Verset à verset Double colonne
Ce chapitre contient le tableau de l’histoire entière du peuple de Dieu ; de son passé à la fois misérable et glorieux (versets 1 à 14) ; de sa longue ingratitude et de sa misère présente (versets 15 à 52) ; de sa réhabilitation et de sa gloire future (versets 53 à 63). Ce vaste tableau est présenté dans une allégorie dont l’idée fondamentale, l’union conjugale de Dieu et de son peuple, revient souvent dans les écrits des prophètes (comparez Ésaïe 54.1-8 et surtout Osée chapitres 1 à 3) ; mais cette image est développée ici avec une plus grande richesse de détails. Notre délicatesse moderne a quelque peine à s’accommoder de certaines images employées dans ce chapitre ; et peut-être la règle de la Synagogue qui n’autorise la lecture d’Ézéchiel que dès l’âge de trente ans, ne serait-elle pas déplacée dans l’Église chrétienne. Mais il n’en reste pas moins vrai qu’aucun symbole n’était, comme celui du mariage, propre à exprimer la tendresse de l’amour de Dieu envers son peuple et l’horreur que doit causer à Dieu l’ingratitude et les infidélités de ce dernier.
Ce passage décrit l’état misérable d’Israël au commencement de son existence nationale (versets 1 à 5), puis ce que Dieu dans sa miséricorde daigna faire de ce peuple (versets 6 à 14).
À Jérusalem. Le prophète s’adresse à cette ville comme représentant le peuple entier. Elle a été en effet le cœur d’Israël, le centre de sa vie nationale. Dans son sort particulier se reproduisent toutes les fortunes diverses du peuple lui-même.
Ce verset et les suivants ne concernent pas spécialement la population de Jérusalem et ne lui attribuent point une origine jébusienne, c’est-à-dire amorrhéenne ou héthienne, comme on l’a cru. Il s’agit d’Israël lui-même dès l’époque de ses origines les plus reculées, lorsque de Canaan il vint habiter en Égypte et y tomba dans la plus douloureuse servitude.
De la terre du cananéen. C’était de là que venait Israël ; Ézéchiel profite de cette circonstance pour reprocher au peuple d’avoir toujours eu, en quelque sorte, du sang cananéen dans les veines et de trahir, moralement parlant, une extraction païenne. Ce reproche n’a de valeur qu’autant que le prophète sait parfaitement que l’origine du peuple, matériellement parlant, est toute différente.
Les Amorhéens et les Héthiens étaient les peuples du pays de Canaan du milieu desquels sortaient les Israélites au moment de leur émigration en Égypte.
Durant le dur temps de la servitude d’Égypte, le peuple, qui naissait alors à la vie nationale (puisqu’à son arrivée il n’était qu’une famille), fut privé de toute protection, semblable à un nouveau-né à qui les premiers soins font défaut.
Ton cordon… Serait-ce une allusion aux dispositions idolâtres et vicieuses qu’Israël avait apportées de Canaan et auxquelles il ne renonça point ?
Frottée de sel. C’était l’usage, dit Jérôme, de frotter de sel le corps des enfants nouveau-nés pour les endurcir au froid.
Allusion à L’usage si fréquent dans l’antiquité d’exposer les enfants.
Dans ton sang : qui coulait parce que le cordon n’avait point été attaché.
Vis dans ton sang. Tout moribond que soit cet enfant, Dieu lui ordonne de vivre et de vivre dans ce sang même dont il est tout souillé (voir verset 9). L’ordre est répété pour faire ressortir la solennité du miracle sur lequel repose une telle existence. Ce miracle est, en effet, la base de tous ceux qui suivront.
Allusion à la prodigieuse multiplication du peuple en Égypte, en même temps qu’à son développement intellectuel et moral et à la haute culture dont son histoire subséquente fait preuve. On peut dire de tout le peuple à certains égards ce qui est dit de Moïse : Qu’il fut instruit dans toute la sagesse des Égyptiens et devint puissant en œuvres et en paroles.
Allusion au moment où l’Éternel visita son peuple en lui suscitant Moïse pour libérateur.
