Verset à verset Double colonne
C’est ici le point culminant de la vie d’Abraham. Cette vie avait été une alternative constante de grâces et de sacrifices. Le sacrifice, dans cette dernière scène, s’élève tellement haut qu’il surpasse tous ceux qui ont jamais été accomplis par l’homme et qu’il devient même une image anticipée de celui de Dieu envers l’humanité. Après cela, au plus grand des sacrifices succède la plus grande des grâces. Toutes les promesses faites au patriarche sont réunies une dernière fois dans la bénédiction que Dieu prononce sur l’acte qu’il vient d’accomplir et l’Éternel y appose même le sceau du serment. Après un tel sacrifice et une telle grâce, le reste de la vie du père des croyants, semblable à un fleuve tranquille, s’écoule en paix vers l’éternité.
Après ces choses. Voir Genèse 15.1. Le temps écoulé depuis qu’Isaac avait été sevré (chapitre 21) doit avoir été assez long, puisqu’Isaac était devenu un jeune homme capable de porter un fardeau (verset 6).
Mit à l’épreuve. Le verbe que nous traduisons ainsi est celui qui est habituellement traduit par tenter. Tenter, c’est mettre à l’épreuve la force morale, soit afin de faire pécher (c’est ainsi que tente Satan et c’est à ce genre d’épreuves qu’est ordinairement appliqué le terme tenter), soit pour exercer cette force et l’accroître par une lutte victorieuse ; c’est ainsi qu’éprouve Dieu.
Il arrive pourtant aussi que Dieu tente de la première manière, et cela, par le moyen de Satan, quand il veut humilier un cœur orgueilleux et briser sa confiance en lui-même. C’est ainsi que Dieu tente David (2 Samuel 24.1), par l’intermédiaire de Satan (1 Chroniques 21.1).
Ici, c’est un cas semblable à l’épreuve dispensée à Job : Dieu veut couronner la vie d’Abraham par un acte d’obéissance qui soit le fruit le plus glorieux de sa foi et qui en démontre, malgré toutes les fautes commises par lui, la pleine réalité.
Et il lui dit : Abraham ! C’était sans doute durant la nuit, car Abraham se lève ensuite de bon matin pour exécuter l’ordre de Dieu. Abraham connaît cette voix : c’est celle qui l’a appelé en Mésopotamie, qui lui a dit plus tard : Je suis ton bouclier ; c’est celle enfin qui lui a promis son Isaac ; c’est la voix de son berger, la brebis la reconnaît. Sans cette connaissance certaine, l’obéissance à l’ordre qui va suivre ne serait que du fanatisme.
Et il répondit : Me voici ; comme le serviteur prêt à accomplir la volonté de son maître.
Prends ton fils… Abraham avait quitté sa patrie, sa famille, s’était séparé de Lot, le dernier représentant de sa parenté, avait chassé Ismaël, devenu cher à son cœur. Isaac lui restait, le don de Dieu, le porteur des promesses, la joie de ses derniers jours. Dieu lui dit : Prends-le, lui, ton fils et il ajoute, comme s’il voulait lui retourner le poignard dans la plaie ton unique, celui que tu aimes et pour qu’il ne s’y trompe pas, Isaac.
Il ne doit pas seulement se le laisser prendre par Dieu au moyen d’un accident, d’une maladie ; il doit le prendre et l’immoler lui-même, Dieu a le droit de redemander ses propres dons et il le fait lorsque le don menace de prendre dans le cœur la place du donateur. Mais il ne le fait pas par un sacrifice forcé, car il faut que le sacrifice passe par le cœur et la volonté de celui qui est appelé à passer par cette épreuve ; la perte simplement subie n’est point encore le sacrifice.
Au pays de Morija : le pays dont la montagne appelée Morija était le point central. Ce pays ne portait probablement pas encore ce nom, qui ne peut guère lui avoir été donné qu’à la suite de l’événement raconté dans ce chapitre (comparez verset 14).
Morija signifie, en effet, apparition de l’Éternel. Ce mot aura remplacé, dans la tradition qui est à la base de notre récit, l’expression même que Dieu a employée en parlant à Abraham. Ce mot ne se retrouve dans tout l’Ancien Testament que dans 2 Chroniques 3.1, où il désigne la colline sur laquelle fut bâti le temple de Jérusalem.
