Verset à verset Double colonne
1 Paroles du roi Lémuel. Sentence que sa mère lui a enseignée.Trois recommandations principales relatives aux mœurs (verset 3), à la boisson (versets 1 à 7) et à la justice, que le roi doit rendre à tous (versets 8 et 9). Ce prince les avait conservées précieusement dans son cœur et se plaît à les transmettre à ses successeurs, parce qu’il en a reconnu la valeur.
Suscription : Ici aussi, comme Proverbes 30.1, nous avons rendu le texte massorétique. Il présente un sens satisfaisant. Plusieurs cependant, s’achoppant à la position du mot roi et au sens de sentence donné au mot massa (voir à Proverbes 30.1), lient étroitement ces deux mots, du second desquels ils font un nom géographique et traduisent : Paroles de Lémuel, roi de Massa, que sa mère lui a enseignées. Alors nous aurions ici un produit de la sagesse sémitique en général !
Lémuel ou Lémoël (verset 4) signifie : à Dieu, consacré à Dieu. C’est là un nom réel, si nous avons affaire à un roi non israélite ; un nom figuré, si nous admettons plutôt, que cette petite collection est due à un prince israélite, car nous ne connaissons aucun roi d’Israël ou de Juda de ce nom. Ce serait une espèce de surnom que sa mère se serait plu à lui donner par reconnaissance envers Dieu, qui aurait exaucé ses vœux (verset 2). On a très souvent vu dans Lémuel Salomon, élevant ce monument à la sagesse de Bathséba. Mais le peu de compte que Salomon a tenu de la première de ces trois recommandations, ne parle pas en faveur de cette opinion.
Que te dirai-je… ? L’hébreu dit simplement quoi ? répété par trois fois, peut-être pour préparer la triple réponse qui va suivre. On pourrait sous-entendre : Que vas-tu faire, maintenant que tu arrives au pouvoir ? Nous préférons notre traduction. Non pas que cette mère ne sache que dire. Elle hésite, au contraire, parce qu’elle a tant de recommandations importantes à faire à son fils. Auxquelles s’en tiendra-t-elle ?
Mon fils. Nous avons ici par trois fois, au lieu du mot ordinaire ben, le mot rare et araméen bar (Psaumes 2.6), bien connu par les noms postérieurs de Bartimée, Barjésu, Barabbas, Barnabas, etc. On a fait valoir ceci en faveur de l’origine étrangère de Lémuel ; mais nous n’avons probablement dans cette expression que la marque de la composition tardive de ce morceau.
Fils de mes vœux. Comparez 1 Samuel 1.11
Qui perdent les rois, littéralement : les balaient, les effacent, les font disparaître de la scène du monde. De cette recommandation à la suivante, la transition est naturelle : la luxure est souvent favorisée par l’excitation de l’ivresse.
Ni aux princes de boire de la cervoise. Plusieurs, d’après une correction du texte massorétique, traduisent : Ni aux princes de dire : Où y a-t-il de la cervoise ?
De peur qu’ils n’oublient la loi, littéralement : ce qui a été statué comme ayant force de loi.
Le deuxième membre prépare déjà les versets 8 et 9.
Le vin réjouit le cœur de l’homme (Psaumes 104.15). Il est moins fait pour ceux qui sont déjà dans la joie que pour ceux qui ont l’amertume dans l’âme (Job 3.20). Le traité Sanhédrin rapporte que les femmes de Jérusalem, prenant cet ordre au pied de la lettre, avaient l’habitude d’offrir aux condamnés à mort des boissons fortes. Voir Marc 15.23.
La pensée de la bienveillance due aux misérables (verset 6) va être reprise et appliquée au domaine spécial de la justice.
Le muet n’est pas seulement l’homme privé de la parole, mais quiconque est empêché par son âge, par son incapacité, par sa timidité, de paraître devant le tribunal pour défendre son droit. Que le monarque lui-même s’intéresse à lui !
Qui risquent de disparaître : qui sont au bord d’un abîme et y tomberont, si une main puissante et secourable ne les retient.
