, où les Chaldéens prirent Ninive, jusqu’en 538, où Babylone fut à son tour prise par Cyrus. Nous ignorons en quelle année Tyr elle-même fut prise. 70 est un nombre rond, comme le montre l’expression suivante : la durée des jours d’un roi, qui signifie : ce que peut durer au maximum le règne d’un prince. Après cette période, Tyr se relèvera.
La chanson. Nous trouvons ici un spécimen intéressant de la poésie populaire et profane au temps d’Ésaïe.
Tyr sera semblable à une courtisane délaissée qui réussit par ses artifices à sortir de l’oubli où elle était tombée. Ainsi, dans le but de s’enrichir, cette ville cherchera à renouer des relations avec tous les peuples et à les attirer chez elle.
Elle recevra de nouveau son salaire : son commerce recommencera à prospérer. C’est ce qui arriva sans doute après la chute de la domination chaldéenne. Tous les peuples opprimés se relevèrent. Les Juifs rentrèrent en Palestine et rebâtirent leur temple ; Tyr, sans recouvrer son ancienne puissance politique, redevint florissante. Au temps de la domination romaine, son commerce était encore très prospère.
Tyr convertie, à la suite de son jugement, consacrera le fruit de son trafic à l’Éternel et à ses serviteurs (comparez Ésaïe 18.7). On pourrait trouver un accomplissement partiel de cette prophétie dans le fait rapporté Esdras 3.7, où nous voyons les Tyriens et les Sidoniens contribuer à la construction du nouveau temple, en amenant gratuitement du Liban à Jaffa les bois nécessaires. Tyr avait jadis déjà coopéré à la construction du temple de Salomon ; elle restait ainsi fidèle à son rôle. On pourrait aussi penser à la fondation de l’Église chrétienne à Tyr (Actes 21.3 et suivants). Mais l’accomplissement absolu de la prophétie du relèvement ne peut avoir lieu qu’après que le jugement lui-même est arrivé à son terme. De même que les Égyptiens et les Assyriens sont présentés au chapitre 19 comme les types de tout le monde païen, au point de vue de sa puissance et de sa civilisation en général, de même Tyr convertie représente l’activité commerciale sanctifiée et s’employant à l’avancement du règne de Jéhova sur la terre. C’est ce qui arrivera à la fin des temps soit pour Tyr elle-même, soit pour cette branche du travail humain dont elle était l’incarnation au temps d’Ésaïe. Le prophète n’indique que le point de départ des châtiments et des relèvements qui se succèdent dans l’histoire et le terme auquel les uns et les autres doivent aboutir. La prophétie n’est pas l’histoire ; mais son accomplissement, pour être réparti en une série de phases confondues dans l’intuition prophétique, n’en est pas moins réel.