Verset à verset Double colonne
Après avoir annoncé le jugement divin aux quatre petits peuples, proches voisins de Juda, le prophète s’adresse aux deux nations puissantes, habitant l’une au nord, l’autre au sud de la Terre Sainte, la Phénicie et l’Égypte. À la Phénicie il consacre les cinq morceaux contenus dans les chapitres 26 à 28 ; le premier, dans le chapitre 26, décrit prophétiquement la ruine de l’État de Tyr ; le second, chapitre 27, est une complainte sur cette catastrophe ; le prophète fait à cette occasion un tableau magnifique du commerce immense de cette ville ; le troisième, Ézéchiel 28.1-10, décrit la chute du roi de Tyr ; le quatrième, Ézéchiel 28.11-19, est la complainte sur cet événement ; enfin dans le cinquième, Ézéchiel 28.20-26, se trouve l’annonce de la ruine de Sidon, la principale succursale de Tyr sur le continent.
On voit par Ézéchiel 26.2 et par Ézéchiel 28.24, à quel point Tyr et Sidon s’étaient associées à l’hostilité des quatre peuples précédents contre Juda et s’étaient méchamment réjouies de la ruine de Jérusalem. Mais à cette cause de châtiment s’en joint une autre, qui ressort clairement de ces cinq discours : c’est l’esprit d’orgueil et de satisfaction de soi-même qui animait ces riches marchands et leurs princes.
Description de la ruine de Tyr (comparez Ésaïe chapitre 23). Dans les versets 1 à 6, l’événement est annoncé ; dans les versets 7 à 14, le vainqueur est désigné et sa puissance décrite ; les versets 15 à 18 dépeignent l’effet produit par cet événement dans toutes les colonies fondées par Tyr sur les rivages de la Méditerranée ; les versets 19 à 21 contiennent une dernière menace de Dieu adressée à cette métropole du commerce ancien.
La onzième année : en comptant depuis le commencement du règne de Sédécias ou, ce qui revient au même, depuis la déportation de Jéhojachin à Babylone. Ce fut cette année même, au quatrième mois, que Jérusalem fut prise par Nébucadnetsar ; la ville fut détruite un mois plus tard.
Le premier du mois. Il est étrange que le mois ne soit pas indiqué. On pourrait supposer qu’Ézéchiel pense à l’un des deux mois où eurent lieu la prise et la ruine, le quatrième ou le cinquième ; et l’on pourrait citer l’exemple de 2 Rois 25.3, où l’indication du quatrième mois est également supprimée comme s’entendant d’elle-même. Mais le cri de triomphe que le prophète met dans la bouche des Tyriens au verset 2, suppose que la nouvelle de la ruine leur était déjà parvenue, ce qui implique une date plus tardive, à moins d’admettre que, prévoyant l’issue certaine du siège, ils aient triomphé à l’avance. Il est plus simple de voir dans cette omission une négligence de copiste.
Le prophète formule dramatiquement le sentiment de joie jalouse qui animait les marchands tyriens.
La porte des peuples. Cette expression dans la bouche de ces païens ne peut se rapporter au rôle de Jérusalem comme instrument du salut des Gentils. Il paraît par tout ce verset que Jérusalem était, aussi bien que Tyr, un objet d’attention pour les peuples ; il semblerait même, quoique nous n’ayons pas de donnée sur ce point, qu’elle excitait la jalousie de Tyr au point de vue commercial, peut-être par un échange de marchandises à l’intérieur, au moyen des caravanes. Tyr prétendait être la seule ville célèbre sur toute cette côte entre l’Égypte et l’Asie-Mineure.
Il semble qu’il y ait une ironie dans ce verset : Tu veux des visiteurs, tu en auras !
La comparaison des peuples ennemis avec les flots de la mer est tirée de la situation particulière de Tyr au milieu des eaux. En effet, il ne s’agit pas ici de l’ancienne ville de Tyr, située sur le continent, qui manquait d’un port convenable et qu’avait autrefois prise Salmanasar ; Ézéchiel décrit la nouvelle Tyr, bâtie sur une petite île, à douze cents pas en avant dans la mer et qui possédait deux excellents ports, l’un du côté du nord, l’autre du côté du sud (Ésaïe 23.2, note).
Les murs, les tours. Les historiens (Arrien et Quinte-Curce) parlent des hautes murailles et des fortes tours qui rendaient l’île et la ville de Tyr presque imprenables.
Je balaierai. Une fois la ville détruite, les vents qui règnent sur la mer en balaieront la poussière.
Nouvelle allusion à la situation de Tyr : cette île finira par être couverte de filets de pêcheurs, au lieu de maisons.
Ses filles : les autres villes, situées sur la côte de Phénicie, dont le commerce dépendait de celui de la métropole. C’est par elles que l’ennemi commencera à dévaster le pays.