Ce beau morceau de poésie décrit, en des traits qui sont tous empruntés à la vie réelle et qui pourtant sont remplis de bon goût et de délicatesse, l’activité multiple et bénie de la femme attachée à ses devoirs d’épouse, de mère de famille et de maîtresse de maison. Plusieurs ont vu dans cette femme la Loi ou bien le Saint-Esprit, exerçant leur action éducatrice et régénératrice en Israël ou dans l’Église. L’image que nous offrent ces 22 versets est bienfaisante par elle-même ; pourquoi demander à l’interprétation allégorique, si sujette à caution, un supplément d’édification ? Il est bien vrai que cette femme d’élite est éminemment juive : elle gagne beaucoup d’argent à son mari. La prière, les exhortations pieuses ne paraissent pas être de ses principaux moyens d’action. Cependant, elle doit toute son habileté à sa crainte de l’Éternel (verset 30), elle exerce la bienfaisance (verset 20) et elle sait à l’occasion parler avec sagesse et donner d’aimables instructions (verset 26).
Sur les poèmes alphabétiques, voir Introduction aux Psaumes et notes au psaume 25.
Une femme vaillante, littéralement : une femme de vaillance. Le mot chaïl signifie d’abord force physique, vigueur, puis vaillance morale, vertu.
Qui la trouvera ? Ici, il ne faut pas sous-entendre une réponse absolument négative : Personne ! Dans le sens de Ecclésiaste 7.25. Voir verset 29. L’auteur veut plutôt encourager les lecteurs à chercher et à s’inspirer dans leurs recherches du tableau qu’il va tracer. Comparez Job 28.12 ; Job 28.20. On peut trouver une femme vaillante, comme on peut trouver la sagesse. Mais c’est difficile !
Sa valeur surpasse de beaucoup celle du corail. Il semble (voir Proverbes 3.15 et Job 28.18) que l’auteur voie dans la femme qu’il va décrire une des plus parfaites incarnations de la sagesse.
De butin, dans le sens populaire, mais bien français de ce mot. Le mari de la femme forte sera toujours, lui et toute sa maison, abondamment fourni de tout ce qui est nécessaire à la vie. Comparez Proverbes 14.1.
C’est le bon ange de la maison. Voir au contraire Proverbes 21.9 ; Proverbes 25.24 ; Proverbes 27.15.
Premier trait de détail. Elle travaille, littéralement : elle fait, elle est agissante (Ruth 2.19).
D’une main joyeuse, littéralement : dans le bon plaisir de ses mains, image gracieuse et expressive qui montre le bon plaisir, la joyeuse humeur passant du cœur aux membres qui lui servent d’organes.
Développement du premier mot du verset 13 : elle se pourvoit, littéralement : elle cherche.
Elle fait venir… de loin, non pas tout, mais les matières premières et les denrées que le pays ne fournit pas. Sa prévoyance a un large horizon.
Elle distribue la nourriture : elle la prépare, car chacun n’est point encore levé autour d’elle.
Et la tâche à ses servantes : la tâche de la journée.
Tout ceci est digne de remarque, comme indiquant une sphère très étendue d’activité féminine. Nous sommes à cent lieues de la dégradation où la polygamie a fait tomber la femme en Orient.
Elle augmente même le patrimoine de ses enfants.
Elle ceint ses reins de force. Comparez Psaumes 93.1.
Elle se montre en exemple à ses domestiques.
La réussite qui couronne ses efforts lui est un continuel stimulant.
Sa lampe ne s’éteint point. Bien que levée de très bonne heure (verset 15), elle se couche tard (Psaumes 127.2). Mais le texte, pris à la lettre, dit plus que cela et plusieurs pensent qu’il faut entendre cette expression figurément, dans ce sens : elle est à l’abri de la pauvreté. Chez les Hébreux la lampe, comme chez les Grecs et les Romains le foyer, devait brûler toute la nuit et aujourd’hui encore, quand on dit -chez les Bédouins ou les Fellahs : Un tel dort dans l’obscurité, cela revient à dire qu’il est dans la misère.
Ce tableau de l’industrie féminine rappelle Virgile, Enéide, VIII, 410-412 et Catulle, De Nup. Pel., 311-314.
Le mot traduit par quenouille ne se trouve qu’ici. Celui de pélek (fuseau) signifie proprement boule ou cercle et désigne le bout arrondi et conique du bas du fuseau, le peson, qui donne à ce dernier la pesanteur nécessaire.
Jusqu’ici la femme vaillante n’a travaillé que pour le bonheur des siens. Voici maintenant l’une des raisons qui expliquent la bénédiction particulière qui repose sur son travail.
