Verset à verset Double colonne
Les rois de l’antiquité avaient la coutume de faire graver sur des monuments ou d’écrire eux-mêmes le récit de leurs victoires. Il était naturel que David, dont l’élévation avait été si merveilleuse, parlât de ses luttes, de ses dangers et de ses délivrances. Il le fait dans ce psaume, non pour se glorifier lui-même, mais dans un sentiment de vive reconnaissance envers l’Éternel, dont l’intervention en sa faveur a été si manifeste.
Les images splendides dont il se sert dans la première partie de ce cantique (versets 5 à 20) sont empruntées au souvenir de la grande délivrance qui fut le point de départ de l’histoire israélite, le passage de la mer Rouge. David, au faîte de sa grandeur, s’identifie avec son peuple prospère et puise ses images dans le souvenir de la grande crise de détresse et de danger par laquelle ce peuple avait dû passer. Ce rapprochement n’est du reste pas arbitraire. La même pensée divine se réalise dans l’histoire de David et dans celle d’Israël, l’ancien peuple persécuté, appelé à devenir le peuple roi. Elle se réalisera mieux encore dans l’histoire du vrai Serviteur de l’Éternel, qui sera plongé dans les détresses du sépulcre (verset 6), mais qui sortira du tombeau pour être introduit dans la gloire.
Tout en rappelant le passé, ce psaume annonce l’avenir. Aussi les apôtres Pierre et Paul ont-ils fait ressortir son caractère prophétique comparez verset 5 avec Actes 2.24 et verset 50 avec Romains 15.9). L’ancienne version syriaque l’intitule : Cantique d’actions de grâces pour le jour de l’Ascension de Jésus-Christ. Saint Augustin dit que ce psaume concerne Christ et l’Église. Luther et après lui de nombreux commentateurs modernes ont développé des pensées analogues.
Ce même cantique se trouve déjà 2 Samuel 22.1-51, au terme des récits concernant le règne de David. On a conclu de là qu’il doit avoir été composé vers la fin de la vie de ce roi. Nous pensons plutôt que si l’auteur du second livre de Samuel l’a inséré à la fin de son écrit, c’est pour ne pas interrompre la suite des récits historiques qui remplissent le corps du livre. L’époque qui convient mieux que toute autre à la composition de ce chant triomphal est celle qui suivit les premières grandes victoires de David (2 Samuel 8.1-18). Contemplant à ce moment-là son passé si difficile et son inconcevable élévation, David offre à Dieu ce psaume comme son sacrifice d’actions de grâces. Le repos même dont il jouissait alors l’exposait, hélas ! à sa plus grande chute ; c’est là ce qui nous fait mesurer la distance infinie qui le sépare du Messie qu’il annonçait, dont la sainteté est parfaite et la gloire sans ombres. Les différences entre le texte du psaume et celui de 2 Samuel 22.1-51, ne portent que sur des détails qui ne modifient en rien le sens général. Voir à ce sujet l’introduction au chapitre 22 de 2 Samuel.
En faisant abstraction du préambule (versets 2 à 4) et de la conclusion (versets 47 à 51), nous trouvons dans ce psaume trois parties distinctes :
Du serviteur de l’Éternel. C’est là le titre d’honneur des hommes que Dieu a appelés à un rôle important dans l’histoire de son règne : Moïse, Josué, les prophètes, les apôtres. David l’obtient en sa qualité de roi selon le cœur de Dieu. Cette suscription n’est d’ailleurs très probablement pas de la main de David lui-même.
Préambule, donnant la note de tout le cantique.
Je veux t’aimer de tout mon cœur. Le verbe racham, qui signifie chérir avec tendresse, désigne ordinairement l’amour de Dieu envers ceux qui lui appartiennent. Il apparaît ici sous une forme grammaticale exceptionnelle, comme si David, ne trouvant aucune expression correspondant à ses sentiments, avait éprouvé le besoin d’en créer une. Les expressions accumulées au verset 3 expliquent cet ardent amour, en rappelant tout ce que l’Éternel a été pour David.