J’étendis sur toi. Comparez Ruth 3.9. Par cet acte symbolique, un homme déclarait prendre une femme pour épouse. C’était l’emblème de la protection dont il s’engageait à la couvrir désormais.
Je te fis serment. Ces paroles et les suivantes se rapportent à l’alliance qui fut conclue durant le séjour au Sinaï entre Dieu et le peuple, par le don de la loi. Ce fut comme l’époque du mariage de l’Éternel avec son peuple. Comparez Ésaïe 54.5 ; Jérémie 31.32 avec Exode 19.5 ; Exode 24.8.
Je te baignai. C’est ici l’emblème de la purification du peuple par le moyen de la loi, par son action morale sanctifiante ainsi que par les institutions créées par elle. Ézéchiel a surtout en vue les sacrifices et les ablutions ordonnées par la loi pour la purification des Israélites pécheurs. Jusqu’alors, Israël était resté couvert de son sang (verset 6), c’est-à-dire de sa souillure originaire.
Je t’oignis d’huile : allusion au sacerdoce d’Aaron.
De broderie. Est-ce une allusion aux tentures brodées du tabernacle ?
De peau de blaireau, ou de veau marin. Le sens du mot hébreu (thachasch) est incertain. La couverture supérieure du tabernacle était faite de la peau de cet animal (Exode 26.14 ; Nombres 4.25) ; c’est probablement à ce fait que le prophète fait allusion.
De lin. Le verbe employé ici pour dire ceindre, s’applique ordinairement à la ceinture de tête, au turban : Exode 24.17 ; Exode 29.9 ; Lévitique 8.13. C’est sans doute une allusion à la mitre des sacrificateurs.
Des tissus les plus fins. Le mot hébreu (méschi) ne se retrouve nulle part ailleurs. À l’exemple des rabbins on le traduit ordinairement par soie. Mais ce sens n’étant qu’une supposition, nous avons rendu ce mot par une expression moins précise.
Bracelets : Genèse 24.22 ; Genèse 24.24.
Un anneau à ton nez. Cet ornement, en usage aujourd’hui encore en Orient, faisait aussi partie dès le temps patriarcal des présents de fiançailles.
Diadème magnifique : ici comme simple ornement. La royauté ne viendra que plus tard (verset 13).
Après que le contenu des versets 9 à 12 a été résumé dans les premiers mots de ce verset, l’Éternel rappelle en outre le soin qu’il a pris de la nourriture à offrir à sa fiancée. Le froment, le miel, l’huile, étaient les produits exquis de la terre de Canaan.
Extraordinairement belle : par les institutions dont Dieu l’avait dotée.
Tu arrivas jusqu’à régner. Cette expression ne peut s’appliquer qu’à l’institution de la royauté qui était comme l’apanage du peuple entier ; tout Israël régnait en la personne de son roi ; comparez Exode 19.5-6 : Un royaume de sacrificateurs !
Tu fus renommée. Comparez ce qui est dit de la réputation de l’empire israélite à l’époque de David et Salomon, 1 Rois 4.34 ; 1 Rois 10.1 et suivants. C’est ici le point culminant de la première partie du chapitre.
Ce verset commence la seconde partie du tableau : la description de l’ingratitude d’Israël comblé de pareils bienfaits (versets 15 à 52). Ézéchiel indique d’abord la cause de cette infidélité odieuse.
Tu te confias en ta beauté. Israël s’attribua à lui-même sa supériorité morale sur les autres peuples : il oublia de rendre grâces à celui de qui il tenait les biens temporels et spirituels dont il jouissait ; ce fut le péché qui le conduisit ensuite à l’idolâtrie. Comparez ce qui est dit des païens Romains 1.21-23 : oublier de rendre grâces au Créateur, c’est le sûr moyen d’exagérer le prix qu’on attache à la créature et d’en venir à l’adorer extérieurement ou moralement.
Tu te prostituas. Le culte des idoles est déjà comparé à une prostitution Exode 34.16.
À tout passant : Ézéchiel appelle ainsi chaque faux dieu adoré, chez les nations avec lesquelles Israël se trouvait en relation ; comparez chapitre 8.
À qui voulait. Littéralement : Que cela soit à lui ! Ou : À qui en voudra ! Comme si la prostituée parlait ainsi d’elle-même.