En Palestine, on n’avait pour se prémunir contre le froid que la chaleur des vêtements. En fait de chauffage des maisons, on ne connaissait que les réchauds portatifs (Jérémie 26.22).
De cramoisi : sans doute des vêtements de laine cramoisie. Ces étoffes précieuses, aux teintes chaudes, étaient épaisses. En été on portait des vêtements blancs (fin lin, verset 22) qui n’attirent pas les rayons du soleil.
Elle se fait des coussins : non pas qu’elle pense à son propre bien-être, ou qu’elle sacrifie à des goûts personnels, à l’amour du luxe, mais elle confectionne elle-même des coussins (Proverbes 7.16) pour en garnir les lits de sa maison.
Elle est la couronne de son mari (Proverbes 12.4), sa gloire (1 Corinthiens 11.7).
Après avoir largement fourni aux besoins de sa maison, cette femme industrieuse trouve encore le temps de fabriquer des objets qu’elle vend aux marchands ambulants : des tuniques ou chemises en étoffe légère (Juges 14.12-13 ; Ésaïe 3.23) et des ceintures, objet de toilette en général richement orné (Jérémie 2.32) et souvent offert en cadeau (1 Samuel 18.4).
Au Cananéen, au trafiquant. Voir Job 40.25, note. Les habitants de la Phénicie, appelés souvent Cananéens, ont été le peuple le plus commerçant de l’antiquité.
On peut d’ailleurs conserver ici à ce mot son sens propre, en se rappelant qu’au verset 22 il a été question de pourpre, que la femme forte peut s’être procurée en l’échangeant auprès des Phéniciens contre le produit de son travail.
Force. Voir verset 17. Elle se sent, par la grâce de Dieu et telle est aussi impression qu’elle produit, au-dessus des coups qui ébranlent les positions ordinaires.
Splendeur. Rien en elle de mesquin.
Avec sagesse. Quand elle rompt le silence, c’est à bon escient.
Une instruction aimable est sur ses lèvres : un enseignement de grâce, d’amour, de piété. On sent en elle une personne désireuse de procurer le bien de tous ceux qui l’entourent et qui sait que le bonheur consiste à obéir à Dieu.
Elle a l’œil ouvert sur tout ce que font enfants et serviteurs.
La ville entière sait ce qu’elle vaut (versets 23 et 31). Mais les témoignages de respect et de vive gratitude ne lui font pas défaut dans son intérieur : Son mari aussi se lève et prononce à sa louange le verset 29.
Des filles. Comme dans Genèse 30.13 ; Cantique 6.9, cette expression a quelque chose de plus doux, de plus tendre et de plus gracieux que celle de femmes.
Voici qui nous rend attentifs à un point important. D’après notre poète, la femme vaillante peut n’être pas belle, ou ne l’être plus.
Qui sera louée : qui pourra l’être toujours. La louange qui porte sur l’extérieur est éphémère. La crainte de Dieu, voilà une beauté qui résiste à l’action du temps. Elle ne fait même que s’épanouir davantage à mesure que s’accumulent les années.
Récitez, chantez ce poème comme juste récompense du bien qu’elle a fait. Ce cantique a été inspiré par ses œuvres. Ce sont elles qui la louent par nos lèvres.
Cicéron, parlant de la prédilection des Orientaux pour les maximes et les sentences, vante la finesse d’expression avec laquelle ils savent rendre le produit de leurs réflexions. Mais, ajoute-t-il, dans ces proverbes la concision et l’élégance de la forme sont plus remarquables encore que la valeur de la pensée (sive dialogus de claris oratoribus, Cicéron, 9). S’il avait connu notre livre des Proverbes, il aurait probablement établi une relation inverse entre la forme et le fond. Cependant, au sortir de notre étude, cet éloge nous revient à la mémoire. Que de fois ne nous sommes-nous pas vus forcés, pour rendre sept ou huit mots, d’en employer une vingtaine et n’avons-nous pas éprouvé le mécompte d’un lapidaire qui verrait entre ses mains un camée se changer en un caillou. Comme œuvre littéraire, maints proverbes, lus dans l’original, sont comparables aux pensées de La Rochefoucauld les plus réussies, aux vers d’Horace les plus soignés. Quoi de plus gracieux que cet éloge de la parole dite au bon moment :
Des pommes d’or dans un vase d’argent ciselé,
Telles sont des paroles dites à propos.
