Verset à verset Double colonne
Ce chapitre renferme la réponse de l’Éternel à la prière du peuple (Ésaïe 63.7-64.12). En voici le résumé :
En un mot, à la prière offerte en faveur de tout le peuple sans distinction (voir Ésaïe 64.8-9), le Dieu juste répond qu’Israël ne sera ni détruit ni sauvé tout entier : les impies périront ; mais un reste échappera au jugement et deviendra avec les païens croyants l’objet de toutes ses bénédictions.
Saint Paul cite, Romains 10.20-21, les versets 1 et 2 d’après la version des LXX et applique le verset 1 à la vocation des païens et le verset 2 à l’incrédulité des Juifs. Calvin, Zwingle interprètent ce passage de la même manière. La plupart des interprètes modernes, au contraire, appliquent déjà le verset 1 à Israël, dans ce sens : J’étais accessible (à portée) pour des gens (les Juifs) qui ne se souciaient pas de moi. Mais on fausse ainsi le sens des verbes hébreux, qui peuvent bien signifier : je me suis laissé (ou fait) chercher, trouver, mais non pas : j’étais trouvable (sans avoir été réellement trouvé). Comment, d’ailleurs, appliquer aux Juifs l’expression : une nation qui ne porte point mon nom ? Comparez la locution : ceux qui portent mon nom, pour désigner précisément Israël Ésaïe 43.7. Quelques-uns modifient la ponctuation et traduisent : une nation qui n’invoque pas mon nom. Mais ce titre ne conviendrait pas même à Israël infidèle (Jérémie 10.25). L’application du verset 1 aux païens est confirmée par l’opposition entre le terme une nation, au verset 1 (goï, le mot qui désigne ordinairement les païens) et le terme peuple (am), au verset 2, opposition qui ne peut guère être accidentelle. Les versets 1 et 2 font donc ressortir le grand contraste entre les païens, qui ne connaissaient pas Dieu et dont Dieu se fait trouver et les Juifs ; que Dieu a si longtemps cherchés et qui ont refusé de se laisser trouver par lui (voyez ce même contraste Ésaïe 52.15-53.1). Israël s’est plaint que son Dieu le traitât comme s’il n’était plus son peuple (Ésaïe 63.19). Dieu répond : Il est vrai, ce sont les païens qui désormais sont mon peuple. Comparez Matthieu 21.13 : Le royaume vous sera ôté pour être donné à une nation qui en rendra les fruits et la parole de Moïse Deutéronome 32.20-21. Dieu n’est lié par ses promesses à la race d’Abraham que sous la condition de la foi. Si cette foi est refusée, il saura susciter à Abraham une nouvelle postérité spirituelle. Comparez Ésaïe 44.5 ; Ésaïe 45.22.
Qui ne me réclamaient, ne me cherchaient pas. Ces expressions ne renferment pas ici un reproche à l’adresse des païens ; s’ils n’invoquaient pas l’Éternel, c’est qu’ils ne le connaissaient pas. Dieu vient au-devant d’eux dans leur ignorance et il n’a qu’à se montrer pour être accueilli par eux.
Le verset 2 motive la vocation des païens (verset 1) par la résistance obstinée que Dieu a rencontrée chez les Juifs.
J’ai étendu mes mains… Image d’un père qui supplierait ses enfants rebelles.
Tout le jour : c’est-à-dire pendant tout le temps des relations de Jéhova avec son peuple, depuis la sortie d’Égypte jusqu’à la captivité.
Rebelle. Comparez Ésaïe 30.1-9 et suivants ; Ésaïe 48.4-8.
Le mauvais chemin : voir la description Ésaïe 59.7-8.
Non seulement ils négligent ce que Dieu ordonne, mais ils violent impudemment le plus grand commandement, en se livrant à l’idolâtrie (comparez Deutéronome 32.21).
Jardins : les bocages sacrés des idoles (Ésaïe 1.29).
Sur les briques. Ce trait s’applique bien à la Babylonie, où de tout temps on a construit en briques (Genèse 11.3) ; mais l’usage des briques n’était pas non plus inconnu en Palestine (Ésaïe 9.9). Il y avait là une violation de la loi, qui ne permettait que des autels en terre, en pierres non taillées et en bois (Exode 20.24-25 ; Exode 30.1).
