Verset à verset Double colonne
À l’exception du verset 1 de ce chapitre, tout ce qui suit jusqu’à Exode 7.13 appartient au document élohiste. On retrouve ici plusieurs des traits racontés dans les trois chapitres précédents : la vocation de Moïse, la révélation nouvelle par laquelle Dieu se fait dès maintenant connaître à Israël en sa qualité de Jéhova, les efforts faits par Moïse pour échapper à la mission que Dieu veut lui confier, la promesse de l’assistance de son frère Aaron.
On pourrait donc penser que nous avons ici le récit élohiste des mêmes faits qui ont été racontés auparavant par le jéhoviste, mais avec cette différence que celui-ci place ces faits au mont Horeb, tandis que l’élohiste les place en Égypte. Mais il est évident que le rédacteur du livre de l’Exode n’a pas envisagé la chose de cette manière. Il a estimé que la scène qu’il va raconter, Exode 6.2 et suivants, bien loin de faire double emploi avec celle des chapitres 3 et 4, s’était réellement passée plus tard et à la suite des premières tentatives plus qu’infructueuses de Moïse auprès du peuple et de Pharaon. Comparez, en effet, verset 12, où Moïse dit : Voici, les enfants d’Israël ne m’ont point écouté et verset 28, où il est dit expressément : Au jour que l’Éternel parla à Moïse au pays d’Égypte.
Le rédacteur aurait-il envisagé à tort ces scènes comme successives, au lieu de reconnaître dans les deux documents des récits parallèles ? Dans ce cas même, nous aurions à constater l’exactitude scrupuleuse avec laquelle il reproduit le texte de ses sources ; car ce n’est pas lui, ce sont nos traducteurs français qui ont introduit au verset 2 le mot encore, qui distingue expressément les deux scènes ; et dans tout le reste du récit, nous ne trouvons pas un seul mot qui trahisse cette intention.
Mais nous ne croyons pas avoir des raisons suffisantes pour imputer au rédacteur une semblable erreur et il ne nous paraît point impossible que Dieu ait de nouveau parlé à Moïse en Égypte en termes assez semblables à ceux dont il s’était servi en Horeb. La première tentative de Moïse ayant échoué et même tourné à contrefin, Moïse put revenir à la charge auprès de l’Éternel avec les objections qu’il avait d’abord élevées et qui paraissaient maintenant justifiées par l’événement. Le rédacteur nous a conservé cette scène nouvelle d’après l’élohiste.
Si cette explication laisse subsister encore quelques difficultés, on peut admettre que dans le récit de l’une des deux scènes se sont mêlés quelques traits de détail qui appartenaient proprement à l’autre.
Nouvel encouragement donné par l’Éternel à Moïse ; découragement du peuple.
Ce verset est la transition du récit précédent à celui des plaies d’Égypte qui commence au verset 14 du chapitre suivant.
Dieu envoie Moïse, mais sans répondre directement à sa plainte. Les motifs divins, en effet, ne pouvaient encore être compris de Moïse ; mais nous pouvons maintenant les entrevoir. Le cœur des Israélites ne se serait pas suffisamment détaché de l’Égypte, si l’oppression n’avait été portée à l’extrême. Car, même, après cela, on les voit encore lorsque les difficultés surviennent, regretter l’Égypte et songer à y retourner (Exode 14.12 ; Nombres 14.4).
Je suis apparu…, littéralement : Je me suis fait voir en Dieu Schaddaï, Schaddaï : puissant, non tout-puissant, comme on traduit d’ordinaire. L’idée de la toute-puissance absolue ne se rattache pas au nom de Schaddaï, mais à celui de Jéhova ; et c’est précisément là l’une des notions nouvelles auxquelles doit maintenant s’élever Israël.
L’antithèse n’est pas ici entre le nom de Jéhova et celui d’Elohim, comme on se le figure souvent, mais entre les deux noms Jéhova et Schaddaï. Elohim est le sujet commun, le je, qui s’est révélé aux patriarches en qualité de Schaddaï et qui se révèle maintenant en qualité de Jéhova.
Le mode de la révélation de Dieu aux patriarches leur laissait surtout l’impression de sa puissance et ce devait être aussi l’effet des promesses qu’il leur faisait (naissance d’Isaac, possession de Canaan, innombrable postérité, etc.). Mais la puissance n’est qu’un des attributs de l’être divin. La révélation de Dieu pénètre maintenant jusqu’à son essence même, telle que l’exprime le nom de Jéhova (voir à Exode 3.4).
Il ne résulte point de ces mots que le nom même de Jéhova fût ignoré jusqu’à ce moment en Israël. Le nom de la mère de Moïse, Jokébed, qui signifie gloire de Jéhova, prouve le contraire. Dans Genèse 15.7 et Exode 28.13 Dieu lui-même se désigne par ce nom-là. Si ce nom eût été inconnu du peuple jusqu’à ce moment il n’aurait présenté aucune idée claire à ceux qui l’entendaient de la bouche de Moïse. Aussi Dieu ne dit-il pas, en parlant des patriarches : Je ne leur ai pas fait connaître mon nom d’Éternel, mais littéralement : En mon nom, c’est-à-dire en ma qualité d’Éternel, je ne me suis pas fait connaître à eux. Le nom existait bien, mais la profondeur de son sens et les conséquences à y rattacher étaient inconnues du peuple.
