Verset à verset Double colonne
Ce troisième discours complète les deux précédents, Job jette un coup d’œil rétrospectif sur toute sa vie passée ; il mentionne les uns après les autres divers péchés dans lesquels un homme de sa condition est particulièrement exposé à tomber, mais à chaque fois il affirme solennellement et avec des imprécations contre lui-même qu’il les a évités et même qu’il a pratiqué les vertus opposées. Ce discours est exempt de toute récrimination, de toute révolte, de toute acrimonie et se distingue par là de ceux qui ont précédé et surtout des premières explosions de sa douleur et de son indignation. Le poète, avec un art consommé, sait varier les développements de son thème, au fond toujours le même. Un calme relatif s’est fait dans l’âme de Job ; sa conscience est pure. Il sent que Dieu est pour lui et il a réduit ses adversaires au silence.
Il n’y a pas dans ce beau chapitre de suite logique ; mais il est plein de vie. Convoitise des yeux, mensonge, adultère, dureté envers les esclaves et les indigents, orgueil favorisé par la richesse, idolâtrie, joie maligne qu’inspire si facilement le malheur d’un ennemi, refus d’exercer l’hospitalité, hypocrisie, rapines, péchés grossiers et péchés subtils, il passe de l’un à l’autre en protestant de son innocence et semble même parfois perdre le fil de son discours (versets 35 à 37).
J’avais fait un pacte avec mes yeux, ou plus exactement : J’avais imposé un pacte à mes yeux, car dans cette alliance les deux parties n’ont pas des droits égaux.
Attention à une vierge. Ceci nous transporte en plein sermon sur la montagne (Matthieu 5.27-28) et s’élève, en fait de délicatesse, bien au-dessus de ce qui a été dit aux anciens. Les Septante ont retranché ces quatre versets, probablement parce qu’ils les trouvaient d’un rigorisme exagéré. Les scrupules que Job exprime ici n’ont guère pu naître que chez un homme d’élite qui avait profité de la discipline de la loi (dixième commandement). Au reste, les regards ne sont pas séparés ici des péchés auxquels ils peuvent conduire.
Dieu ne voit-il pas …? Littéralement : Lui, ne voit-il pas ? tandis que ce sont là des choses qui échappent aux regards des hommes.
Dans le mensonge, plus exactement avec le mensonge, ayant la fausseté pour compagne de voyage, vivant dans l’intimité avec cette disposition.
Construction brisée, comme versets 28, 30, 32.
Du chemin : du droit chemin, du seul qui conduise au but.
Mon cœur, le siège des décisions.
Si quelque souillure, proprement tare ; ici une de ces injustices contre le prochain qui font dans une vie une tache ineffaçable.
Mes plants : les produits de mes champs.
Le guet à la porte de mon prochain : pour y entrer dès qu’il en est sorti.
Tourne la meule : travail des plus misérables esclaves (Exode 11.5 ; Ésaïe 47.2), qui étaient obligés de céder à tous les caprices de leurs maîtres.
Une iniquité punie par les juges : combien plus par Dieu (verset 12) !
Châtiments à venir, châtiments temporels : l’adultère désagrège la famille et sape par la base prospérité et bonheur.
Ici, plus encore peut-être que dans les versets 1 à 4, nous admirons le point de vue élevé de l’auteur. L’égalité d’origine et de droits entre le maître et l’esclave est chose inconnue dans l’antiquité. Malachie 2.10 ne proclame que l’égalité de tous les Israélites ; il faut descendre jusqu’à Éphésiens 6.9 pour trouver un pendant à notre passage.
Qui nous a créés. Comparez Job 10.8-12.
Comparez Job 29.12-17 et les assertions contradictoires d’Éliphaz, Job 22.6-9.
Lui, l’orphelin ; elle, la veuve.
Dès le sein de ma mère : hyperbole poétique. Il ne se rappelle pas avoir eu à l’endroit des petits et des faibles des sentiments autres que ceux qui l’animent.
Si ses reins… Voir Job 19.27, où toutefois le mot hébreu diffère. Nous dirions : S’il ne m’a pas béni du fond de son cœur.
Je me savais soutenu par les juges, littéralement : Je me voyais du secours à la porte, là où se rend la justice. Job savait que grâce à sa haute situation, il aurait facilement trouvé des juges disposés à le disculper, alors même qu’il aurait abusé de son pouvoir pour écraser un orphelin.
Il y aurait correspondance entre le châtiment (bras) et le péché (main, verset 21).
