Verset à verset Double colonne
Après avoir annoncé la ruine de la ville et de l’État de Tyr et prononcé une complainte sur cette catastrophe, le prophète s’adresse au chef de ce peuple, au roi de Tyr. Il décrit sa grandeur et annonce sa chute (versets 1 à 10) ; puis, dans un langage magnifique, il entonne un chant funèbre à son sujet (versets 11 à 19).
Le prince régnant, au moment où Tyr fut frappée par Nébucadnetsar, se nommait Ithobal. C’était un habile général, qui résista pendant treize ans au puissant roi de Babylone. Mais il est évident que ce n’est pas lui personnellement qu’a en vue le prophète ; le sujet de ce discours, c’est le prince de Tyr, dans le sens abstrait du mot, le roi, en tant que fondateur et soutien permanent de l’État. Et ce roi tyrien n’est pas seulement à ses yeux la personnification de Tyr ; c’est aussi, semble-t-il (verset 11 et suivants), celle de l’humanité, elle-même, dans sa grandeur et son orgueil d’une part, son châtiment de l’autre.
Au prince de Tyr. Le mot employé pour dire prince : naguid désigne le conducteur d’une troupe, le chef d’une communauté.
Je suis un dieu. Nous n’avons pas de preuves que les souverains phéniciens se soient fait adorer ; mais la divinisation de l’homme était le fond des religions païennes et des civilisations antiques. Le prophète formule le sentiment renfermé dans le cœur de celui qu’il fait parler. Comparez le langage prêté au roi de Babel, Ésaïe 14.13-14.
Un trône de dieu : dressé pour un dieu. C’est l’île de Tyr que le prince appelle ainsi. Tous les États anciens s’envisageaient comme fondés par leurs divinités nationales, qui n’étaient autres que les forces naturelles soit du pays, soit du peuple, personnifiées. Le roi, placé à la tête d’un tel État, était comme assis sur le trône de ces dieux eux-mêmes. Ajoutons que Tyr, chez les anciens, avait spécialement le titre d’île sainte. Elle était sous ce rapport comme la rivale de Jérusalem.
Ici commence une parenthèse qui va jusqu’à la fin du verset 5 et dans laquelle Ézéchiel énumère les facultés admirables au moyen desquelles le prince de Tyr s’est élevé à la position qu’il occupe avec tout son peuple.
Plus sage que Daniel. Nous avons déjà vu, Ézéchiel 14.14, que Daniel était bien connu d’Ézéchiel et de ses compatriotes exilés. Le passage actuel le prouve avec plus d’évidence encore ; car ce qui est dit ici de la sagesse de Daniel, à laquelle aucun mystère ne restait caché, ne peut laisser de doute sur l’application de ces mots au personnage de ce nom qui, à la cour de Nébucadnetsar, avait donné des preuves d’une sagesse divine et avait été élevé par cette raison aux plus hautes charges de l’État. Il y avait dix-sept ans, au moment où parlait Ézéchiel, que Daniel avait été emmené en captivité. Cet espace de temps suffit parfaitement pour expliquer sa célébrité.
Par ta sagesse. Le contexte prouve qu’il ne s’agit pas de la sagesse attribuée à l’ancien roi Hiram et par laquelle il expliquait les énigmes que Salomon lui proposait, mais de l’habileté avec laquelle les rois de Tyr avaient organisé l’immense commerce de leur petit État et avaient réussi à exploiter à leur usage en quelque sorte toutes les richesses de la terre (chapitre 27). La marche des idées est celle-ci : d’abord la sagesse reçue de Dieu ; puis l’usage égoïste de ce don ; de là la prospérité ; enfin l’orgueil qui amène la chute.
À cause de cela : reprise des deux parce que du verset 2 : parce que ton cœur… et : parce que tu t’es fait…
Description du châtiment : après l’orgueil vient l’abaissement.
Des étrangers : le roi de Babylone et ses troupes.