Quelques interprètes, qui n’admettent pas l’identification de ces deux localités, pensent qu’il est ici question de Moré, près de Sichem (Genèse 12.6). Mais de Béerséba, où il habitait, Abraham n’aurait, pas pu arriver en trois jours (verset 4) ; jusqu’à cet endroit qui en est éloigné de trente-cinq lieues, tandis qu’il pouvait fort, bien arriver dans cet espace de temps jusqu’à la localité où est située Jérusalem, qui n’est distante de Béerséba que de vingt lieues.
Offre-le en holocauste. Les sacrifices humains étaient en usage chez tous les peuples environnants (Phéniciens, Moabites, Ammonites). Il est dit d’eux spécialement qu’ils faisaient passer leurs enfants par le feu et quand les Israélites se laissèrent aller à l’idolâtrie, ils les imitèrent aussi sur ce point. Voir 2 Rois 16.3 ; 2 Rois 17.17 ; 2 Rois 21.6, etc.
Dieu ne voulait en réalité que le sacrifice intérieur. Mais pour que celui-ci fût sérieusement offert, il fallait qu’Abraham se fût montré prêt à offrir même le sacrifice extérieur. Et pour que le peuple d’Israël comprit bien que le don de ses enfants réclamé par son Dieu était non l’immolation extérieure, mais l’offrande de la reconnaissance et de la consécration spirituelle, il fallait plus qu’une parole abstraite ; il fallait une scène vivante et à jamais ineffaçable, telle que celle qui va suivre.
Sur une montagne… Comme, lors de son premier appel à Abraham (Genèse 12.1), Dieu ne lui avait indiqué que la direction dans laquelle il devait marcher, se réservant de lui désigner plus tard le pays où il devrait s’arrêter, il en agit de même en ce moment. Ce sera peu avant le sacrifice qu’il lui en indiquera le lieu précis (versets 4 et 9).
Ce passage suffirait à prouver combien peu la voix de l’Éternel, dont parle si souvent l’Écriture, peut être confondue avec les inspirations de l’âme religieuse. L’ordre divin était diamétralement à tous les sentiments du cœur d’Abraham.
Se leva de bon matin. Abraham se hâte et il a raison ; une fois le sacrifice clairement demandé, chaque instant de retard est un commencement de défaite et ne fait qu’augmenter la difficulté de l’obéissance. Il fait avec calme, sans rien oublier, les préparatifs du voyage et du sacrifice. Et cette soumission est d’autant plus complète qu’Abraham ne comprend pas lui-même le but de Dieu dans une pareille dispensation. C’est là le comble de la foi : marcher en avant sans comprendre ; qu’on se rappelle l’obéissance de Gethsémané.
Le troisième jour. Dieu le fait aller bien loin et marcher bien longtemps aux côtés de celui qu’il a mission d’immoler. Le vrai sacrifice ne doit pas être l’effet d’une exaltation momentanée ; c’est là la différence entre le faux et le vrai dévouement. Celui-là est un feu factice qui s’éteint dès que l’épreuve se prolonge, celui-ci jette une flamme moins vive, mais plus durable.
Vit le lieu de loin. Ce fut à ce moment sans doute que Dieu indiqua exactement le lieu choisi par lui.
Nous voulons aller…, puis revenir. Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’Abraham ait voulu être seul dans la scène qui allait suivre. Mais comment peut-il dire qu’Isaac reviendra ? Abraham savait par la promesse divine qu’Isaac devait être le père de sa postérité par laquelle s’accomplirait le salut du monde ; et dans cette certitude de foi, il est prêt à plonger le couteau dans le sein de l’enfant, parce que la parole divine est plus certaine pour lui que le fait même de la mort.
C’est cette solution que nous donne l’épître aux Hébreux (Hébreux 11.19) : Abraham estima que Dieu est puissant jusqu’à ressusciter les morts ; c’est pourquoi aussi il recouvra Isaac par une sorte de résurrection.
Plus de distraction ; le père et l’enfant sont seuls en face l’un de l’autre. Un vague, mais affreux pressentiment a-t-il traversé l’âme d’Isaac en se voyant ainsi seul, au milieu de ces apprêts de sacrifice, avec son père, sur la figure duquel se peint le déchirement intérieur ? Il semble que la question d’Isaac doive faire éclater l’émotion du père et l’explosion de sa tendresse lui ôter la dernière force du sacrifice. Mais non ; la foi l’a conduit jusque-là ; la foi le soutiendra jusqu’au bout ; c’est elle qui répondra.
Verra à trouver, littéralement : verra pour lui. La traduction se pourvoira de n’est pas tout à fait exacte.
Ils allaient tous deux ensemble. Cette touchante répétition (comparez verset 6), qui ressemble à un refrain, est le seul indice de l’émotion qu’éprouve l’auteur, en écrivant ce récit d’une si parfaite simplicité.