Ici et là nous avons pu conserver quelque chose de la concision de l’hébreu, si habile à tracer, en quelques coups de crayon, toute une scène prise sur le vif :
Mauvais, mauvais ! Dit l’acquéreur ;
Puis, s’en allant, il se félicite.
Mais comment rendre en sept mots, comme le fait le texte hébreu, la pensée du verset 25 du même chapitre :
Il y a danger pour l’homme à prendre à la légère un engagement sacré,
Et, après avoir fait son vœu, à réfléchir
Parfois aussi le texte présente des assonances et des jeux de mots qui donnent à la pensée un tour plus piquant, mais que le traducteur doit absolument renoncer à rendre. Voir Proverbes 11.2, note.
Cependant, la multiplicité des objets sur lesquels les sages israélites ont porté leur attention n’est pas moins frappante que l’art avec lequel ils savent s’exprimer. De loin et lus cursivement, par chapitres, comme on le fait ordinairement, les 541 proverbes que renferment les chapitres 10 à 29, paraissent assez monotones. Ce n’est, en apparence, qu’une perpétuelle opposition des deux pôles du monde moral, la Sagesse et la Folie. Mais quand on étudie ces maximes les unes après les autres et qu’on les examine isolément, on revient bien vite de cette impression et l’on est au contraire émerveillé de la variété des sujets qui y sont traités. Qui s’attendrait, par exemple, à trouver dans les Proverbes la condamnation de ces caractères égoïstes et personnels qui ne cherchent le bonheur que dans un froid isolement :
Qui se tient à l’écart suit son caprice ;
À tout ce qui réussit il montre les dents.
Ou bien l’éloge du beau langage :
La douceur du langage augmente l’instruction ;
D’une parole dite au bon moment :
Des pommes d’or dans un vase d’argent ciselé,
Telles sont des paroles dites à propos ;
Ou encore celui de là vie agricole, comme d’un travail plus pénible, mais plus sûrement rémunérateur que tout autre :
Qui cultive son champ a du pain en abondance ;
Mais qui poursuit des choses vaines n’a pas de sens.
Applique ton cœur à bien connaître l’état de ton menu bétail ;
Sois attentif à tes troupeaux,
Car l’opulence n’est pas éternelle !
Ce n’est pas non plus sans surprise qu’on rencontre cette allusion au mal du pays, qui rappelle et pour le fond et pour la forme, notre adage : Chaque oiseau trouve son nid beau :
Tel le passereau qui erre loin de son nid,
Tel l’homme qui erre loin de son pays.
Ou bien enfin cette pensée stoïque, que c’est dans les heures critiques que l’homme donne sa vraie mesure :
Si tu faiblis au jour de la détresse,
Ta force est bien peu de chose !
Moïse avait été le législateur d’Israël, Salomon en est le moraliste. Un législateur religieux, tout occupé à tracer les grandes lignes de la vie nationale, ne peut descendre dans tous les détails des obligations de la vie privée ; c’est aussi ce que Moïse n’a point tenté. Salomon et les sages l’ont fait : il n’est aucune disposition de caractère, aucune condition de la société, aucune circonstance de la vie, aucune de ces difficultés qui naissent du froissement des intérêts ordinaires de chaque jour, dont on ne trouve dans ces maximes une peinture fidèle, en même temps que l’indication du parti à prendre en pareil cas. À l’époque émouvante des angoisses et des luttes ardentes qui précédèrent et accompagnèrent le règne de David, ce roi et les poètes qui l’entouraient composaient des cantiques de supplication ou de délivrance. Au temps paisible de Salomon, on avait le loisir d’observer, de critiquer, de deviser, parfois même de plaisanter et de sourire. Elevé alors au comble des progrès que pouvait atteindre l’état social de l’antiquité, devenu négociant sans cesser d’être cultivateur, comblé de luxe et d’or, le peuple juif avait besoin de cette morale détaillée qui suit l’homme, non seulement à la porte de sa ville où se rend la justice et dans le sanctuaire où il adore, mais au coin de son foyer, au bord de son lit, au berceau de ses enfants et c’est une admirable dispensation de la Providence, que le règne qui porte au plus haut degré la civilisation d’Israël, lui donne ce qu’il n’avait pas eu, un philosophe moraliste.