La mort est ici le symbole de l’abaissement et de la destruction. Le prophète parle, non d’un individu, mais du roi de Tyr, dans le sens abstrait. Il ne faut donc pas chercher ici l’annonce du genre de mort d’Ithobal, qui régnait alors.
De mort d’incirconcis. Il a beau se croire dieu ; il périra de la fin misérable des hommes que Dieu réprouve. Il y a du reste lieu de penser que les Phéniciens pratiquaient la circoncision.
La complainte sur le prince de Tyr. Et d’abord sa grandeur et sa magnificence (versets 11 à 15) ; puis sa punition (versets 16 à 19).
Le couronnement de l’édifice. Le texte dit : celui qui scelle l’édifice, qui imprime à l’État le sceau de la perfection.
Suit la demeure du prince.
En Éden. L’île de Tyr, entourée des mers et remplie de toutes les richesses du monde, est comparée au jardin d’Éden, l’idéal du séjour terrestre. Mais précisément parce qu’il n’est pas question ici du rôle de ce jardin dans l’histoire du salut, mais seulement de sa beauté extérieure, Ézéchiel dit non : jardin de Jéhova, comme Genèse 13.10 ; Ésaïe 51.3, mais : jardin d’Elohim ; ce dernier terme, en effet, désigne Dieu, non comme Dieu de la révélation, mais comme la divinité en général.
De pierres précieuses. Allusion aux pierres précieuses et à l’or qui se trouvaient dans le paradis (Genèse 2.11-12). Les vêtements du roi resplendissaient de ces ornements dans les jours de fête.
Des fifres : dans les fêtes que l’on célébrait à Tyr. On a traduit le mot hébreu diversement ; quelques-uns y ont même vu les femmes du harem.
Le jour où tu fus créé. Le prophète veut parler du jour de l’avènement au trône des rois tyriens : comparez Psaumes 2.7, où l’avènement glorieux du Messie est exprimé par ces mots : Je t’ai engendré aujourd’hui. Le terme de créer, employé ici, fait allusion à la création d’Adam.
Le chérubin oint pour protéger. C’est la traduction la plus littérale. Le mot oint se rapporte au sacre du roi ; il devient dès ce moment pour l’État de Tyr et ses sanctuaires ce qu’était Adam pour le jardin d’Éden, leur gardien. La fonction des chérubins est de veiller, de garder. Comparez le chérubin gardant l’arbre de vie (Genèse 3.21) ; les chérubins étendant leurs ailes sur l’arche de l’alliance (2 Rois 8.7) ; et les taureaux ailés (appelés kirubi) qui semblent veiller à la porte des temples et des palais assyriens.
Sur la sainte montagne de Dieu : comparez la note verset 2. Tyr est ici comparée à Sion, la vraie montagne de Dieu.
Au milieu des pierres de feu. On ne peut savoir certainement à quoi cette expression fait allusion. Il n’est pas question de parure, puisqu’il est dit : Tu marchais au milieu… On a voulu voir dans cette expression un emblème de la protection divine, d’après Zacharie 2.5 ; mais combien ce sens est forcé ! Le prophète ne fait-il point allusion à ces deux colonnes d’or et d’émeraude près desquelles le roi se tenait sans doute quand il présidait au culte national dans le temple d’Hercule, le dieu protecteur de Tyr (voir note Ézéchiel 26.11) ?
Tu fus parfait. Cette grande activité commerciale, à laquelle se livraient le roi et son peuple, n’avait en soi rien de criminel ; mais la mauvaise foi et l’injustice s’y sont mêlées et l’ont gâtée. Le prophète fait évidemment de cette chute morale du roi de Tyr, le pendant de la faute d’Adam. Suit la description du châtiment.
Je t’ai chassé : comme Adam du paradis.
Je t’ai fait périr : comme Adam condamné à mort.
À cause de ta beauté. Les dons de Dieu, dès que nous nous en servons pour nous glorifier nous-mêmes, deviennent l’instrument d’une chute proportionnée à leur grandeur.