Rocher, forteresse, retraite. Ces images sont évidemment inspirées à David par le souvenir de l’asile qu’il trouva souvent dans les gorges et les cavernes ou sur les cimes des montagnes de Juda. Le premier de ces termes, séla, désigne proprement une fissure dans une paroi de rocher. Le mot roc : tsour est emprunté à Deutéronome 32.4, Deutéronome 32.37, où il est employé presque comme nom propre, il rappelle l’immuable fidélité de l’Éternel.
La corne de mon salut. La corne du taureau est ici l’image d’une arme offensive, tandis que le bouclier est l’arme défensive. De nos jours encore les chefs abyssins portent une corne d’argent sur la tête dans les festins destinés à célébrer une victoire.
Loué soit l’Éternel. Louer Dieu au sein du danger, c’est faire triompher la foi sur toutes les circonstances adverses et ouvrir en quelque sorte la porte à l’intervention divine. Comparez Néhémie 8.10 ; 2 Chroniques 20.22.
Tous les dangers courus par David lui apparaissent sous la double image de filets jetés sur lui par un chasseur et de torrents qui vont engloutir un homme.
Les liens de la mort. Le même mot hébreu peut signifier, avec une légère différence de ponctuation, liens ou douleurs de l’enfantement. C’est ce dernier sens qu’a reproduit la version des LXX, suivie par Actes 2.24.
Les torrents de la perversité, littéralement : de Bélial, nom qui signifie : ce qui n’a aucune valeur, puis, à la fois, perversité et perdition. Ce terme est devenu un des noms de Satan (2 Corinthiens 6.15).
De son palais. Comparez Psaumes 11.4, note ; Psaumes 29.9. C’est du ciel qu’il est question : au moment dont parle le psalmiste le temple de Jérusalem n’existait pas encore.
L’orage se forme (versets 8 et 9), il arrive menaçant (versets 10 à 12), il éclate (versets 13 à 15). Dès le verset 5 David a présentes à l’esprit les scènes du passage de la mer Rouge. Le tremblement de terre et l’orage qu’il décrit à partir du verset 8 ne sont pas mentionnés dans le récit de l’Exode, mais il y est fait allusion, Psaumes 77.19, La terre fut ébranlée et trembla. L’hébreu renferme une paronomase : vatthigueasch, vatthireasch.
Une fumée… Les phénomènes de la nature apparaissent ici comme les manifestations de la colère divine.
Les charbons embrasés : les éclats de la foudre.
Une sombre nuée sous ses pieds, comme le voile destiné à cacher sa gloire. Comparez Exode 19.16 ; Exode 20.24 ; 1 Rois 8.12 ; Luc 9.34.
Monté sur un chérubin. Les chérubins apparaissent Genèse 3.24, comme les gardiens du paradis et Ézéchiel 1.5 ; Ézéchiel 10.1, comme les porteurs du trône de l’Éternel (voir les notes de ces passages). Dans la vision Apocalypse 4.6, ils entourent le trône de Dieu. Les portes des palais assyriens et babyloniens étaient gardées par d’immenses statues représentant soit des taureaux ailés à tête d’homme, soit des lions ailés à face humaine, soit des corps humains à tête d’aigle, munis de grandes ailes. Ces êtres mythologiques, nommés Kirubu, ont évidemment une analogie avec les chérubins bibliques. Seulement il en est de cette analogie comme de toutes celles que l’on constate entre la religion de l’Ancien Testament et les cultes païens : la ressemblance dans la forme fait ressortir la différence du fond. Pour les Assyro-Babyloniens, les chérubins représentaient des divinités réelles ou du moins des génies que l’on adorait ; dans l’Écriture ils n’apparaissent que dans une dépendance immédiate vis-à-vis de l’Éternel, à tel point que l’on se demande s’il ne faut pas voir en eux la personnification poétique des forces de la nature, plutôt que des êtres distincts.
Comme une tente. Comparez Job 36.29.
L’obscurité des eaux : les torrents de pluie qui se déversent par places.
De l’éclat qui le précédait. La personne de Dieu est représentée comme entourée d’une lumière éblouissante, d’où se dégagent les nuées chargées de foudre.