Cette morale est si détaillée que nous avons pensé nous rendre utiles en offrant ci-après un répertoire des principaux sujets qui se trouvent touchés dans notre livre.
À l’élégance et à la variété, s’ajoute l’autorité.
Les Sages en Israël (Jérémie 18.18) n’avaient pas, comme les sacrificateurs, une loi rituelle qui, en réglant leur office, leur servît de base auprès du peuple ; ils ne possédaient pas non plus, comme les prophètes, des révélations spéciales. Ils ne disaient ni : Telle est l’ordonnance ! Ni : Ainsi a dit l’Éternel ! Pas une seule fois ils n’en appellent à la Loi. Ils se bornent à signaler les suites naturelles du bien et du mal. Ils auraient pu sans doute citer soit les promesses, soit les menaces théocratiques, mais ce procédé eût été pour eux trop particulariste et eût mis une borne à leur point de vue plus large et, si l’on ose dire ainsi, plus humain. En faisant abstraction de la Loi, ils anticipaient sur le temps où la religion de l’Éternel serait la religion universelle. Salomon lui-même était doué d’une grande largeur d’esprit et de cœur (1 Rois 4.29). Sans doute, les Sages qui l’entouraient connaissaient la Loi et s’en nourrissaient (Proverbes 16.20) ; ils en recommandaient l’observation (Proverbes 3.9) ; ils n’en ignoraient pas même les ordonnances rituelles, relatives, par exemple, aux vœux (Proverbes 20.25) ou aux sacrifices de réparation (Proverbes 14.9). Bien loin également d’ignorer la prophétie, ils lui rendaient hommage :
Quand il n’y a pas de vision, le peuple est sans frein.
Mais, avant tout, les Sages étaient des penseurs.
Avec les ressources (raison, cœur, conscience), qui sont le partage de toute créature humaine et non pas de l’Israélite seulement, ils cherchaient à jeter une parfaite clarté morale sur tous les cas qui peuvent se présenter dans la vie de tout homme. Et quand on les lit, on a l’impression très nette qu’ils ont la conscience de posséder eux-mêmes cette pleine clarté. Ils ne hasardent pas des conseils timides ; ils projettent sur toutes les circonstances et conditions imaginables des rayons qu’ils sentent parfaitement être lumineux.
D’où leur vient cette assurance ? Aurions-nous à faire à des libres penseurs ? Non ! Ils se méfient singulièrement du cœur de l’homme (voir l’Introduction) :
Et pourquoi abandonne-t-on si facilement la répréhension ? Parce que le commandement déplaît à l’homme naturel :
La sottise est attachée au cœur de l’enfant.
Ces Sages croient au péché originel. Et c’est bien pour cela qu’ils parlent si fréquemment de la correction et de la discipline comme d’un élément indispensable dans toute éducation, divine et humaine.
Les choses étant telles, comment se fait-il donc qu’ils parlent avec tant d’autorité ?
Ils ont des yeux qui voient. Et ces yeux ont perçu dans l’ensemble de l’univers et dans la marche de la vie humaine certaines lois physiques et morales qui dirigent imperceptiblement le cours des choses et en vertu desquelles tout, depuis ce qu’il y a de plus humble jusqu’à ce qui ressort avec le plus d’éclat, est à la fois but et moyen ; et, par-dessus tout, cette loi suprême en vertu de laquelle le bien régulièrement produit le bien, le bonheur, la prospérité, la vie et le mal le mal, la misère, la ruine, la maladie, la mort. Et au sommet de ce grand système de lois, ils ont contemplé, trônant dans sa divine sévérité, cette Sagesse, décrite au chapitre 8, source cachée de toutes ces lois, qui se communique à celui qui l’aime, qui devient la sagesse de celui qui l’adopte en renonçant à son propre sens pour suivre ses conseils et l’adapter à tous les détails de sa vie. Voilà le principe, unique au fond, qui est à la base de tous ces proverbes si variés. Le chapitre 8 est la clef de tout le livre. Voilà la source d’où provient l’autorité des Sages. Eux qui promettent à leurs adeptes un esprit d’intelligence :
La Sagesse crie bien haut dans les rues,
Sur les places elle fait entendre sa voix :
Revenez à mes remontrances !