Tu as perverti ta sagesse. Elle n’a plus été que le moyen de satisfaire son orgueil et s’est faussée par cette direction égoïste.
Précipité par terre : banni du trône et de la divine montagne (versets 2 et 16), sur lesquels Dieu l’avait placé. Comparez Ésaïe 14.12.
Tu as profané tes sanctuaires en attirant sur tes temples et tes autels la destruction.
J’ai fait sortir un feu… : c’est de son injustice propre qu’est procédée sa ruine.
Tu as cessé d’être. Un moment viendra où la royauté tyrienne ne sera plus qu’un souvenir.
Il n’y a pas seulement dans ce morceau l’accent d’une sainte indignation ; on y sent en outre une profonde sympathie et une vive admiration pour ce petit État et pour son prince, qui étaient parvenus à dominer les mers et à se faire un nom égal à celui des grandes capitales et des souverains les plus puissants du monde. C’est que ce n’était pas par la force brutale, mais par une activité toute pacifique, que Tyr avait obtenu sa grandeur. Ézéchiel voit évidemment dans cette ville une image terrestre de la vraie grandeur, acquise par les arts de la paix, une émule de Jérusalem elle-même, de la cité d’où doit sortir, le règne de la parfaite paix.
Un des traits les plus propres à frapper dans ce tableau, c’est le parallèle que le prophète établit hardiment entre le roi de Tyr et le premier homme. Ce morceau est unique en son genre.
Annonce du châtiment de Sidon. Sidon étant alors la succursale de Tyr, on se demande, pourquoi elle est l’objet d’une prophétie spéciale. Peut-être cette mention avait-elle pour but de compléter le nombre sept, qui devait être celui des peuples étrangers représentants du monde païen dans ce recueil. Mais il faut surtout se rappeler que Sidon avait devancé Tyr et qu’elle est ainsi la plus ancienne représentante du peuple phénicien et du commerce maritime.
Je me glorifierai. Cette expression est empruntée à Exode 14.4, Exode 14.7-8. Dieu se glorifie en une créature, quand il fait éclater à son occasion l’une de ses perfections.
Je me sanctifierai en elle. Ce second terme fait comprendre quelle est la perfection que Dieu va manifester dans sa conduite à l’égard de Sidon ; ce sera sa sainteté, son horreur du mal. Il atteindra ce but en la jugeant.
Description du jugement de Sidon. Sidon fut sans doute frappée, avec toutes les autres villes de la côte, immédiatement avant le long siège de Tyr ; comparez Ézéchiel 26.6. Hérodote et Diodore mentionnent aussi la prise de cette ville par la flotte de Pharaon Hophra, peu de temps après l’époque du siège de Tyr.
Epine malfaisante, ronce irritante : allusion à Nombres 33.55, où Dieu dit aux Israélites que les Cananéens qu’ils laisseront vivre au milieu d’eux les feront amèrement souffrir. Ézéchiel compare les Sidoniens et en général tous les petits peuples païens, proches voisins d’Israël (chapitre 25), à des instruments de souffrance du même genre. Mais ces épines seront arrachées un jour.
Cette menace contre Sidon forme la transition à la promesse en faveur d’Israël, qui termine les prophéties relatives à la Phénicie.
À la ruine de la Phénicie est opposée la restauration d’Israël. Comme le prophète voit, d’un côté, dans le coup dont va être frappée Sidon, le principe de sa décadence future, ainsi, d’autre part, il voit dans le retour prochain d’Israël le commencement de son élévation finale.
Je me sanctifierai. L’Éternel se sanctifie en l’homme de deux manières : en celui qui refuse de le servir, par le châtiment, c’est le sens de cette expression verset 22 et en celui qui lui rend l’hommage de l’adoration et de l’obéissance, par le salut. Ce sera ici la part d’Israël. En face de ce contraste si clairement annoncé et si merveilleusement réalisé dans l’histoire, on ne devrait pas parler, à l’occasion de ces chapitres, de prophétie non accomplie.