Ce roi des rois. C’était là le titre que prenaient les chefs des anciennes monarchies, qui avaient pour vassaux une multitude de rois.
Tes filles. Voir la note verset 6.
La tortue. Ce mot se rapporte sans doute à cette muraille de boucliers que formaient les assiégeants pour se protéger pendant les travaux d’approche.
Ses béliers : voir Ézéchiel 21.27.
Ses crochets. Le mot hébreu se trouve Job 40.19 où il désigne les dents de l’hippopotame. Il se rapporte sans doute ici aux puissants crampons de fer, assujettis à l’extrémité de longues perches, avec lesquels on arrachait les pierres supérieures des murailles, en même temps qu’on sapait celles-ci par le bas au moyen de béliers.
Ce verset ne suppose pas seulement la prise de la ville par Nébucadnetsar ; il décrit l’entrée de toute l’armée, même de la cavalerie, dans ses rues, ce qui étonne, puisque Tyr était en pleine mer. Ne faut-il point conclure de là que le prophète attribue à ce roi l’emploi du même moyen auquel eut recours, deux siècles plus tard, Alexandre-le-Grand ? Celui-ci fit construire à ses soldats une digne par laquelle fut comblé l’intervalle entre l’île et le continent. Cet ouvrage, qui a changé l’île en une presqu’île, subsiste encore ; et comme Nébucadnetsar a assiégé Tyr pendant treize ans et Alexandre seulement pendant quelques mois, il nous paraît probable que le second n’aura fait que restaurer l’ouvrage du premier.
Comme on entre dans… La position de Tyr semblait mettre cette ville à l’abri d’un siège régulier, tel que celui par lequel les conquérants forçaient les autres villes. Elle n’échappera pourtant pas. Ainsi s’explique l’à-propos des détails versets 8 et 9.
Tes puissantes colonnes. Il est probable que ce terme s’applique aux colonnes élevées en l’honneur de Baal, la principale divinité phénicienne. D’après Hérodote (II, 44), il y en avait deux particulièrement remarquables, l’une d’or, l’autre d’émeraude, dans le temple d’Hercule. Encore aujourd’hui, l’emplacement de Tyr est tout jonché de colonnes et de fragments de colonnes.
Tes beaux palais : les magnifiques demeures des marchands tyriens.
Tous les signes de joie qui accompagnent la vie d’une nombreuse et riche population disparaîtront. Nous avons traduit le mot kinnor par cithare, plutôt que par harpe ; il nous paraît, en effet, que dans cet instrument les cordes étaient plutôt parallèles que perpendiculaires au plancher de résonnance ; ce qui est le caractère de la guitare, du violon, du luth, non de la harpe.
Voir versets 4 et 5.
L’effet produit dans toutes les colonies phéniciennes établies sur les bords de la Méditerranée, par la nouvelle de la destruction de Tyr.
Les îles. Ce terme désigne dans tout l’Ancien Testament les terres baignées par la Méditerranée.
Les princes de la mer : les magistrats de ces colonies. Les Tyriens avaient eu soin de maintenir un lien très étroit entre la métropole et les colonies, surtout au moyen de la religion commune.
Ce verset nous transporte en quelque sorte dans l’assemblée du sénat de Carthage ou de l’une des grandes colonies phéniciennes en Espagne, au moment où y parvient la nouvelle du désastre de la métropole.
Se vêtiront d’épouvante. Tout dans l’expression de leur figure et dans le désordre de leurs vêtements exprimera l’effroi.
Sortait du sein des mers. En arrivant à Tyr, on voyait l’île et la ville comme surgir du sein des eaux.
Qui inspiraient la terreur. La grande cité marchande avec ses conseils et ses flottes était ce que furent plus tard les républiques de Venise ou de Gênes : tous les peuples de la Méditerranée respectaient le moindre de ses citoyens.
L’auront couverte. L’invasion ennemie est représentée sous l’image de l’immersion de l’île par l’océan.
La ville est personnifiée ; l’océan qui l’engloutit (verset 19) devient ici l’hadès qui reçoit les morts.
Je mettrai un ornement. Le mot tsevi désigne un joyau (comparez Ézéchiel 20.15 ; Ésaïe 13.19). À mesure que Tyr, l’ancien ornement du monde, descendra dans le lieu de l’éternel oubli, Dieu la remplacera sur la terre des vivants par un ornement brillant et durable. Il veut parler sans doute de Jérusalem, dont la ruine avait réjoui Tyr quand elle était encore dans sa force et qui, une fois rétablie, sera, sous le sceptre du Messie, la splendeur de l’univers.