Pour Job, le Dieu qui parle à la conscience avant, était déjà celui qui punit après le péché commis.
Quand on est-à-dire à son âme : Tu as des biens assurés pour longtemps… on pense aussi pouvoir plus facilement se passer du vrai Dieu. Les heureux ont volontiers des croyances relâchées.
Réponse indirecte au reproche d’Éliphaz, Job 22.24.
La lumière du soleil… et la lune. Le culte des astres était très répandu chez les Sémites. Le nom d’Aschéra, la déesse de la lune et l’épouse de Baal, le Dieu du soleil, signifie l’heureuse, celle qui porte bonheur (Ésaïe 17.8, note).
Si ma main s’est portée à ma bouche : pour envoyer à ces astres un baiser d’adoration. Le mot adorer signifie proprement porter la main à la bouche. Sur la valeur de ce baiser, voyez Psaumes 2.12 ; 1 Rois 19.18.
Au lieu de l’indication du châtiment qu’il aurait mérité, nous avons ici le simple énoncé de la gravité d’un pareil péché.
Puni par les juges. Voici un détail qui trahit un auteur israélite, car, en dehors de la théocratie (Deutéronome 4.19 ; Deutéronome 17.3), où donc l’adoration des astres aurait-elle constitué un crime civil ? Remarquons aussi que ceci ne peut guère avoir été écrit dans le temps des Achaz et des Manassé, où l’adoration de l’armée des cieux était devenue si générale en Israël.
Loin de haïr ses ennemis, il a toujours tenu sa langue et son cœur en bride à leur égard.
De réclamer : de Dieu, par une prière (1 Rois 3.11).
Si les gens de ma maison, littéralement : de ma tente.
S’il peut, comme il vient de le faire, repousser hautement tant d’accusations, ce n’est pas qu’il ait réussi comme beaucoup d’autres à se faire passer pour juste ; il l’est en effet.
Si, à la manière des hommes. La traduction : Si, à la manière d’Adam, qui est grammaticalement possible, doit être abandonnée, car il s’agit ici de cacher ses péchés aux hommes et non pas à Dieu.
An lieu de l’imprécation à laquelle on s’attend après le verset 34, Job réclame instamment qu’on veuille une fois l’entendre. Voir déjà le verset 6.
Voici ma signature. Il garantit par là l’innocence qu’il déclare ; il engage son nom.
Ah ! Si j’avais l’acte d’accusation. Il ne le craint pas ; il souffre, au contraire, d’avoir à se défendre contre des imputations qui n’ont pas été énoncées, car il ne compte pas ici les accusations de ses amis : il pense à son adversaire invisible, qui n’a parlé encore que par les maux terribles qu’il lui a dispensés.
Comme un prince, la tête haute.
Si ma terre crie contre moi, désirant de retourner à ses légitimes propriétaires, que j’en aurais dépouillés.
Arraché l’âme : soit à la longue par d’incessantes violences, soit par quelque brusque coup de force (1 Rois 21.1-29). Ces trois versets (38, 39, 40) semblent être hors de leur vraie place et l’on a supposé que, primitivement, ils se trouvaient à la suite soit du verset 8, soit du verset 12, ou encore du verset 32. Simple erreur de copiste, disent les uns. Transposition intentionnelle, pensent les autres et principalement ceux qui estiment que les discours d’Élihu (chapitres 32 à 37) n’ont pas toujours fait partie de notre poème. L’apparition de l’Éternel (chapitre 38) répondait trop bien au soupir de nos versets 35 à 37. L’auteur du discours d’Élihu aura voulu faire accepter plus aisément son adjonction en séparant du chapitre 38 les versets 35 à 37. Cette hypothèse est fort ingénieuse ; on ne voit guère d’erreurs de copistes portant sur trois versets entiers. Mais est-il certain que les versets 38 à 40 ne soient lus où l’auteur les avait mis ? Plusieurs interprètes ne le pensent pas et rappellent ici, à juste titre selon nous, la grande liberté d’allure de la poésie antique.
Quant aux mots : Fin des discours de Job, que les Massorètes ont mal à propos intercalés dans le texte du verset 40 et que nous en avons sortis, ils sont uniques en leur genre ; rien de pareil dans tout notre livre, ni à la fin des discours des trois amis, ni à la fin du discours d’Élihu. Nous disons volontiers avec Reuss : À la rigueur, ces mots peuvent avoir été écrits par l’auteur, ils font cependant l’effet d’une note de copiste.