Il lia Isaac son fils. Isaac ne résiste pas : empire saisissant d’un père pieux sur son enfant ! C’est parce qu’Abraham obéit ainsi à Dieu, qu’Isaac obéit ainsi à Abraham. Mais il y a plus : Isaac ne se plaint même pas ; Dieu ne permet pas qu’Abraham soit tenté au-delà de ses forces. Il n’y a qu’un Père qui puisse entendre ce cri d’angoisse de son enfant : Père ! Que cette coupe passe loin de moi ! et continuer le sacrifice.
Jusque-là, mais pas plus loin, dit Dieu à l’épreuve. Ce qu’il voulait, ce n’était pas le sang d’Isaac, c’était le cœur d’Abraham et ce cœur, il l’a obtenu en plein.
Me voici : toujours la même réponse : à Dieu (verset 1), à Isaac (verset 7), à l’ange de l’Éternel. C’est le mot de la résignation : il est prêt.
Et l’ange dit. Dieu est satisfait, car il n’est pas un Moloch ou un Baal. La consommation du sacrifice, c’est pour lui-même qu’il la réserve.
Maintenant je sais. L’acte d’Abraham vient de prouver qu’il n’y a rien qu’il ne soit capable de donner à son Dieu.
Tu ne m’as pas refusé. L’ange de l’Éternel parle comme étant l’Éternel lui-même. Saint Paul fait certainement allusion à cette parole de l’ange dans Romains 8.32. Le sacrifice de Dieu en Golgotha doit prouver à l’homme ce que celui d’Abraham a prouvé à Dieu : c’est qu’il n’y a rien que Dieu n’ait la volonté et le pouvoir de lui donner.
Mais le feu et le couteau ne doivent pas avoir été apportés en vain. Il y a dans le cœur d’Abraham un torrent de reconnaissance qui demande à s’épancher mieux qu’en paroles ; il lui faut un sacrifice d’actions de grâces exprimant la consécration toute nouvelle qu’il fait à Dieu de lui-même, d’Isaac et de tout ce qu’il a.
C’était là le sens des sacrifices qui portaient le nom d’holocaustes et dans lesquels la victime était complètement brûlée. Dieu lui-même trouve dans ce lieu désert la victime destinée à remplacer sur le bûcher déjà dressé celle qu’Abraham s’était préparé à immoler.
L’Éternel verra (Jéhova Jiré). Nous traduisons ici littéralement le même mot que nous avons dû rendre au verset 8 par : verra à trouver. Le sens est : Dans tous les cas qui pourront se rencontrer, l’Éternel verra le besoin et saura trouver le moyen d’y répondre comme il l’a fait cette fois.
De là le proverbe populaire usité au temps de l’auteur : Sur la montagne de l’Éternel, il (l’Éternel) sera vu, ce qui équivaut au nom qu’Abraham vient de donner à ce lieu, en ce sens que, où Dieu intervient pour secourir (voit) il est aussi vu lui-même. Cela s’applique d’abord à la montagne où Abraham a fait le premier cette expérience et sans doute aussi à la montagne du temple, où l’Éternel ne cessait de se manifester.
Il est clair qu’il n’y a rien à conclure de cette application à la montagne du temple pour le temps où tout ce récit a été composé, puisque cette notice a pu être intercalée postérieurement, pour établir le rapprochement entre la colline du sacrifice et celle du temple.
Nous avons renoncé à la traduction habituelle : sera pourvu, parce que le passif du verbe rad (voir) n’a jamais ce sens en hébreu.
C’est probablement de l’ensemble des idées exprimées dans ce verset qu’on a tiré plus tard le nom de Morija (apparition de l’Éternel). Comparez verset 2.
L’ange prend la parole une seconde fois : il veut couronner la vie de foi d’Abraham par une bénédiction suprême.
J’ai juré par moi-même. Le Pentateuque fait fréquemment allusion à ce serment (Genèse 24.7 ; Genèse 26.3 ; Genèse 50.24 ; Exode 13.5 ; Exode 13.11 ; Exode 33.1, etc.) car c’est là un fait unique dans l’histoire du règne de Dieu.
L’épître aux Hébreux fait ressortir aussi la différence entre les simples promesses de Dieu faites jusqu’alors et son serment (Hébreux 6.17). Désormais, quoi qu’il arrive, la promesse tiendra bon et aboutira, fût-ce après de longs siècles, à sa pleine réalisation dans la postérité d’Abraham. Comparez Romains 11.29.
