Verset à verset Double colonne
Cette collection, attribuée à un sage dont nous ne connaissons que le nom, diffère sensiblement de ce que nous avons vu jusqu’ici. Voir Introduction. À côté de rares maximes isolées (versets 10, 17) rappelant le genre des collections déjà étudiées, à côté de doubles distiques (versets 5-6 ; 32-33) et de groupes plus considérables de versets développant telle ou telle idée spéciale (versets 2-4 ; 7-9), notre chapitre est en majeure partie composé de proverbes à nombres dont nous n’avons rencontré jusqu’ici qu’un seul exemple (Proverbes 6.16-19).
Nous nous sommes astreints à traduire le texte hébreu tel quel. Mais il présente un sens peu satisfaisant et beaucoup de difficultés.
Paroles d’Agur, fils de Jaké. Dès les plus anciens temps, on a cru devoir prendre ces deux noms pour des désignations figurées. Pas plus que le livre de l’Ecclésiaste (Kohéleth) n’a pour auteur un homme qui portât véritablement ce nom, pas plus, pensait-on, il ne faut songer ici à un personnage du nom d’Agur fils d’un nommé Jaké. Étymologiquement, Agur signifie le collecteur et Jaké l’homme pieux ; notre chapitre aurait donc pour auteur l’un des pieux collecteurs des chapitres précédents.
C’est là de beaucoup la plus raisonnable des explications qu’aient données de ces mots les partisans de l’exégèse symbolique. Nous ne voulons point sans nécessité les suivre sur ce terrain. Nous pensons qu’Agur, fils de Jaké, était tout simplement un sage israélite, bien probablement, puisqu’il semble citer l’Ancien Testament (comparez. par exemple, verset 5 et Psaumes 18.31), mais qui ne nous est pas autrement connu.
La sentence (hammassa). Cette expression fait partie du vocabulaire prophétique (2 Rois 9.25 ; Ésaïe 13.1 ; Ésaïe 15.1 ; Habakuk 1.1, etc.), et, en tête d’une série de proverbes, résultat de la réflexion d’un sage, paraît suspecte, bien que, dans Proverbes 31.1, les Massorètes semblent l’avoir admise, dans le sens général de sentence. Voir à ce passage. En outre, le mot de sentence, immédiatement avant celui de déclaration : néoum, a quelque chose de pléonastique. Plusieurs prennent donc le mot de massa comme une désignation géographique. Agur aurait été originaire de Massa, localité du Hauran oriental d’après quelques voyageurs, ou plutôt province de l’Arabie d’après Genèse 25.14, qui cite un Massa parmi les fils d’Ismaël, d’après les inscriptions assyriennes, qui parlent d’un pays de Masaï dans l’Arabie septentrionale et enfin d’après Ptolémée, qui mentionne dans ces mêmes parages des Masanoï. Mais contre la valeur géographique de ce nom, on fait observer que hammassa ne peut point signifier de Massa ; il faudrait pour cela mimmassa ou bien hammassaï, le Massaïte. Pour toutes ces raisons, quelques interprètes se sont demandé, si ce mot embarrassant ne s’était pas glissé ici par erreur (de Proverbes 31.1).
À notre sens, la seule manière de justifier cette expression, serait d’y voir l’indication qu’avec la deuxième partie du verset commence déjà la citation de l’ouvrage d’Agur et que les mots : Déclaration de l’homme, ne sont pas l’apposition des mots : Paroles d’Agur, mais le titre particulier, du chapitre d’Agur qui va être cité en tout ou en partie. Ce chapitre se serait appelé la sentence, parce qu’il aurait renfermé en quelque sorte le programme de tout l’ouvrage.
