Verset à verset Double colonne
Ce morceau renferme :
Dans la prophétie Ésaïe 15.1 à 16.12, il est question de deux invasions successives du pays de Moab, dont l’une, déjà passée au moment où parle le prophète, a amené une dévastation relative et dont l’autre à venir, causera une ruine plus complète de ce pays. La première est décrite au chapitre 15. La seconde est annoncée en termes mystérieux à la fin de ce chapitre. Au chapitre 16, le prophète se place en pensée au moment où ce second malheur commencera et décrit sous une forme dramatique la détresse des Moabites et l’inutilité de leurs efforts pour échapper à l’envahisseur qui s’avance du nord : il voit les habitants des villes moabites au nord de l’Arnon, s’enfuir de chez eux et passer le torrent, apportant la nouvelle de l’approche du dévastateur. Tout Moab se réfugie dans le pays d’Édom ; et de là il envoie un tribut de soumission au puissant roi de Juda, pour le décider à prendre les fugitifs sous sa protection et à les sauver de l’oppresseur (Ésaïe 16.4-5). Mais le prophète entend le refus qu’oppose Juda à cette prière (verset 6). Car l’Éternel a décrété la ruine de Moab. Il ne reste donc plus à ce peuple qu’à rentrer chez lui pour y être la proie de l’ennemi (versets 7 à 12). Cette catastrophe future est dépeinte sous des couleurs tout à fait pareilles à celles employées au chapitre 15 dans la description de la première invasion déjà passée. Quant au message de Moab et à la réponse de Juda, il est clair que ce ne sont pas des faits réels, mais une simple forme dont le prophète se sert pour rendre sensible l’humiliation et l’impuissance de Moab en face de Juda sauvé et affermi. Comparez Ésaïe 25.9-12.
Avec Ésaïe 16.12 finit l’ancienne prophétie. Ésaïe prend lui-même la parole pour déclarer que cet oracle d’autrefois aura son accomplissement dans l’espace de trois ans (versets 13 et 14). Le sens naturel de Ésaïe 16.13 est que le morceau qui précède est d’un prophète antérieur, dont Ésaïe reproduit et confirme les paroles. Comparez une citation toute semblable Ésaïe 2.2-411 et Ésaïe 1.20, note. À quelle époque et dans quelles circonstances cette ancienne prophétie avait-elle été composée ? L’invasion annoncée au chapitre 16 comme imminente (verset 14) ne peut être que l’une des invasions assyriennes qui eurent lieu au temps d’Ésaïe ; il s’agit vraisemblablement de celle de Tiglath-Piléser, prédite déjà Ésaïe 7.16-17 ; le conquérant dévasta à cette époque tout le pays situé à l’est du Jourdain (2 Rois 15.29) et reçut l’hommage de tous les princes de la Palestine et des contrées voisines, parmi lesquels il mentionne dans l’une de ses inscriptions Salman, roi de Moab, Mitinti d’Askalon, Joachaz (Achaz) de Juda, Kosmalak d’Édom, etc. La prédiction Ésaïe 16.13-14 aurait donc été prononcée à peu près à la même époque que la prophétie du chapitre 7 (voir à Ésaïe 7.16). Quant à la première invasion, toute fraîche encore quand écrivait l’ancien prophète (chapitre 15), il est difficile d’en préciser la date. Ce pourrait être l’expédition à la suite de laquelle Jéroboam II incorpora de nouveau au royaume des dix-tribus le pays de Galaad et certainement aussi Moab (2 Rois 14.25 ; Amos 6.14) ; ce peut être aussi une invasion assyrienne antérieure à la campagne de Tiglath-Piléser contre Damas et Éphraïm : celle de Phul (2 Rois 15.19 ; 1 Chroniques 5.26), ou une expédition de Tiglath-Piléser lui-même. Nous pensons qu’il s’agit plutôt des Assyriens. Quoi qu’il en soit, l’événement doit avoir eu lieu au temps d’Ozias ; car tout dans la prophétie Ésaïe 15.1 à 16.12 convient aux circonstances de son règne (voir les notes Ésaïe 16.1 ; Ésaïe 16.4 ; Ésaïe 16.5).
Le morceau Ésaïe 15.1 à 16.12 se compose de trois strophes :
Moab. Ce peuple était issu de Lot (Genèse 19.37).