Le Très-Haut (Eliôn) : le Dieu suprême de l’univers, dont Melchisédek a été le sacrificateur (Genèse 14.19). Il est à remarquer que l’on trouve réunis dans ce psaume la plupart des noms de Dieu : Elohim, Jahvé, El (verset 31), Eloah (verset 32).
Au milieu de la grêle et des charbons de feu. Cette ligne, qui reproduit le dernier stiche du verset 13, ne figure ni dans le passage parallèle du chapitre 22 de 2 Samuel, ni dans la traduction des Septante ; elle est peut-être l’addition d’un copiste.
Ses flèches : les éclairs qui frappent de toutes parts. Comparez Exode 14.24 ; 1 Samuel 7.10.
Il les mit en déroute. Le verbe hamam désigne la panique de l’épouvante. Il est aussi employé Exode 14.24.
C’est ici surtout que l’allusion au passage de la mer Rouge est évidente.
À ta menace. Comparez Psaumes 104.7 ; Psaumes 106.9 ; Ésaïe 50.2. Jésus, dans la tempête, menace les vents et la mer (Matthieu 8.26).
Il me tira des grosses eaux. Le verbe mâschâ, tirer, ne se retrouve que dans le récit d’Exode 2.10, où il sert à expliquer l’étymologie du nom de Moïse. Luther a paraphrasé : Il fit de moi un nouveau Moïse.
Mon ennemi puissant : pour David, Saül ; pour Israël, Pharaon. Ces deux personnages se correspondent dans la pensée du psalmiste.
Il m’a tiré au large. Allusion à la situation d’Israël, qui s’était trouvé enfermé entre une armée, une montagne et la mer et celle de David enveloppé d’ennemis.
Il a mis son plaisir en moi. Même expression Matthieu 3.17, où il est parlé de Jésus, le véritable David.
Cette strophe explique pourquoi l’Éternel a pris plaisir en David. Le témoignage que David se rend ici à lui-même est confirmé par les déclarations du prophète Ahija et par l’auteur du premier livre des Rois (1 Rois 14.8 ; 1 Rois 15.5).
Selon ma justice. Voir l’introduction aux notes de Psaume 17. David atteste la pureté de ses intentions ; il ne prétend pas avoir atteint à une sainteté absolue. Il faut admettre pourtant que les déclarations de ces versets 21 à 27 n’ont pas été écrites après les confessions du Psaume 51.
Mon iniquité. David entend par là le penchant au mal, naturel à tout homme.
Ce que David vient de dire concernant sa personne n’est que l’application d’une règle générale, qu’il expose maintenant et en vertu de laquelle Dieu traite l’homme conformément à la manière dont l’homme agit envers lui.
Tu te joues du trompeur, littéralement : Avec le perfide, tu agis perfidement, c’est-à-dire de telle manière que le trompeur se trouve trompé (Psaumes 7.15-17). Il y a là une suprême manifestation de justice. Tous les verbes de ces deux versets indiquent la conduite de Dieu en réponse à celle de l’homme par un mode verbal particulier (l’hithpaël), qui exprime le redoublement : Avec celui qui est bon tu multiplies tes bontés,… tu abondes en pureté, etc.
Dans les dangers que lui a fait courir Saül et que rappelle la première partie du cantique, David a dû garder une attitude purement passive. L’Éternel l’a miraculeusement tiré des eaux, l’arrachant à un ennemi beaucoup plus puissant que lui. Cette délivrance correspond, dans la vie chrétienne, à la grâce du pardon et de la nouvelle naissance. Une fois mis en sûreté, David voit se présenter de nouveaux ennemis. Mais cette fois, Dieu forme ses mains au combat et lui donne de franchir les murailles. Ainsi, dans l’œuvre de la sanctification, le chrétien devient ouvrier avec Dieu.
Le peuple affligé. L’adjectif hébreu ani signifie à la fois opprimé, humble et débonnaire, trois notions qui n’en font qu’une aux yeux du psalmiste. Comparez Psaumes 9.13 ; Psaumes 25.9, etc. Telle est aussi la caractéristique du Roi-Messie décrit par Zacharie 9.9 ; comparez Matthieu 11.29.
Ma lampe : symbole de vie et de prospérité.