Déclaration de l’homme à Ithiel, à Ithiel et Ukal. Ceci est ordinairement considéré comme faisant aussi partie de la suscription. L’homme serait Agur et Ithiel et Ukal seraient deux de ses disciples, disciples réels qui auraient vraiment porté ces noms (voir pour Ithiel Néhémie 11.7), ou disciples fictifs, dont il faudrait prendre les noms dans leur sens étymologique, Ithiel signifiant : Dieu est avec moi et Ukal : J’ai pu (comprendre) ; Ithiel, le type des philosophes croyants ; Ukal, celui des esprits forts (Mais pourquoi répéter Ithiel et en revanche ne pas répéter la préposition à devant Ukal ?). On a aussi quelquefois pris ces deux noms comme s’appliquant à un seul et même personnage, dont le nom complet aurait été Dieu est avec moi et j’ai pu ! Mais pourquoi ce disciple unique commencerait-il par s’appeler Dieu est avec moi tout court ? Et surtout, avec, ces diverses interprétations du verset 1, comment rendre compte du car du verset 2 ? Voilà de quoi rendre cette manière de lire le texte sérieusement suspecte. Il convient, bien probablement, de prendre l’homme : hagguéver dans un sens général, au lieu de le rapporter à Agur : voilà ce que doit déclarer tout homme. Et pour ce qui suit, il suffit de changer quelques voyelles, sans toucher aux consonnes et de lire : Laïthi, El ; laïthi, El, va ékel, au lieu de : Leithiel leïthiel ve Ukal, pour arriver au sens de : je me suis fatigué, ô Dieu ; je me suis fatigué, ô Dieu et je me suis épuisé, qui prépare très naturellement le verset 2. Avec le deuxième membre du verset 1 commencerait donc déjà la citation de l’ouvrage d’Agur. Après bien des recherches infructueuses, ce sage a constaté que l’on ne peut pas arriver par soi-même à la sagesse et que, pour l’homme, la première chose à faire est de reconnaître les bornes étroites de ses lumières naturelles.
Car je suis plus stupide que personne, littéralement : Je suis une brute, de façon à n’être pas un homme. Agur est sincèrement préoccupé du désir de connaître la vérité, mais il déplore de n’avoir pas une raison capable de déchirer le voile qui lui dérobe la vue des choses cachées en Dieu (Job 11.7-9 ; Romains 11.33). Voir aussi Socrate disant qu’il n’était sage qu’à proportion qu’il savait ne rien savoir (Diogène Laërte II, 5-7).
Non seulement je suis dénué de moyens naturels, mais je n’ai pas fait d’études.
Du Très-Saint. Voir Proverbes 9.10, note.
Ce verset renferme la suite de la déclaration précédente de l’homme sincère qui n’a pu trouver Dieu aussi pleinement qu’il l’aurait désiré. L’homme est limité dans ses investigations par sa nature créée elle-même ; et il prétendrait parvenir à une connaissance parfaite de son Créateur !
La réponse à ces cinq questions est facile à donner ; aussi celui qui les pose ne la donne-t-il pas. Dieu seul peut monter aux cieux et, de là, descendre pour communiquer avec sa créature (Genèse 28.12), pour juger (Genèse 11.7), pour secourir (Psaumes 18.10) ; Dieu seul peut faire souffler et arrêter la vent (Psaumes 104.7) ; enfermer l’eau dans les nuages dont il se revêt (Job 26.8) ou la répandre à son gré (Job 38.37). Lui seul a fixé les limites de cette terre qui nous paraît immense (Job 26.7).
Dans ses mains, littéralement : dans ses deux poings.
Son nom : le nom qui pourrait faire connaître dans son essence un Être dont les œuvres elles-mêmes dépassent tellement notre entendement.
Le nom de son fils. Proverbes 8.30, nous avons vu la Sagesse personnifiée collaborer avec Dieu dans l’œuvre de la création. Ce même ouvrier (dans Proverbes 8.30, le mot amôn, que nous avons rendu par ouvrière, est masculin) est présenté ici comme un fils du Créateur pour bien marquer l’intimité de la relation qui existe entre Dieu et cette puissance médiatrice. Comparez le passage du Rig-Véda : Qui a vu le Premier-né ? Où était le sang, la vie, l’âme du monde ? Qui est parvenu à demander cela à quelqu’un qui l’aurait su ?
Heureusement Dieu a parlé ! Il y a un livre de la Loi qui, tout entier, est une révélation aussi certaine que sont incertaines les opinions humaines.
Éprouvée au feu. Citation de Psaumes 18.31.
N’ajoute rien : Deutéronome 4.2. Avertissement à l’adresse de la tradition qui chercha et réussit à acquérir en Israël une autorité égale et parfois supérieure à la Loi (Marc 7.13).
Jusqu’ici probablement s’étend la sentence (verset 1), la déclaration initiale du livre d’Agur. À partir du verset 7, ce sont des proverbes détachés du corps même de son ouvrage.
Comparez Job 13.20-21. C’est peut-être l’objet de la première (fausseté, paroles mensongères, verset 8) qui a fait placer, ce proverbe à la suite du verset 6 (menteur).
Fausseté, littéralement : chose de néant, vanité. Ce sont les pensées vaines qui naissent dans le cœur naturel.
