Verset à verset Double colonne
1 Et Moïse répondit : Mais s’ils ne me croient pas et n’obéissent pas à ma voix parce qu’ils diront : L’Éternel ne t’est point apparu ? 2 Et l’Éternel lui dit : Qu’as-tu là à la main ? Il dit : Un bâton.Un bâton. Tout Arabe du désert porte en main un bâton recourbé.
Cette double métamorphose du bâton en serpent et du serpent en bâton a quelque chose de particulièrement étrange et diffère des plaies d’Égypte qui sont toutes en relation avec quelque fait naturel. Mais l’étrangeté même de ce miracle a ici son importance. De même que le buisson ardent, il se rapporte au nom que Dieu vient de révéler à Moïse (Exode 3.14). Dieu seul est ce qu’il est, d’une manière absolue ; les autres êtres n’ont pas d’essence propre et ne sont que ce que Dieu veut qu’ils soient. C’est aussi le sens de la main de Moïse tour à tour saine et lépreuse.
Mais, comme les miracles en général, ceux-ci ne sont pas de simples démonstrations arbitraires de puissance : ce sont des signes ayant une signification en rapport avec la situation donnée. Par le premier signe Dieu dit : Je puis en un clin d’œil transformer l’arme sur laquelle tu crois pouvoir t’appuyer pour ta défense et celle de ton peuple, en un moyen de destruction dans la main de l’ennemi qui s’en servira pour te faire périr toi et ton peuple ; comme aussi je puis en un clin d’œil transformer la puissance de ton ennemi en moyen de délivrance pour toi et ton peuple.
Par ce second signe, Dieu veut dire sans doute : De cet Israël arrivé en Égypte comme une famille riche, libre, prospère, il m’a plu de faire un peuple opprimé, méprisé, déchu, que les Égyptiens traitent comme un peuple souillé. De ce même Israël je puis en un instant faire par ton moyen un peuple restauré, puissant, vainqueur, sortant d’Égypte chargé de butin.
Il y a trois points à remarquer :
Le troisième signe. Ce miracle formera la première des plaies d’Égypte, plaie qui peut servir à résumer toutes les autres : ce qui a fait la prospérité de l’Égypte causera maintenant son malheur.
La langue pesante : Avoir la langue pesante se dit en hébreu de ceux qui ne parlent pas correctement leur langue maternelle (Ézéchiel 3.5, hébreu). Mais ici ce que l’Éternel dit à Moïse, verset 11, montre qu’il s’agit d’une difficulté d’organe.
Moïse n’est point idéalisé dans ce récit. Après avoir essayé de justifier son : Je ne puis pas, il arrive à dire : Envoie qui tu voudras, ce qui équivaut, non pas tout à fait à : Je ne veux pas, mais à : Je ne m’en soucie pas. Ce n’est pas un refus positif, c’est la résistance instinctive de la chair. Aussi Dieu, tout en s’irritant de cette faiblesse, condescend.
Le Lévite. Aaron ne peut être appelé le Lévite que comme étant le chef de la tribu de Lévi. Il devait sans doute cette haute position à sa double qualité de chef, par droit de naissance, de la seconde branche des Lévites, celle de Kéhath et de mari d’Élisabeth, la sœur de Nahason, prince de la tribu de Juda.
Comme Dieu instruit les prophètes qui transmettent ses paroles au peuple, ainsi Moïse instruira Aaron de ce qu’il devra dire pour qu’il le transmette soit à Pharaon, soit au peuple.
Pour voir s’ils sont… Après une si longue oppression ils auraient pu être anéantis ou dispersés.
Cette parole, tout en confirmant l’ordre précédent, ajoute un nouveau trait propre à dissiper les inquiétudes qui pouvaient encore arrêter Moïse.
Tous les hommes qui en voulaient à ta vie : non seulement Pharaon, mais aussi les parents de l’Égyptien tué par Moïse ; car, d’après les coutumes de l’Orient et de l’antiquité, c’était à eux à requérir contre le meurtrier.
Sur l’âne, ou sur des ânes. En hébreu le mot peut être pris au sens collectif. L’auteur veut dire simplement que Moïse les fit monter à âne.
J’endurcirai son cœur… L’hébreu, pour exprimer cette idée, emploie indistinctement trois termes, dont l’un signifie : rendre dur (insensible), le second rendre ferme (capable de tenir bon, de résister), le troisième rendre pesant (inintelligent). Nous avons dû employer le mot endurcir pour rendre les deux premiers termes.
Mais il semble qu’en attribuant à Dieu l’endurcissement de Pharaon, l’Exode fasse de Dieu l’auteur du mal. En étudiant le récit de plus près, on verra qu’il n’en est pas ainsi. En effet, si l’Exode dit dix fois que l’Éternel raidit, appesantit ou endurcit le cœur de Pharaon (Exode 4.21 ; Exode 7.3 ; Exode 9.12 ; Exode 10.1-20 et 27 ; Exode 11.10 ; Exode 14.4 ; Exode 14.8 ; Exode 14.17), dix autres fois ce même livre dit aussi que Pharaon endurcit son cœur ou que son cœur s’endurcit ou s’appesantit (Exode 7.13-14 et 22 ; Exode 8.15 et 19 et 32 ; Exode 9.7 et 34-35 ; Exode 13.15).