Il faut bien remarquer ici, outre l’opposition des deux noms Schaddaï et Jéhova, celle des deux verbes : je me suis fait voir, et : Je ne me suis pas fait connaître. Dieu révélait aux patriarches d’une manière sensible sa puissance ; mais son essence ne peut être contemplée par les sens ; elle ne peut être discernée que par l’intelligence. C’est cette nouvelle intuition, d’un caractère supérieur, que Dieu communique maintenant au peuple comme l’objet suprême et permanent de sa foi et comme la base de toute l’histoire qui suivra.
On ne peut pas dire que cette parole de Dieu fasse double emploi avec la révélation du chapitre 3. Car ici Dieu se sert simplement du nom de Jéhova sans l’expliquer, se bornant à cette déclaration négative qu’auparavant il n’avait point pris ce nom pour son titre officiel en Israël, comme il le fait dès maintenant.
Non seulement mon alliance existe, mais le moment est venu où elle doit déployer ses effets.
Trois promesses : Dieu les délivrera ; il les prendra à lui (à Sinaï) ; il les établira en Canaan.
Ce verset formule le résultat de la première tentative de Moïse : angoisse extrême et désespoir chez tout le peuple. Dieu avait voulu laisser les choses arriver à ce point avant de déployer son bras.
Dieu envoie Moïse à Pharaon avec un message dont le caractère absolu et péremptoire est la conséquence du refus du roi d’obtempérer au message précédent (Exode 5.1). Moïse recule de nouveau devant cette tâche qui devient de plus en plus redoutable.
L’auteur place ici la généalogie de Moïse et d’Aaron. Car c’est le moment de leur apparition sur la grande scène de l’histoire. C’est ainsi que la généalogie de Jésus est placée dans l’Évangile de Luc après son baptême et à l’entrée du récit de son ministère public.
Ce document généalogique comprenait sans doute les douze tribus avec leurs branches principales au moment de la sortie. L’auteur, qui veut uniquement arriver à Moïse et Aaron, n’en communique que le commencement (Ruben, Siméon, puis Lévi).
Le verset 13 était le préambule de la généalogie dans le document d’où elle est tirée.
Leurs patriarches : les chefs des principales branches dans chaque tribu. La généalogie des tribus de Ruben et de Siméon n’est indiquée que sommairement et seulement pour marquer la place de la tribu de Lévi ou, plus exactement encore, celle de la famille d’Aaron et de Moïse.
D’après le document généalogique, il semblerait qu’Aaron ait été l’arrière-petit-fils de Lévi, ce qui est incompatible avec le chiffre des descendants de Kéhath, fils de Lévi, indiqué Nombres 3.27 et suivants. D’après ce passage, en effet, les quatre branches descendant de Lévi comptaient au temps de Moïse 8600 hommes et enfants, ce qui, en attribuant le quart de ce chiffre aux Kéhathites, fait un nombre de 2450. Moïse ne peut avoir eu un pareil nombre de frères et de parents, s’il était l’arrière-petit-fils de Lévi.
Nous sommes réduits à des conjectures pour résoudre cette difficulté. Ou bien il y a des membres omis entre Lévi et Kéhath, on bien Amram, fils de Kéhath, n’est pas le même qu’Amram, père de Moïse (verset 20). On trouve une analogie de l’un et de l’autre de ces deux cas dans la généalogie d’Esdras : Esdras 7.3 (comparez 1 Chroniques 6.7-10 ; 1 Chroniques 5.13-15), six générations sont omises entre Mérajoth et Azaria, fils de Johanan (omission provenant sans doute de la fréquente répétition des mêmes noms dans la liste généalogique) ; autres omissions entre Séraïa, mort sous Nébucadnetsar et Esdras, qui vivait un siècle et demi plus tard.
Le passage Genèse 15.16 n’empêche point, d’admettre cette omission, car le mot (hébreu dor) qui y est employé ne signifie pas dans l’Écriture une génération au sens généalogique, mais plutôt toute la durée de la vie d’un homme, c’est-à-dire (à cette époque-là) environ un siècle et les quatre générations du verset 16 sont la même chose que les quatre siècles du verset 13.
Ce qui confirme encore qu’il y a ici une omission, c’est que, pendant le même espace de temps, d’autres généalogies ont six, sept et même dix générations (d’Éphraïm à Josué, par exemple, 1 Chroniques 7.22-27).
Sa tante. Le mariage à ce degré, n’avait pas encore été interdit, comme il le fut plus tard par la loi. Il est cependant possible que le mot hébreu doda doive se traduire ici par cousine, de même que le masculin dod, qui signifie ordinairement oncle, a évidemment aussi (une fois tout au moins, Jérémie 32.12) le sens de cousin-germain. Chez tous les peuples, principalement chez ceux où la famille est fortement constituée, on est porté à étendre le sens des termes qui désignent les degrés de parenté ; ainsi Abraham appelle Lot son frère.
Jokébed : gloire de Jéhova. Voir verset 2, note.
L’auteur revient du document généalogique aux deux personnages éminents dont il a rappelé la filiation et dont il va retracer le rôle.
Selon leurs armées, c’est-à-dire en bon ordre ; rangés par tribus, branches et familles et non comme des fugitifs. Il y a dans le terme hébreu (tsaba) l’idée d’une troupe organisée, mais pas l’idée d’une troupe armée.
Ces versets servent, après l’interruption précédente, à renouer le fil du récit avec les versets 10 à 12. Ils font ressortir encore une fois l’importance de ce moment où Moïse doit porter à Pharaon ce que l’on peut appeler la déclaration de guerre de Jéhova, s’il ne consent pas à se soumettre et ils rappellent le tremblement qui s’empara de l’homme de Dieu en face d’une telle mission et de la rencontre au-devant de laquelle il marchait.