Peut-être dans les paroles mensongères faut-il voir celles que l’auteur serait exposé à entendre et auxquelles il pourrait être tenté de prêter l’oreille.
Cette première demande, de nature spirituelle, n’est point motivée, comme le sera la seconde par le verset 9.
Le pain de mon ordinaire : la nourriture de ma portion, ma ration quotidienne de nourriture (Genèse 47.22).
Renie. Une vie facile favorise l’incrédulité. Comparez Deutéronome 8.14-15 ; Job 21.14-16.
Et ne porte atteinte au nom de mon Dieu. La pauvreté a aussi ses dangers, mais plutôt pratiques.
Ce distique renferme une pensée unique et sa justification.
Ne calomnie pas. La position d’un esclave est, en elle-même déjà, assez pénible : ne l’aggrave pas par des rapports faux ou exagérés. Ce malheureux lancerait contre toi une malédiction méritée et qui, par conséquent, ne serait pas sans effet (Proverbes 26.2). Dans le livre égyptien du Rituel (C. 125) un individu qui plaide devant Osiris, le juge des morts, dit dans sa défense : Je n’ai pas calomnié un esclave auprès de son maître.
Nous verrons bientôt quatre choses insatiables (verset 15), insondables (verset 18), intolérables (verset 21), petites et prudentes (verset 24), belles à voir (verset 29). Ici, sans que leur nombre soit indiqué, nous avons aussi quatre choses juxtaposées. Leur caractère commun n’est pas non plus exprimé ; il est facile à deviner : ce sont là des sentiments éminemment odieux à l’Éternel.
Cette priamèle se rattache à la sentence précédente par le mot maudit (débuts des versets 10 et 11).
Il est une race… Sont-ce les compatriotes et les contemporains de l’auteur ? À chacun de s’examiner pour voir s’il fait partie d’une société pareille.
Qui maudit son père. Comparez Proverbes 20.20.
Et qui ne bénit pas. Espèce de litote. Dans toute l’Écriture ne pas faire le bien, c’est faire le mal.
Point lavée de sa souillure. Plusieurs pensent que cette souillure consiste à se croire pur (début du verset). Il est plus naturel d’y voir en général des péchés, sur lesquels on est aveuglé, en sorte qu’on se croit en règle avec Dieu, lors même qu’on ne les a pas abandonnés.
Comparez Proverbes 6.17 ; Ésaïe 2.11.
La phrase est brisée. On est stupéfait en face de tant d’orgueil !
Comparez Psaumes 57.5 ; Psaumes 58.7.
Rapacité qui ne recule devant aucun moyen pour s’emparer du bien d’autrui. Lâcheté qui s’attaque aux gens qui ne peuvent pas se défendre.
La sangsue. Le mot alouka ne se rencontre qu’ici dans tout l’Ancien Testament ; mais le sens en est suffisamment garanti par l’emploi qu’en fait le Talmud, qui dit dans le traité de l’Idolatrie : Il ne faut boire de l’eau des fleuves ou des étangs ni avec la main, ni directement avec la bouche, par crainte de la alouka.
Deux filles. Ces deux filles ne sont pas indiquées. Le texte ne donne que le mot qu’elles sont censées répéter sans cesse. Que chacun indique à son gré deux choses insatiables ; avec la sangsue, cela fera trois. Moi, semble dire l’auteur, j’en dirai bien quatre, tant il y en a !
Cette pensée se retrouve, avec plusieurs termes analogues, dans un proverbe hindou : Le feu n’est jamais rassasié de bois, ni de fleuves l’océan, ni de vivants la mort, ni d’hommes les femmes aux beaux yeux.
Pour le sépulcre, comparez Proverbes 27.20.
Les yeux sont choisis de préférence à toute autre partie du corps parce que, d’une part, ils sont d’une manière toute particulière le miroir de l’âme et que, de l’autre, ils offrent aux becs des corbeaux la proie la plus facile.
Ceci suppose, non pas tant l’exécution sur ce fils dénaturé de la peine édictée Exode 21.17, car dans ce cas il y aurait sépulture, que bien plutôt quelque mort tragique à la fin d’une vie maudite. L’absence de sépulture était aux yeux de toute l’antiquité l’infortune suprême.