Dans le commencement du récit (après le premier signe et après chacune des cinq premières plaies) l’endurcissement est toujours attribué à Pharaon lui-même. Ce n’est qu’après la sixième plaie, lorsque les magiciens eux-mêmes ont été frappés et que Pharaon ne vient pas à résipiscence, ce n’est qu’alors que cet endurcissement est attribué à la volonté de Dieu. Mais il faut remarquer qu’à ce moment-là, la condamnation de Pharaon est déjà prononcée (Exode 9.15) et que Dieu n’a plus d’autre but dans sa conduite envers lui que de manifester sa puissance (Exode 9.16). Deux fois encore après la septième plaie il est dit que Pharaon endurcit son cœur (Exode 9.34 ; Exode 9.35 ; comparez Exode 10.1 où en parlant du même fait il est dit que Dieu l’endurcit).
Le libre arbitre n’est point un capital mort que l’on reçoive une fois pour toutes et qui ne puisse ni s’accroître ni décroître ou se perdre entièrement. Celui qui fait le péché volontairement ne le fera pas toujours volontairement ; il devient esclave du péché (Jean 8.34). L’homme est libre de refuser la grâce que Dieu lui offre ; mais il n’est pas libre d’empêcher Dieu de le faire servir en l’aveuglant au salut d’autrui. Il n’est que juste que l’homme qui refuse d’être but, soit dégradé au rang de moyen ; comparez ce qui est dit, Romains 9 ; Jean 12, des Juifs eux-mêmes.
Israël est mon fils, mon premier-né. Israël est le premier peuple dont Dieu ait fait son peuple par une alliance contractée avec lui. Il est évident que cette expression même exclut le particularisme et suppose que les autres peuples deviendront aussi des fils de Dieu.
Ce passage est également le premier dans l’Écriture où Dieu soit, présenté comme Père.
Séphora paraît voir (non sans raison) dans le danger où se trouvait son mari, une punition de ce qu’il n’a pas encore circoncis son dernier fils. C’était elle peut-être qui l’en avait détourné, soit que les Madianites eussent perdu l’usage de la circoncision, soit que, comme les Ismaélites et de nos jours les musulmans, ils ne la fissent subir aux enfants qu’à l’âge de treize ans et non pas, comme les Israélites, huit jours après leur naissance. Quoi qu’il en soit, elle se hâte de circoncire son fils (la maladie de Moïse l’empêchant sans doute de le faire lui-même) et elle emploie pour cette opération, non pas un couteau de métal, mais une pierre tranchante, conformément à l’usage, ou parce qu’elle n’a pas à l’instant d’autre instrument sous la main. Puis elle touche de ce lambeau de chair les pieds de son mari (non pas elle le jeta à ses pieds, comme on traduit ordinairement sans que les mots y autorisent), comme pour obtenir sa guérison par ce signe de son obéissance ; mais elle semble en même temps protester contre la nécessité où elle s’est trouvée de soumettre un enfant à une loi qui lui paraît si cruelle : Tu es pour moi un époux de sang, dit-elle à Moïse, c’est-à-dire : Il a fallu le sang de mon fils pour racheter de la mort mon époux.
On pourrait trouver que ce récit donne une importance excessive au rite de la circoncision ; mais il faut se rappeler que c’était une loi capitale, ou plutôt encore unique. C’était la seule chose qui eût été demandée à Abraham dans l’alliance faite avec lui ; c’était cette alliance même, d’après l’expression de Genèse 17.10 ; et une sanction redoutable avait été donnée à cette loi.
Avant de devenir le porteur d’une nouvelle alliance, il était de toute nécessité que Moïse commençât par se mettre en règle avec celle qui existait déjà.
Il le laissa. Ceci ne peut se rapporter qu’à Dieu qui laisse Moïse, une fois que celui-ci a accompli son obligation légale.
C’est alors qu’elle dit. Il semble que le narrateur fasse allusion à un dicton populaire auquel avait donné lieu la parole de Séphora, dicton en usage chez les peuplades arabes rapprochées d’Israël et par lequel elles stigmatisaient la circoncision en appelant les Israélites des époux de sang, c’est-à-dire des hommes avec lesquels il ne faut pas s’unir si l’on ne veut se condamner à verser le sang de ses enfants. Ce récit indiquerait l’origine de cette locution injurieuse.
En parlant des circoncisions, littéralement : Par rapport aux circoncisions. Ces mots élargissent le sens de la parole de Séphora en l’appliquant non pas seulement à cette circoncision particulière, mais à la circoncision en général. La difficulté que Séphora paraissait éprouver à se soumettre aux coutumes des Israélites engagea probablement Moïse à ne pas l’amener alors au milieu d’eux. Nous voyons en effet que plus tard Jéthro la ramena à Moïse (Exode 18.2-6), ce qui parait prouver que celui-ci l’avait renvoyée avant de rentrer en Égypte.
Aaron dit. Aaron seul ; non, comme plus loin, Aaron et Moïse, car Moïse est encore inconnu à son peuple, tandis qu’Aaron est bien connu de lui, comme chef de tribu.
Et le peuple crut. Quels qu’aient été plus tard les manques de foi des Israélites, c’est par la foi qu’ils commencent. Ce premier acte de foi est un fait capital dans leur histoire comme dans celle de tous les hommes de Dieu. Abraham, Pierre, les autres apôtres ont souvent faibli et douté ; mais leur point de départ était un acte de foi : Nous avons tout quitté et nous t’avons suivi.