Avec toi. La même assurance de la victoire est exprimée par saint Paul, Philippiens 4.13 et 2 Corinthiens 2.14.
La parole de l’Éternel est éprouvée. Les promesses faites à David se sont accomplies malgré tous les obstacles accumulés contre elles ; elles ont subi l’épreuve du feu (comparez Psaumes 12.7). Cette parole est citée Proverbes 30.5.
Ces victoires, impossibles à vues humaines, s’expliquent par une raison bien simple : L’Éternel seul est Dieu. Comparez Deutéronome 32.31, Deutéronome 32.39.
Il a rendu parfaite ma voie. Par le fait même que les voies de Dieu sont parfaites (verset 31), la voie de ceux qui cheminent avec lui le devient aussi.
L’idée des versets 28 à 31 est développée, après la courte interruption explicative des versets 32 et 33.
Semblables à ceux des biches. L’agilité pour attaquer ou poursuivre l’ennemi se joint à la ténacité pour maintenir les positions conquises (mes hauteurs).
L’arc d’airain. La vigueur de David égale son agilité. Dans l’Odyssée, l’adroit Ulysse est représenté comme avant tendu l’arc que personne n’avait pu courber (XXI, 409).
Ta condescendance. Dieu s’est abaissé à tendre la main à son serviteur, pour l’élever.
Je poursuis, je détruis. David était résolu à briser complètement la force des ennemis de son peuple. Cette énergie rappelle par contraste la faiblesse d’Achab (1 Rois 20.31-43). Un tel acharnement dans la victoire n’avait rien d’étrange à cette époque. Le Seigneur, nouveau David, brisera avec un sceptre de fer ceux qui persisteront dans leur inimitié contre Dieu (Psaumes 2.9) et le chrétien ne doit accepter aucun compromis avec le péché.
Ils crient…, tout d’abord à leurs dieux ou aux hommes, mais sans résultat, puis à l’Éternel, qui repousse cette requête, dont la terreur est l’unique mobile. Comparez Proverbes 1.28-29 ; Ésaïe 1.15.
Les querelles de mon peuple : allusion aux rivalités qui, pendant sept ans, avaient empêché les tribus du nord de reconnaître comme leur roi un homme de Juda.
À la tête des nations. Reçu roi par tout Israël, David soumet les nations voisines (2 Samuel chapitre 8) ; il voit même des peuples lointains venir lui rendre hommage. Ces victoires préfigurent les conquêtes spirituelles de Jésus-Christ.
Les fils de l’étranger me flattent, hébreu : me mentent. David sait que leurs hommages sont dictés par la crainte.
Ils sortent de leurs remparts : pour faire leur soumission.
Le psalmiste, qui n’a cessé de rapporter à l’Éternel la gloire de ses délivrances, accentue encore ici l’action de grâces et prend la résolution de faire connaître le nom de l’Éternel à ces nations qu’il a soumises.
Le Dieu qui m’accorde des vengeances. Un chrétien ne parlerait pas ainsi. Observons néanmoins que la vengeance purement personnelle n’était pas autorisée dans l’ancienne alliance (Lévitique 19.18), mais que la punition des coupables est une revanche de la justice divine (Deutéronome 32.35). Dans l’affaire de Nabal, David, bénit l’Éternel de ce qu’il l’a empêché de faire le mal en se vengeant lui-même. On sait qu’il refusa de se venger de Saül. Il parle dans notre psaume comme le représentant de la cause de l’Éternel, avec le sentiment profond que ses ennemis sont ceux de son Dieu ; les vengeances dont il parle ne sont pas celles qu’il prend lui-même, mais celles que Dieu lui accorde (Romains 12.17-21).
Ce verset est une brève récapitulation du psaume entier.
L’homme violent : terme général par lequel est désigné avant tout Saül.
Parmi les nations. Cette parole est au nombre de celles que saint Paul cite pour prouver que le salut doit être prêché aux Gentils, Romains 15.9 (voir 2 Samuel 22.50, note).
À toujours. Pour l’Israélite actuel, ce beau psaume se termine par une déclaration cruellement démentie par l’histoire. Le chrétien voit au contraire ici une parole messianique dont l’accomplissement dépasse toutes les espérances du psalmiste.