Les trois traits de la promesse que nous avons retrouvés à travers toute l’histoire d’Abraham sont relevés et réunis ici avec une solennité particulière : une, postérité nombreuse comme les étoiles du ciel (Genèse 15.5), comme le sable de la mer (Genèse 13.16) ; cette postérité possédant la porte de ses ennemis c’est-à-dire occupant leurs villes, ce qui équivaut ici à la promesse de la conquête de Canaan (Genèse 13.14-15) ; enfin cette postérité jouissant d’une bénédiction si grande que tous les peuples se béniront en se souhaitant mutuellement d’y participer (comparez Genèse 12.3).
Voilà ce que Dieu promet une dernière fois, en engageant par serment sa propre personne, parce qu’il ne peut donner une garantie plus grande de sa parole. Abraham a ainsi donné sa postérité pour la retrouver au centuple.
Il habita à Béerséba. Comparez Genèse 21.34, note.
Avec le récit du sacrifice d’Isaac, l’auteur de la Genèse a atteint le but qu’il se proposait en racontant la vie d’Abraham ; il a montré le développement de la foi du patriarche jusqu’au moment où par cet acte d’obéissance suprême elle est parvenue à son apogée. Des années qui suivront, il ne nous rapportera que quelques faits isolés. Les détails qu’il va nous donner sur la famille de Nachor ont pour but de préparer le récit du chapitre 24.
Après ces choses. Voir Genèse 15.1, note. Plusieurs des noms indiqués dans les versets, suivants se retrouvent comme noms de tribus soit chez les auteurs anciens, soit dans la Bible.
Uts, Voir Genèse 10.23, note. Cette tribu ne devait pas être homogène, on y trouvait des descendants d’Aram et des descendants de Thérach, qui s’étaient amalgamés de manière à former une tribu distincte.
Buz. Nom d’une tribu arabe voisine du pays d’Édom. Comparez Jérémie 25.23. Élihu, l’un des amis de Job, appartenait à cette tribu (Job 32.2). Les inscriptions assyriennes parlent d’un pays de Bazou, dans la partie septentrionale de l’Arabie.
Kémuel, inconnu.
Père d’Aram. Aram est probablement ici le nom de l’une des nombreuses tribus qui formaient la race araméenne. Comparez Genèse 10.22, note.
Késed, père non pas des Kasdim (Chaldéens) bien connus dans l’histoire mais seulement des Chaldéens de Job 1.17, qui semblent avoir été une tribu de bédouins pillards.
Hazô. Les inscriptions assyriennes parlent d’un pays de Hazou, qui devait se trouver dans l’Arabie septentrionale.
Pildas. Inconnu. On a retrouvé le mot Pildasou comme nom d’homme dans des inscriptions nabatéennes.
Jidlaph. Inconnu.
Béthuel : certainement nom d’un individu plutôt que d’une tribu (chapitre 24).
Les versets 23 et 24 ne rentrent pas dans le rapport fait à Abraham (verset 20) ; c’est une notice ajoutée par l’auteur. En effet, au chapitre 24, Abraham semble ignorer l’existence de cette fille de Béthuel.
D’après ce verset, on voit bien que le but de ce morceau est de préparer le récit du chapitre 24.
Tébach. On retrouve en Syrie et en Mésopotamie plusieurs noms de villes qui rappellent celui de Tébach, sans que nous sachions s’il faut l’identifier avec l’un ou l’autre de ces noms. Voir en particulier 1 Chroniques 18.8 et le passage parallèle 2 Samuel 8.8.
Gaham, inconnu.
Thahas, inconnu ; il est peu probable qu’on puisse l’identifier avec Atahas, ville mentionnée par un auteur ancien au nord-ouest de Nisibis en Mésopotamie.
Maaca, appelé ailleurs Aram-Maaca (1 Chroniques 19.6), est le nom d’une tribu araméenne qui, d’après Deutéronome 3.14 et Josué 12.5 doit avoir habité dans le voisinage du Hermon.
Remarquons que Nachor a douze fils, comme Ismaël (Genèse 25.16) et Jacob (Genèse 35.22). On a conclu de cette coïncidence que nous n’avons ici qu’une combinaison légendaire marquant le moment où la famille devient un peuple. Cependant certains détails propres à l’une ou l’autre de ces trois traditions semblent indiquer que nous avons affaire à des données historiques positives. C’est ainsi que les douze fils d’Ismaël proviennent d’une seule mère, tandis que ceux de Nachor sont les enfants de deux mères et ceux de Jacob de quatre mères différentes.