Voici, je vais faire jaillir sur vous mon esprit !
Ils connaissent, par une heureuse expérience, cet esprit de sagesse ; ils l’ont reçu eux-mêmes les premiers et ils contemplent partout ici-bas de si évidentes traces de la divine Sagesse, qu’elle est devenue pour eux une personne. Ils répètent en faveur de chacun de leurs disciples la prière d’Élisée : Éternel ! Ouvre ses yeux et qu’il voie ! Ils sont assurés que quiconque arrive à contempler dans toute sa beauté cette Sagesse, qu’ils aiment à désigner par un pluriel de richesse et d’admiration (Proverbes 1.20, note), sera gagné à sa cause et la laissera régner dans son cœur. Car la sagesse de l’homme n’est autre chose que de se conformer à la loi tracée par Dieu dans l’univers. Renoncer à sa volonté pour acquiescer pratiquement à celle de Dieu dans tous les détails de la vie, voilà le principe qui est au fond de chaque proverbe particulier. Ce n’est pas, comme on pourrait le croire, de la morale indépendante ; c’est bien la sagesse qui crie dans les rues, mais elle vient d’En-haut. La folie, au contraire, consiste à marcher à sa guise, sans tenir compte des lumières dues à la sagesse d’En-haut.
Celui qui seul a été plus sage que Salomon disait : Je juge selon ce que j’entends et mon jugement est juste. (Jean 5.30). Les Sages déjà avaient le sentiment que leurs sentences étaient valables, parce qu’elles n’étaient autre chose que la sagesse éternelle monnayée pour l’usage courant de la vie.
Mais l’assurance avec laquelle s’expriment les auteurs de notre livre est-elle de bon aloi ? Cette allure est-elle justifiée par la valeur intrinsèque de toutes leurs affirmations ? Pouvons-nous les suivre, par exemple, quand ils promettent une vie longue et heureuse aux adeptes de la Sagesse :
Écoute, mon fils et reçois mes paroles,
Et les années de ta vie en seront multipliées.
Quand ils prétendent que la crainte de l’Éternel ajoute des jours et que le juste ne sera jamais ébranlé (Proverbes 10.27-30) ; qu’aucun mal n’arrive au juste (Proverbes 12.21) que l’homme de bien laisse un héritage aux enfants de ses enfants (Proverbes 13.22). Voilà toute une série de déclarations contre lesquelles s’inscrit en faux l’expérience de tous les jours et qui rappellent d’une manière frappante les prétentions des amis de Job. Le problème des souffrances du juste ne s’est-il donc jamais dressé devant l’esprit des Sages ? Ou bien l’auraient-ils volontairement ignoré ?
Évidemment pas ! Le livre de Job, qui est peut-être de l’un d’eux, prouve le contraire. Les proverbes des Sages énoncent la loi qui se réalise régulièrement dans la nature et dans la vie, ce qui n’empêche pas qu’il y ait dans l’une des jours d’orage exceptionnels et dans l’autre des perturbations dispensées extraordinairement en vertu d’une loi appartenant à un ordre de choses supérieur. La régularité de la loi persiste néanmoins à travers ces cas exceptionnels, qui ne font que de la rendre plus sensible. Mais et ceci nous amène à une nouvelle remarque, par un long travail de réflexion, en pesant les vérités révélées, en cherchant à les accorder avec l’expérience de tous les jours et à en tirer toutes les conclusions légitimes, en prolongeant les lignes dont le commencement seul était fourni, ils sont arrivés à se faire de la vie (nous ne disons pas de cette vie) une notion bien plus complète que celle qu’avaient eue les générations précédentes. Sans doute, Christ seul a mis en évidence la vie et l’immortalité. Mais pendant les siècles mêmes d’attente et d’obscurité, il y a eu une révélation successive. L’Éternel a toujours été celui qui est et qui vient. Une aube a précédé l’aurore. Les croyants et les sages ont souffert dans les ténèbres, ils ont aspiré, cherché, reçu. Et nous pensons que, tout particulièrement, les mots de mort et de vie, de malheur et de félicité, en sont venus à prendre pour eux une signification bien plus absolue que ce n’avait été le cas pour leurs devanciers.
Le sentier de la vie, celui du sage, mène en haut,
Afin qu’il se détourne du sépulcre en bas.