On a entendu ce passage diversement. Il nous paraît qu’Ézéchiel veut parler d’un lit dressé, au moyen de ce qui composait la garde-robe de la fiancée, lit auquel il donne le nom d’autel (littéralement hauts lieux) parce qu’il passe de l’image à la réalité. Il s’agit en effet des autels des faux dieux dressés sous les rois idolâtres sur toutes les éminences de la Terre Sainte ; comparez Ésaïe 58.7-9.
Ce qui ne s’était pas fait : le texte est très obscur. Nous donnons le sens probable.
Des images d’homme : pour présenter l’idolâtrie sous le jour le plus repoussant, Ézéchiel la compare à la forme de prostitution, la plus monstrueuse qui se puisse imaginer.
Tu pris… Le service, des faux dieux coûtait cher. Les encensements de Bel à Babylone se montaient annuellement, selon Hérodote, à une somme de mille talents. En Inde aujourd’hui encore, les adorateurs des faux dieux se privent du nécessaire pour subvenir aux énormes dépenses de leur culte. Comparez Exode 32.1-4, Exode 32.25. Et tout cet or et cet argent ainsi employés étaient les présents que Jéhova avait faits à son épouse (mon or, mon argent).
Ces versets se rapportent aux sacrifices sanglants offerts au dieu Moloch ; comparez Lévitique 18.21 ; 2 Rois 3.27 ; 2 Rois 23.10 ; Jérémie 32.35. Dans les cultes païens, la cruauté marchait de pair avec la sensualité.
Mes fils : les enfants d’Israël appartenaient à Dieu ; car ce peuple provenait de lui par la vocation d’Abraham et par la naissance miraculeuse d’Isaac et tous les enfants israélites possédaient dans la circoncision le sceau de l’adoption.
Le souvenir constant de ce que l’on était avant l’appel divin est le moyen de réveiller sans cesse le sentiment de la reconnaissance ; comparez Éphésiens 2.11 et suivants.
Toute nue… : Image de l’état d’Israël dans la servitude d’Égypte.
Les versets 23 à 32 dépeignent les derniers excès auxquels Israël s’est abandonné. À mesure que les siècles avaient marché, son idolâtrie s’était accrue. Ce n’étaient pas seulement les faux dieux des peuples voisins, Cananéens, Syriens (Baal, Astarté.), Ammonites et Moabites (Moloch), qui avaient été importés dans le pays ; c’étaient aussi ceux des Égyptiens, des Assyriens et des Chaldéens, tellement qu’il ne semblait ne plus y avoir plus y avoir une place propice dans la terre de Juda qui ne fut occupée par quelque autel idolâtre.
Malheur…, malheur…! Le prophète, arrivé à la peinture des temps les plus récents et des derniers forfaits, s’interrompt par une exclamation d’indignation mêlée de pitié.
Une voûte : un édifice voûté ; probablement un lieu de prostitution qui, conformément à l’image employée dans tout ce passage, est peut-être l’emblème de ces retraites souterraines où se pratiquaient en Égypte et en Assyrie certaines cérémonies mystérieuses en l’honneur des fausses divinités.
Voir Jérémie, chapitre 44, qui montre avec quelle ardeur dans les derniers temps le peuple et surtout les femmes se livraient aux cultes égyptiens qui appartenaient au matérialisme le plus grossier.
Ta portion assignée : le bel et grand héritage que Dieu avait promis à Israël dans la terre de Canaan. Dieu ne lui en a point laissé la complète possession, telle qu’il l’avait eue sous David et Salomon.
Les filles des Philistins : les cinq villes capitales des cinq royaumes dont se composait la confédération de ce peuple. Sur le rôle des Philistins dès les temps d’Achaz, voir 2 Chroniques 28.18.
Honteuses… Les Philistins rougissaient de la conduite des Israélites ; car eux-mêmes s’en tenaient à leurs dieux nationaux. Jérémie 2.10 et suivants ; Ézéchiel 5.7.
L’introduction des cultes assyriens datait sans doute de l’époque ou Achaz entra en relations politiques avec Tiglath-Piléser, roi de Ninive.
C’était comme une soif inextinguible, un vertige d’idolâtrie qui s’était emparé de ce peuple.