Dans (ou parmi) les sépulcres : pour se mettre en rapport avec les démons et les morts, ce que la loi interdisait formellement (voir à Ésaïe 8.19).
Des cachettes : des cavernes naturelles ou des cryptes artificielles, où l’on célébrait les mystères des dieux. On a trouvé des idoles de terre cuite dans des souterrains creusés sous les palais babyloniens.
De la chair de porc : interdite par Moïse (Lévitique 11.7). Cette violation de la loi est d’autant plus coupable qu’il s’agit ici des repas de sacrifices idolâtres. On peut voir par 2 Maccabées, chapitres 6 et 7 que l’abstention de la chair de porc était une marque distinctive du Juif fidèle et un témoignage non équivoque de son attachement à Jéhova. Chez les païens, il était fort ordinaire d’offrir cet animal en sacrifice.
On était initié à ces cultes mystérieux, tenus pour particulièrement saints, par des cérémonies de purification ; c’est à ces rites que notre passage fait allusion. Les initiés, qui croient être après cela en possession d’une sainteté supérieure, invitent les profanes (les fidèles adorateurs de Jéhova) à respecter en eux ce caractère sacro-saint et à ne pas les souiller par leur contact, de peur d’éveiller le déplaisir des dieux nouveaux.
La fin du verset indique le sort réservé à ces idolâtres : ils seront les objets de la colère de Dieu. Ésaïe décrit cette colère comme un feu inextinguible qui se manifeste par une fumée sortant de ses narines ; les narines sont envisagées comme le siège de la colère, selon une image très fréquente. Comparez Ésaïe 30.27 ; Deutéronome 32.22.
Cela est écrit… Non seulement le châtiment est décidé, mais le décret en est déjà consigné par écrit. Cette image signifie que la menace verset 5 est désormais irrévocable. Comparez Jérémie 22.30.
Dans leur sein. On porte en Orient les provisions dans le pli très ample que forme la robe sur la poitrine Ruth 3.15 ; Luc 6.38).
Le brusque changement de personne (leur, vos) est bien dans la manière d’Ésaïe (voir Ésaïe 33.2 et ailleurs).
Le péché d’Israël date de loin. Les Israélites d’aujourd’hui ne font que suivre, en dépit des avertissements et des menaces de Dieu, l’exemple que leur ont donné leurs pères. Mais la coupe est comble et tout le poids des fautes accumulées depuis longtemps va retomber sur la tête de cette génération.
L’idolâtrie palestinienne (celle des pères) est, comme toujours, caractérisée par le culte des hauts lieux (voyez Ésaïe 57.7 ; Osée 4.13), peut-être en opposition à celle de l’exil (verset 3 et 4).
Le passage Jérémie 32.18 paraît être tiré de notre verset, combiné avec Exode 20.6 et Deutéronome 10.17.
On eût pu croire, d’après ce qui précède, que tout était perdu. L’Éternel relève le courage des fidèles ; il promet de retirer ses serviteurs de la masse vouée au châtiment et de se servir d’eux pour accomplir le salut du monde. Le peuple est comparé à une grappe dont une partie est pourrie, mais qu’on se garde de jeter entièrement, à cause du suc précieux qui se trouve encore dans quelques-uns de ses grains. L’image est appliquée au verset 9.
Jacob et Juda : les deux portions du peuple de Dieu amenées successivement en captivité.
Mes montagnes : la Palestine (Ésaïe 14.25). L’héritier est le reste, ou la semence sainte (Ésaïe 4.2-3 ; Ésaïe 6.13).
Ils posséderont le pays tout entier ; et celui-ci sera dans toute son étendue, depuis la plaine de Saron à l’ouest, jusqu’à la vallée d’Acor, à l’est (près de Jéricho ; Josué 7.24) d’une admirable fertilité. Comparez les tableaux des temps messianiques Ésaïe 30.23-25 ; Ésaïe 32.20.
Dressez la table, remplissez la coupe… Ces expressions se rapportent aux libations et aux repas qu’il était d’usage d’offrir aux dieux. Hérodote (I, 481) parle de la table d’or et du lit somptueux (le divan où l’on était à demi-couché dans le repas, selon la mode antique) qui se trouvaient à l’étage supérieur du grand temple de Nébo à Babylone.