Ce proverbe à nombre met en présence quatre actes qui ne laissent pas de traces après eux et qui ne sont pas constatables au premier coup d’œil par l’homme. Le vol de l’aigle dans les airs se produit sans que rien n’indique par où a passé ce puissant oiseau ; il en, est de même du serpent qui glisse sur la surface polie d’une roche, du navire dont le sillage disparaît si promptement et du quatrième exemple cité. Et pourtant, que de mystères dans ces mouvements, qu’ils aient pour théâtre l’air, la terre ou l’eau ! Que de mystères surtout dans la naissance de l’enfant ! Voir Psaumes 139.13-15, où se trouve sur le même sujet la même expression qu’ici (choses merveilleuses).
Application spéciale à la femme adultère du cas indiqué dans 19. Elle se livre au mal et peut nier la chose. On pense assez généralement que ce verset est une adjonction postérieure destinée à illustrer la ligne précédente.
Quatre choses, intolérables quatre bouleversements qui mettent tout sens dessus dessous là où ils se produisent.
Un esclave qui devint roi commettra des maladresses, ou, pour se venger de son long abaissement, des cruautés.
Un insensé. Quel mal ne fera pas un nabal, un sot, s’il n’est pas obligé de travailler et si une grande fortune lui permet de satisfaire ses goûts vulgaires ?
Qui devient l’épouse préférée et qui peut tout à coup faire expier à ses rivales détrônées ses déceptions et ses amertumes.
Qui supplante sa maîtresse : hautaine, égoïste, provocante par les grands airs qu’elle se donne.
Après quatre créatures humaines, que le succès et la puissance rendent insupportables, quatre animaux qui se distinguent par leur petitesse et leur grande prudence.
Peuple. Les anciens aimaient à se représenter les diverses catégories d’animaux comme formant des États distincts (Joël 1.6).
Les fourmis sont engourdies pendant l’hiver, mais il n’en est pas moins vrai que durant l’été elles recueillent des provisions pour la mauvaise saison. Et elles le font avec un ensemble étonnant (Proverbes 6.7-8).
Les gerboises. Voir Lévitique 11.5, note.
Qui placent leur demeure dans le rocher, comme les Kéniens (Nombres 24.21) !
Les sauterelles frappent toujours par leur marche imperturbable (Joël 2.7). On les dirait commandées par un chef redouté.
Sans avoir de roi. Cause de faiblesse, qui correspond aux derniers mots de 25 et de 26.
Que tu prends avec la main. Le lézard aussi est faible et inoffensif, mais, grâce à ce fait, on le laisse profiter de sa souplesse et s’introduire dans les plus belles demeures.
Quatre choses belles à voir marcher. Ici comme au verset 19, quatre se décompose en 3 + 1.
Le lion, aussi fort que courageux. Voir Ésaïe 31.4.
Le cheval aux reins bien troussés, élégants et vigoureux. Littéralement : le solidement ceint quant aux reins, expression qui dépeint très heureusement la courbe souple et forte des flancs d’un cheval de race. On a aussi songé au lévrier, ou en général au chien de chasse. Mais l’Ancien Testament, en fait de chien domestique, ne parle que du chien de berger (Job 30.1). Partout ailleurs on ne parle du chien qu’avec mépris (Proverbes 26.11 ; Ésaïe 66.3).
Ou le bouc. Il semble que par ce ou l’auteur veuille laisser au lecteur la liberté de choisir entre ces divers animaux celui qui lui paraît répondre le mieux à l’idée de la force et de la majesté. Qu’on se représente un bouc marchant fièrement à la tête du troupeau.
Et le roi, alkoum immô. On a souvent traduit en faisant de alkoum deux mots : al koum immô : Ne pas se lever pour lutter avec lui ; le roi auquel nul ne peut résister. Mais ce serait là une tournure peu conforme aux usages de la langue. Le mieux est de songer, à propos de ce mot qui ne se rencontre qu’ici, mais qui existe en arabe où il signifie peuple, à une armée en marche.
La morale, si l’on en réclame une, est aisée à tirer, tant pour le peuple que pour le roi.
Par folie : sans avoir à l’avance pensé de quelle manière tu pourrais te faire valoir.
Avec réflexion : de propos délibéré.
Mets la main sur la bouche ! (Job 21.5). Ne continue pas à parler dans ce sens ! Tu ne manquerais pas de déplaire, d’irriter, de provoquer des contestations, des disputes. Tu en a déjà trop dit ; n’insiste pas, car la pression…
Il y a ici entre aph, nez et appaïm, colère, littéralement : les deux narines, un jeu de mots qu’on ne peut rendre en français.