Exclamation analogue à celle du verset 23 ; au sentiment de la pitié s’ajoute celui du dégoût.
Lâche. Ce terme exprimerait, d’après les uns, une honteuse impuissance morale ; d’après d’autres, l’épuisement, résultat du vice ; ou bien le trouble délirant de la passion. Peut-être toutes ces nuances sont-elles confondues dans ce terme destiné à justifier le sentiment de dégoût qui règne dans le tableau suivant.
Voûte ; tertre ; voir versets 24 et 25, note.
La prostituée fait de son genre de vie un métier, un moyen de lucre ; mais tel n’était pas le cas d’Israël.
Israël ressemblait à une femme infidèle qui, jouissant du domicile conjugal et d’un entretien assuré, commet le vice pour le vice et en ajoutant à l’impudicité l’adultère. Et pour comble de honte, cette femme infidèle paie ses complices ! Sens : quoiqu’il possédât le culte du vrai Dieu, Israël semblait tourmenté par la manie d’y ajouter sans cesse des cultes nouveaux accompagnés des séductions les plus honteuses.
Et cette conduite coûtait cher à Israël au lieu de lui rapporter quelque chose ! Quels sacrifices n’avait-il pas à faire pour obtenir l’alliance des grands peuples païens, Assyriens ou Égyptiens, au moyen du laquelle leur idolâtrie pénétrait chez lui ! Comparez 2 Rois 16.7 ; 2 Rois 16.8.
Tandis qu’Israël était comme avide de l’assistance des autres peuples et de leurs idoles, les païens ne recherchaient ni son alliance ni son culte, tant il était devenu méprisable à leurs yeux.
Les versets suivants décrivent le châtiment de Jérusalem sous l’image de la punition infligée chez les Juifs à la femme coupable d’adultère.
Récapitulation des crimes commis, comme considérant de la sentence suivante, verset 37 (voir versets 15 à 24).
Ton airain : expression obscure peut-être pour dire : ton avoir, ton argent. Israël n’avait plus à la fin que de l’airain à donner.
D’après Nombres 5.18 lorsqu’une femme était soupçonnée d’adultère, elle était amenée dans le temple (devant l’Éternel) et le sacrificateur commençait par lui découvrir la tête. C’est à ce traitement humiliant que semble faire allusion le verset 37, lors même que dans ce verset il est parlé de la personne tout entière. Ses repaires d’idolâtrie (chapitre 8) seront découverts aux yeux de tous, amis ou ennemis, lorsque les peuples exécuteurs du jugement de Dieu détruiront Jérusalem.
Avec ceux que tu as haïs : les peuples qui ont pris part à sa ruine ne furent pas seulement ceux dont elle avait cherché à acheter les bonnes grâces, mais aussi ceux qu’Israël avait toujours profondément détestés, comme les Ammonites, les Moabites et surtout les Édomites ; comparez 2 Rois 24.1-3 et Psaumes 137.7-8.
Je verserai ton sang. Cette expression s’applique et à la peine du meutrier (l’épée) et à celle de l’adultère (la lapidation) ; comparez verset 40. Jérusalem était en effet coupable de ce double chef.
Fureur et jalousie : le premier de ces termes porte sur le crime de meurtre ; le second sur l’adultère. Le terme de jalousie, revient plusieurs fois dans l’ordonnance Nombres 5.14-31, relative à la punition de la femme adultère (l’esprit de jalousie, versets 14 et 30, le gâteau de jalousie, versets 15, 18, 25.)
Description figurée du sac de Jérusalem.
Te lapideront : on voit par Lévitique 20.2 ; Lévitique 20.10 que le supplice de la lapidation était la peine des adultères ; comparez Jean 8.5-7.
Te perceront de leurs épées : Genèse 9.6 ordonne la peine du glaive pour le crime de meurtre ; et Josué 6.21, pour les habitants d’une ville mise à l’interdit. Israël, meutrier des fils de Jéhova (verset 21, note), a mérité le supplice des Cananéens. Comparez Lévitique 20.1-5.
Une assemblée : la réunion des peuples qui assiégeront et détruiront Jërusalem est comparée à l’assemblée solennelle des Israélites lapidant un coupable.