Gad : le dieu du bonheur ? La Fortune, que les Babyloniens identifiaient avec la planète Jupiter (connue aussi sous le nom de Mérodac).
Le Destin (en hébreu Méni) était une autre divinité babylonienne, la Lune, ou plus probablement Vénus. Jupiter et Vénus étaient, chez les Arabes, ces deux astres propices, Saturne et Mars les deux astres néfastes.
Remarquez le jeu demots : le Destin et je vous destine (verset 12).
Comparez Ésaïe 10.4 puis Ésaïe 50.2 et Ésaïe 65.2.
Le prophète développe dans cinq antithèses (versets 13 à 15) le contraste entre le sort des serviteurs de Dieu et celui de ses ennemis : les premiers, paisibles possesseurs de Canaan et des bénédictions théocratiques ; les autres, privés de tous les biens et laissant après eux un nom maudit.
Le nom des Israélites infidèles servira d’imprécation : leur sort demeurera proverbial et la plus affreuse malédiction sera de dire à quelqu’un : L’Éternel te traite comme ces gens-là (Jérémie 29.22 ; Genèse 48.20) !
Un autre nom : un nom nouveau (Ésaïe 62.2), remplaçant le nom funeste de cet ancien Israël, que l’Éternel aura frappé. Ces paroles prophétiques se sont accomplies : les Israélites fidèles à Jéhova portent un nom nouveau, celui de chrétiens.
Se bénir, c’est se souhaiter du bien à soi-même. Jurer, c’est se maudire soi-même (dans le cas où l’on mentirait). On ne prononcera plus de vœu ni d’imprécation qu’au nom de l’Éternel ; car Jéhova sera devenu le Dieu de toute la terre. Comparez Jérémie 4.2. Par cet hommage universel on célébrera particulièrement sa fidélité, qui se sera manifestée avec éclat comme le trait distinctif de son caractère. Aussi le nom sous lequel on l’invoquera sera-t-il : le Dieu de vérité (littéralement : le Dieu d’Amen, c’est-à-dire dont la parole est la vérité même ; 2 Corinthiens 1.9 ; comparez Apocalypse 3.14). Cette fidélité sera démontrée par l’accomplissement de ses menaces, mais surtout par celui de ses promesses ; car toute affliction aura si complètement cessé qu’on ne pensera plus aux douleurs passées et que Dieu lui-même ne s’en souviendra plus (comparez Michée 7.19).
Les derniers mots du verset 16 annoncent l’ouverture d’une ère nouvelle, dans laquelle toutes les peines des élus seront oubliées. Cette idée est reprise et développée dans la description des temps messianiques, versets 17 à 25. À plus d’une reprise, Ésaïe avait parlé déjà de la destruction du monde actuel (Ésaïe 24.19-20 ; Ésaïe 34.4 ; Ésaïe 51.6) ; Ésaïe 51.16, il avait promis expressément une création nouvelle. Le tableau qu’il trace ici de cette dernière rappelle celui du règne messianique, chapitre 11. Deux extrêmes doivent être évités dans l’interprétation de ces descriptions de l’avenir : l’un consiste à les prendre grossièrement à la lettre, l’autre à les spiritualiser sans mesure ou à n’y voir que le développement poétique d’une idée morale. Une heure viendra certainement où le règne de Dieu, après s’être établi dans l’humanité, éclatera au dehors dans les splendeurs d’une nature renouvelée. L’une des idées fondamentales de toute la Bible et de la prophétie d’Ésaïe en particulier, aussi bien dans sa seconde que dans sa première partie, c’est qu’entre la nature et l’homme, son chef, il y a une harmonie profonde (voyez par exemple Ésaïe 43.20 ; Ésaïe 44.23, note). L’homme une fois revenu à la sainteté, la nature devra donc être renouvelée et glorifiée avec lui. Le Nouveau Testament et l’Ancien l’affirment également. Seulement, une remarque importante, faite à l’occasion du chapitre 60, trouve ici une nouvelle application. Les prophètes de l’Ancien Testament, voyant les choses de loin, ne distinguent pas encore les temps et les moments. L’avenir dans sa totalité se présente à eux sous la forme d’un tableau unique et ce tableau a la terre pour cadre. Le Nouveau Testament, au contraire, distingue des