Si, comme le pensent plusieurs critiques modernes, le sens de cette prophétie était nécessairement que la ruine finale de Tyr suivra immédiatement le siège de cette ville par Nébucadnetsar, il est évident qu’on aurait le droit de dire que cette prophétie est restée sans accomplissement. Les historiens ne nous disent pas même positivement que Tyr, après les treize années du siège de Nébucadnetsar, ait été prise et pillée. Deux siècles plus tard, elle est encore debout, au temps d’Alexandre-le-Grand, où elle soutient de nouveau un siège mémorable ; après quoi elle passe sous la domination grecque, puis sous celle des Romains. Au temps des apôtres il s’y trouve une église chrétienne. Pillée par les Croisés en l’an 1125 de notre ère, elle est enfin détruite par les Musulmans en 1275. Aujourd’hui, c’est un village de 4 à 5000 habitants, dont les maisons ne sont pour la plupart que des masures. L’un des ports est ensablé et son commerce a pris fin.
Mais si, comme nous l’avons dit déjà (Ésaïe 23.14 ; Ésaïe 23.18, note), le coup dont le prophète menace Tyr peut n’être envisagé que comme le commencement de sa décadence, qui s’est consommée ensuite graduellement, alors la menace prophétique d’Ézéchiel n’est point en défaut et nous ne trouvons ici autre chose que la preuve d’un fait évident : c’est qu’il faut distinguer entre la prophétie et l’histoire. Le prophète voit d’un coup d’œil l’arbre tout entier dans son germe ; l’historien suit du regard et signale toutes les phases du phénomène historique qui s’accomplit par degrés.
Quant à la question de savoir si Tyr a réellement été prise et pillée par Nébucadnetsar, nous ne pouvons, en l’absence de données historiques positives, la résoudre que par conjecture. Josèphe raconte que Nébucadnetsar ramena sous la dépendance de son père la Célésyrie et la Phénicie (Antiquités X, 11, 1). Dans son ouvrage Contre Apion (1, 19), il rapporte que ce roi conquit et ravagea la Syrie et la Phénicie tout entière. Il semble, par conséquent, que si Tyr, la capitale, n’eût pas été prise alors, il eût dû mentionner expressément ce fait exceptionnel, d’autant plus qu’il écrivait d’après des documents phéniciens qui n’auraient pas manqué de faire ressortir cet exploit de Tyr, à la gloire de leur patrie. Le grand roi Nébucadnetsar assiégeant cette ville pendant treize ans et obligé de se retirer sans l’avoir forcée…, ce serait là un fait éclatant que l’histoire n’eût pas aisément passé sous silence ; tandis que la prise de la ville était tacitement comprise dans la mention de ce long siège. On objecte, il est vrai, ce qui est dit par Ézéchiel lui-même, Ézéchiel 29.17-20, que Dieu donnera l’Égypte en pillage à Nébucadnetsar pour le rude travail que son armée a eu devant Tyr au service de Dieu et dont il n’a pas été salarié. Ce passage prouve assurément qu’une partie des richesses de Tyr lui avait échappé, mais non pas que la ville n’ait pas été prise. Nébucadnetsar n’avait pas de flotte ; et peut-on croire que pendant treize ans les Tyriens aient pu voir approcher le jour fatal, sans se servir de leurs vaisseaux pour mettre en sûreté dans les colonies une partie de leurs biens ? Ils en ont agi ainsi, nous le savons positivement, lors du siège d’Alexandre ; et cependant ils eurent alors bien moins de temps pour prendre cette mesure. Dieu dit, Ézéchiel 29.20, qu’il veut salarier Nébucadnetsar, parce qu’il a travaillé pour lui. Or, le travail que Dieu avait donné à ce roi, n’était pas d’assiéger Tyr, mais de la prendre. Un ancien historien (Ménandre) rapporte le fait suivant : Après quelque temps, les Tyriens firent revenir de Babylone, pour les gouverner, des membres de leur famille royale, entre autres Merbal et Hiram. Il résulte de là que la famille royale de Tyr avait été emmenée en captivité à Babylone et que Tyr, par conséquent, avait été prise par Nébucadnetsar.
Si nous envisageons cette question du point de vue large auquel il faut se placer pour apprécier les tableaux de nature prophétique, nous reconnaîtrons que ce que Dieu voulait annoncer par Ézéchiel, c’était le châtiment et la chute de Tyr comme grande puissance commerciale et non pas comme ville quelconque. Or Tyr, comme grand centre de négoce, ne s’est jamais relevée du coup dont l’avait frappée Nébucadnetsar ; dès ce moment, le déclin graduel de sa puissance et de sa richesse n’a pas cessé. Comme grand entrepôt international, elle est et reste ensevelie au fond des mers et le village qui marque sa place sur la carte, n’est que l’épave qui témoigne de son naufrage.