Ce jugement s’exécutera avec une complète publicité ; le monde entier en sera témoin. Dieu ne ménagera pas son peuple.
Aux yeux de beaucoup de femmes, c’est-à-dire de beaucoup d’autres nations. Le comble de l’opprobre pour une femme est d’avoir à le subir en présence de ses rivales.
Je ferai cesser… La captivité d’Israël a mis fin à son idolâtrie.
Tu ne feras plus de présents : Comment, dans son exil, achèterait-il encore l’alliance des étrangers ? La promesse et la menace sont réunies dans cette parole.
Courroux et jalousie : voir verset 38.
Je m’apaiserai. C’est la conséquence du courroux satisfait. Le compte précédent est réglé. Il y a comme un moment de calme succédant à l’orage du châtiment. Encore ici la promesse commence à se faire jour dans les termes mêmes de la menace.
De plus en plus, vers la fin de la menace, se trahit le réveil du sentiment de la miséricorde.
Parce que tu ne t’es pas souvenue ; voir le verset 22.
Tu n’ajouteras plus : on pourrait penser que les énormités sont des crimes contre-nature ajoutés aux vices ordinaires et spécialement à l’idolâtrie (tes abominations) ; comparez Lévitique 18.17. Cependant il nous paraît plus naturel d’appliquer le terme d’abominations aux vices précédemment énumérés et celui d’énormité à la manière audacieuse et impudente en laquelle Israël s’y était livré. D’autres traduisent : afin que je n’ajoute pas l’énormité à toutes tes abominations… dans le sens de Lévitique 19.29 où un père est accusé d’énormité s’il tolère, sans la châtier, l’inconduite de sa fille. Mais l’aggravation du crime doit plus naturellement être attribuée à celui qui a commis le crime.
Ta mère… Votre père : La population cananéenne (héthienne et amorrhéenne), du milieu de laquelle Israël sortait en venant en Égypte et dont il avait pris le caractère et les habitudes (verset 3).
Les sœurs sont les autres populations païennes du voisinage, souvent énumérées dans la Genèse.
Ézéchiel accuse les nations d’avoir aussi bien qu’Israël, déserté leur mari et leurs enfants. Il envisage donc que les païens appartenaient aussi originairement à l’Éternel, ce qui assimilait leur infidélité à celle d’Israël ; comparez Romains 3.2 ; Romains 1.18-25 où l’origine du paganisme est expliquée par une ingratitude et une incrédulité volontaires.
De ses enfants…, de leurs enfants. Ce sont les enfants que ces peuples immolaient aux fausses divinités ; comparez 2 Rois 3.27 ; 2 Rois 18.8 ; 2 Rois 18.17.
Samarie et Sodome sont appelées ici sœurs de Jérusalem, parce qu’elles avaient été les capitales de deux districts appartenant au même pavs que Juda et qu’elles étaient animées du même esprit d’idolâtrie et de corruption. Samarie est appelée la grande sœur, parce que son territoire était plus considérable que celui de Sodome. Elle est placée à la gauche et Sodome à la droite, parce qu’en tournant la face vers l’est, l’habitant de Jérusalem a la Samarie à sa gauche (au nord), la mer Morte à sa droite (au sud).
Leurs filles : les villes de leur ressort.
C’était trop peu… Comblée de grâces, comme Jérusalem l’avait été, c’était trop peu pour elle, une fois qu’elle se livrait à l’infidélité, de pécher comme Sodome et Samarie ; elle devait pécher davantage ! Plus il y a eu de grâces méprisées, plus la chute est profonde. De mauvais chrétiens sont pires que les païens.
Cette appréciation peut étonner. Mais le prophète remonte à la cause cachée du péché. Le péché étant essentiellement la révolte égoïste contre Dieu, sa gravité réelle se mesure moins aux actes proprement dits qu’aux dispositions intérieures qui les produisent et à l’étendue des grâces reçues. Voilà ce qui explique la sévérité de la sentence prononcée ici sur Jérusalem, quand on compare cette sentence à l’appréciation du péché de Sodome. C’est aussi par cette raison qu’en mentionnant les crimes de Sodome, Ézéchiel ne s’arrête point à ceux auxquels le nom de cette ville est resté attaché, mais aux dispositions orgueilleuses et sensuelles qui en étaient la source. Comparez une appréciation analogue dans la bouche du Seigneur Matthieu 11.21-24, parole qui contient sans doute une allusion à notre passage.