degrés successifs dans l’avenir promis. Il annonce, d’une part, une époque où le règne de Dieu sera établi sur la terre et le mal contenu, quoique non totalement supprimé, car au terme de ce règne de mille ans aura lieu une dernière explosion des forces sataniques, suivie du jugement universel (Apocalypse, chapitre 20) ; et il dépeint d’autre part, la Jérusalem céleste, qui s’ouvrira pour les élus à la suite d’une nouvelle création (Apocalypse chapitres 21 et 22). Quelques traits dans la prophétie d’Ésaïe font pressentir un état de perfection qui dépasse les limites de toute existence terrestre (en particulier l’abolition de la mort Ésaïe 25.8). Mais ce sont là des lueurs isolées. Dans les tableaux qui remplissent les derniers chapitres, il n’est pas question d’une Jérusalem céleste, distincte de la Jérusalem terrestre restaurée ; le règne de mille ans et la nouvelle création se confondent. C’est la terre qui est le séjour des élus. Sans doute, les conditions de la vie présente sont changées : l’humanité connaît Dieu et peut voir de quel bonheur et de quelle paix elle eût joui en demeurant dans l’obéissance ; la nature est à l’unisson du monde moral (Ésaïe 65.17-25 ; Ésaïe 11.1-9) ; mais le péché et la mort, bien que restreints dans leur action, existent encore (Ésaïe 65.20). Ce n’est pas encore la nouvelle création au sens absolu du mot, la vie éternelle. Le tableau tracé par Ésaïe se rapporte donc, avant tout, à cette époque de restauration de la vie terrestre qui sera le couronnement de l’histoire et la transition entre la terre et le ciel : le règne de mille ans.
Les choses passées : la création ancienne avec les misères dont elle a été le théâtre (verset 16, fin). Les joies de leur nouvelle existence ne laisseront place dans le cœur des élus ni à un regret ni même à un souvenir de ce passé. Comparez Jérémie 3.16.
Ésaïe 25.10 ; Ésaïe 51.3.
Jérusalem se réjouit en son Dieu (verset 18) et son Dieu en elle (Ésaïe 52.3-5) ; car elle a été renouvelée moralement avant de l’être extérieurement (Ésaïe 62.12). Comparez avec le début du verset avec Ésaïe 30.19.
Le premier trait du tableau, c’est le retour à la longévité extraordinaire des patriarches : mourir à cent ans sera mourir jeune ; le pécheur que son crime condamne à une mort précoce ne sera enlevé qu’à l’âge de cent ans.
Le second trait : la jouissance paisible des biens de Canaan. Voir Ésaïe 62.8 et les menaces de la loi Deutéronome 28.29-33. Ces malédictions se changeront en autant de bénédictions correspondantes.
Les jours des arbres : des siècles (verset 20).
L’ouvrage de leurs mains : leurs maisons, leurs vêtements, etc., qui vieilliront avant eux (Ostervald : mes élus verront vieillir…).
Bonheur domestique non troublé.
D’où les craintes, les terreurs, l’inquiétude, sinon de la malédiction de Dieu ?… Quand il cessera d’être en colère contre nous, nous serons heureux.
Une mort… littéralement : une frayeur subite ; il s’agit de jeunes enfants frappés d’une mort soudaine (Lévitique 26.16).
Ils seront la race… Comparez Ésaïe 61.9.
Avec eux : leurs enfants ne seront plus séparés d’eux (voir la menace Deutéronome 28.32 ; Deutéronome 28.41), mais bénis comme eux et avec eux (Job 21.8).
Comparez Ésaïe 30.19.
La paix universelle, la destruction du mal. Reproduction abrégée de Ésaïe 11.6-9 (voir à ce passage). Le seul trait nouveau est ici : le serpent se nourrira de la possière. L’idée est qu’il ne fera plus de mal à l’homme et se contentera de la part qui lui a été assignée (Genèse 3.14).
Les derniers mots du verset sont appliqués à l’humanité dans le passage Ésaïe 11.9 (comparez Ésaïe 2.4). Nous ne voyons pas pourquoi il faudrait les entendre autrement ici et les rapporter aux animaux, puisque tout le passage n’est qu’un extrait du chapitre 11 et que le verset 24 se rapportait à l’état moral de l’humanité.