Le sentier que suit le sage monte régulièrement dans la vie et vers la vie. La mort peut survenir ; c’est un accident qui n’a rien de définitif et qui même est la condition de l’accès à la vraie vie. Le sépulcre est vaincu par la foi et n’existe plus que pour les méchants.
Sur le chemin de la justice est la vie ;
En le suivant, pas de mort !
Tandis que David arrivait par un élan de foi à postuler la résurrection, du nom de la communion qui l’unissait à son Dieu (Psaumes 17.15), les Sages, par un long effort, faisaient la même découverte et parvenaient à l’intuition de la vie, de la vie parfaite et immortelle que Dieu possède et qu’il donne à ceux qui le craignent. Ils ont en quelque sorte retrouvé l’arbre de vie, que la chute avait rendu inaccessible à l’humanité (Proverbes 3.18 ; Proverbes 11.30 ; Proverbes 13.12 ; Proverbes 15.4) :
Voilà qui leur permet de dire que le juste ne sera jamais ébranlé et qu’aucun mal digne de ce nom ne lui arrivera jamais. Le moment viendra où l’on verra que toutes choses concouraient réellement au vrai bien du disciple docile de la Sagesse.
Quand la tempête a passé, le méchant n’est plus,
Mais le juste possède un fondement éternel.
Les branches du sage peuvent être agitées ;
ses racines ne sont jamais ébranlées
Il est vrai que parfois Salomon est plus précis. Le juste, dit-il, est rétribué sur la terre (Proverbes 11.31). Mais, malgré les cas dont nous parlions, ce fait reste bien celui que constate l’observation quotidienne. Saint Paul lui-même n’affirme-t-il pas que la piété est utile à toutes choses, ayant les promesses de la vie présente, aussi bien que de celle qui est à venir (1 Timothée 4.8) ?
Au reste, la doctrine de la vie n’est pas le seul point par lequel notre livre confine au Nouveau Testament. Comme dans Job (Job 31.1 ; Job 31.13-15 ; Job 31.31), on y trouve bien des traits pleins de délicatesse et dignes du sermon sur la montagne :
Ne dis pas : Comme il m’a fait je lui ferai ;
Je rendrai à cet homme selon son cœur.
Si ton ennemi a faim, donne-lui à manger ;
S’il a soif, donne-lui à boire.
Ne dis pas : Je rendrai le mal !
Attends-toi à l’Éternel et il te délivrera.
Dans les derniers siècles de l’ancienne alliance, il ne manqua pas en Israël de docteurs qui, abusant de la loi du talion, laquelle n’était édictée que pour l’usage des juges, se crurent autorisés à l’appliquer aux relations mutuelles des particuliers. C’est à ces faux sages que fait allusion le Seigneur quand il dit : Vous avez appris qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi (Matthieu 5.43). Or, cette dernière parole ne se trouve nulle part dans l’Ancien Testament et les auteurs de notre livre ne sont point de ces sages-là. Ils ont trop bien remarqué dans la Loi tant de paroles recommandant la bienveillance, même pour les ennemis, ainsi Exode 23.4-5. C’est là qu’ils ont pressenti la vraie et permanente pensée de Dieu et ils ne se sont pas trompés, puisque les apôtres eux-mêmes, en plein Évangile, n’ont pas cru déroger en appuyant leurs exhortations sur des passages des Proverbes (Romains 12.20 ; 1 Pierre 5.5-6). On voit combien les sages des Proverbes sont plus fidèles au sens de la Loi et plus dans la direction de l’Évangile que les docteurs postérieurs, cités par Jésus dans le sermon sur la montagne.
Peut-être trouvera-t-on, par places, la sagesse des Proverbes un peu terre à terre :
Soigne tes affaires au dehors,
Mets en bon état tes champs ;
Après, tu bâtiras ta maison.
C’est par la sagesse que la maison se bâtit
Et par l’intelligence qu’elle s’affermit.
C’est par la science que les chambres se remplissent
De toutes sortes de biens précieux et agréables.
Mais, pour être d’application toute pratique, cette sagesse n’en est pas moins animée du souffle le plus élevé : chaque homme, réalisant dans sa modeste sphère la même sagesse que Dieu lui-même exerce dans son immense domaine, marche sur les traces de Celui qui a dit qu’il ne faisait que ce qu’il voyait faire à son Père (Jean 5.19).