Tu as justifié tes sœurs. L’infidélité de Jérusalem, en dépassant celle de ses sœurs, la faisait paraître moins criminelle et plus pardonnable.
Dont tu as chargé tes sœurs. Jérusalem, malgré ses abominations, se croyait plus juste que Sodome et Samarie ; elle jetait sur elles le même regard hautain que le pharisien sur le péager, qui était pourtant plus près de la justification que lui (Luc 18.14).
Ici commence la troisième partie du discours, la promesse. Pour résoudre les difficultés qu’elle présente, il faut se rendre compte de la nature du style prophétique, qui est tout différent du langage ordinaire. Les faits dont parle le prophète n’ont pas de valeur propre ; leur vraie importance est dans la loi du gouvernement divin qu’ils manifestent. C’est ainsi qu’Ézéchiel peut présenter comme un fait réel le retour matériellement irréalisable des captifs de Sodome. Il veut, en parlant ainsi, illustrer un principe moral en l’énonçant sous une forme aussi concète que possible, étrange même jusqu’au paradoxe. Aucun morceau des prophètes ne donne, comme celui-ci, l’occasion d’étudier ce caractère idéal et profondément spirituel du langage prophétique.
Des habitants de Sodome et des villes environnantes, pas un n’avait survécu à la catastrophe. On a donc tenté de rapporter cette promesse aux deux peuples descendant de Lot (les Moabites et les Ammonites). Ce sens est évidemment inadmissible. On a pensé, aussi à la conversion de ces esprits retenus en prison, dont il est parlé 1 Pierre 3.19 et parmi lesquels se trouveraient les habitants des villes de la plaine. Nous pensons plutôt que, dans la pensée du prophète, le retour d’Israël après la captivité s’identifie avec le salut, au sens absolu du mot. Quand ce salut se réalisera sur la terre, les pécheurs de la nation la plus favorisée spirituellement, comme Juda, ne devanceront en rien ceux qui paraissaient beaucoup plus corrompus, tels que ceux de Samarie, ni même les vicieux les plus dégradés, tels que les habitants de Sodome. Chaque jour les expériences faites dans l’Église, à l’occasion de la prédication du salut, sont la démonstration de la vérité exprimée, sous cette forme frappante par le prophète. Comparez Matthieu 21.31 ; Matthieu 21.32 ; Luc 7.29 ; Luc 7.30 ; Luc 15.1-2. Ézéchiel s’élève ici au point de vue de la plus pure spiritualité évangélique. Si l’on cherche une explication plus littérale encore des expressions employées, en particulier de celle-ci : parmi les leurs, il faut se transporter en pensée au moment de la fondation de l’Église, où Juifs, Samaritains et païens entraient tous ensemble et à la même condition de la foi, dans l’alliance de grâce ; comparez le chapitre 47 où Ézéchiel, dans le tableau du torrent d’eaux vives sortant du nouveau temple, fait de la mer Morte la figure du monde païen ; puis Actes 2.41 ; Actes 8.5-25 ; Actes 10.34-38, etc.
Étant pour elles une consolation : en ce qu’elles verront, d’une part, que tu as été encore plus coupable qu’elles et non moins sévèrement punie, et, d’autre part, que tu es graciée aux mêmes conditions qu’elles, sans qu’il reste rien de ces prérogatives particulières et de cette propre justice dont tu aimais à te glorifier vis-à-vis d’elles.
Encore ici que signifierait le sens littéral ? Que faudrait-il entendre à ce point de vue par le premier état de Sodome ? Comme, dans la promesse précédente, le prophète s’élançait en avant vers le jour du salut, dans celle-ci il remonte jusqu’à un état idéal de piété, de moralité et de prospérité extérieure qui aurait dû être le point de départ de l’histoire des trois nations, mais qui n’a de réalité que dans l’état primitif de l’humanité en général, antérieurement à sa chute. Les racines les plus profondes de toute existence humaine, individuelle ou collective, plongent dans cet état primitif où l’homme vivait encore dans l’union avec Dieu et où nous ramène l’œuvre de Christ.
Ta sœur Sodome n’était pas nommée. Quel Israélite aurait autrefois pensé à nommer Sodome comme une sœur de Jérusalem, soit quant à la corruption, soit quant à la grâce ? Pour obtenir un pareil résultat, il fallait une révolution complète. Jérusalem devait être amenée à reconnaître que sa dégradation égalait pour le moins celle de Sodome. C’est de cette communauté de misère et de honte que devait sortir le sentiment de la fraternité évangélique.
Quand tu fus outragée. Le prophète ne parle pas ici des Assyriens et Babyloniens, les principaux instruments du jugement qui dévoila toute la perversité de Juda. Il nomme les petits peuples voisins qui furent les témoins des châtiments du peuple de Dieu et les aggravèrent par leur outrages ; comparez verset 41 (aux yeux de plusieurs femmes). Pour les Syriens, voir Ésaïe 7.1 et suivants. Les inscriptions assyriennes nous appennent que les villes des philistins agrandissaient leur territoire aux dépens de Juda par la faveur des conquérants assyriens.
Le prophète n’avait pas entièrement oublié l’élément de la promesse dans les versets précédents. L’idée essentielle était celle d’une complète égalité dans le salut entre les trois sœurs, Jérusalem, Samarie et Sodome. Il revient plus explicitement à cette partie réjouissante de son message. Le verset 59 forme la transition. Ce verset signifie : Je commencerai par te faire comme tu m’as fait. C’est la menace de l’exil où l’alliance paraîtra oubliée de la part de Dieu, comme elle l’avait été, du côté du peuple.
Et… : Et après cela. Après avoir traité Israël comme Israël l’a traité (oubli de l’alliance), Dieu agira à sa manière : Je me souviendrai, moi. Il prendra l’initiative d’une relation toute nouvelle avec Jérusalem.
Dans un sens, cette alliance sera le renouvellement de la première, en ce qu’elle continuera l’œuvre commencée par celle-ci ; dans un autre sens, ce sera une alliance nouvelle ; car elle n’aura plus ce caractère national et par conséquent temporaire ; elle sera universelle (verset 53) et éternelle ; ce qui suppose des bases toutes différentes de celles de l’ancienne.
Quand tu recevras… Les Juifs croyants ont formé le noyau de l’Église auquel ont été et sont encore adjoints successivement les croyants des autres peuples. Comparez Romains 11.17-18.
Pour filles. L’Église apostolique de Jérusalem fut la métropole des églises de la gentilité ; Paul n’avait rien de plus pressé, après avoir fait une mission, que de rattacher à Jérusalem les troupeaux qu’il avait formés dans le monde païen.
Mais non en vertu… L’alliance particulière conclue jadis avec Israël ne sera pas le fondement de cette œuvre nouvelle qui embrassera le monde. Le salut offert dans l’économie nouvelle reposera sur des faits divins tout nouveaux ; et les païens entreront dans le royaume de Dieu en vertu d’une autre alliance que celle que Dieu avait conclue spécialement avec Israël. Cependant Jérusalem aura aussi sa place ans cette alliance future, lors même que celle-ci ne sera plus la sienne.
Et de cette situation toute nouvelle résultera une profonde humiliation pour Israël, non seulement parce qu’il sera traité sur le même pied que tout autre peuple, mais surtout parce que ayant péché plus que tout autre, il sentira mieux aussi que les autres son indignité et la gratuité de sa miséricorde dont il aura été l’objet avec eux.
Quand je ferai expiation. Il s’agit ici du grand acte propitiatoire qui sera le fondement de l’alliance nouvelle, comme l’immolation de l’agneau pascal avait été celui de l’alliance théocratique.
On a parfois, dans les temps modernes, représenté Ézéchiel comme un esprit étroitement légal qui a frayé la voie au littéralisme sacerdotal dont l’empire s’établit après le retour de l’exil. Il suffirait de la fin admirable de ce chapitre pour réfuter cette appréciation. Le souffle prophétique n’a dicté à aucun serviteur de Dieu des paroles d’un spiritualisme plus élevé et plus glorieux.