Ar-Moab, la ville de Moab (ar répond en langue moabite à l’hébreu ir, ville) : l’ancienne capitale de Moab, située au bord de l’Arnon (Wady-Modjib), près de son confluent avec le Wady-Enkeileh, sans doute à l’endroit où l’on trouve aujourd’hui les ruines de Mahatet-el-Hadj. Voyez Nombres 22.36 ; Josué 13.9 ; Josué 13.16
Kir-Moab (le rempart de Moab), la principale forteresse de Moab, nommée aussi Kir-Haréseth ou Kir-Harès (Ésaïe 16.7 ; Ésaïe 16.11) ; Josaphat et Joram ne purent la prendre (2 Rois 3.25-27) ; aujourd’hui Kérak, ville de 600 maisons, située à 40 kilomètres au sud de l’Arnon.
La capitale et la ville forte sont prises : c’en est fait de Moab ; les habitants sont en fuite.
Il ressort de ce verset et des suivants, que les Moabites possédaient alors le pays au nord de l’Arnon, qui depuis le temps de la conquête de Canaan avait appartenu aux Israélites. Soumis par David (2 Samuel 8.2), Moab avait passé, après la division du royaume, sous la domination d’Éphraïm ; il se révolta à la mort d’Achab (2 Rois 3.4-5) et s’empara du territoire en possession duquel nous le voyons ici et qu’il considérait comme sien, parce qu’il en avait été autrefois dépossédé par les Amorrhéens (Nombres 21.26). Un siècle plus tard (vers 800), Jéroboam Il soumit de nouveau les Moabites ; mais ils profitèrent sans doute des troubles qui suivirent sa mort, pour s’affranchir et s’étendre derechef vers le nord.
Au temple : au sanctuaire de Camos, divinité principale du pays (Nombres 21.29) ; ce temple devait se trouver dans le voisinage de Dibon.
Dibon : aujourd’hui Dibân, à quatre kilomètres au nord de l’Arnon. C’est là que fut découverte, en 1868, l’inscription du roi de Moab, Mésa, qui date du commencement du 9e siècle avant Jésus-Christ. C’est ce prince, contemporain d’Achab, qui affranchit son peuple du joug israélite et fit la conquête du pays au nord de l’Arnon (voir 2 Rois 3.4 et suivants). Entre autres villes qu’il avait reprises aux Juifs ou fortifiées, son inscription mentionne Médeba, Jahats, Aroër, Beth-Bamoth, Nébo, Horonaïm et enfin Dibon, dont il avait fait sa capitale et où il avait bâti une citadelle nommée Korcha. Presque toutes ces villes sont citées dans notre prophétie.
Hauts-lieux : en hébreu bamoth. Ce mot pourrait bien être ici un nom propre et désigner la ville de Bamoth-Baal (Josué 13.17), dans l’inscription de Mésa : Beth-Bamoth, voisine de Dibon et siège d’un sanctuaire renommé de Baal (Nombres 22.41 ; Nombres 25.3).
Nébo : sur la montagne de même nom, d’où Moïse vit le pays de Canaan avant de mourir (Deutéronome 34). Saint Jérôme dit qu’il y avait à Nébo une statue de Camos. On a retrouvé au sud-ouest de Hesbon des ruines nommées Nebbe qui sont sans doute celles de cette ville.
Médeba : sur le plateau au nord de Dibon ; aujourd’hui Madéba, ruines importantes. David remporta sous ses murs une victoire sur les Ammonites (1 Chroniques 19.7).
Toute tête est rasée… Comparez Amos 8.10.
Sac. Comparez Ésaïe 3.24
Hesbon : au temps de Moïse, capitale du roi amorrhéen Sihon (Nombres 21.26) ; aujourd’hui Hesbân, dans une position élevée qui domine l’extrémité orientale du Wady-Hesbân.
Elealé : aujourd’hui El-Al, ruines à 6 kilomètres au nord-est de Hesbân.
Jahats : plus à l’est, aux confins du désert ; c’est ici que Sihon se porta à la rencontre des Israélites et fût défait par eux (Nombres 21.23). La nouvelle de la prise d’Ar et de Kir-Moab se répand jusqu’à Jahats, c’est-à-dire jusqu’aux extrémités du pays.
Mon cœur gémit. Comparez Ésaïe 16.9 ; Ésaïe 16.1. Le prophète est ému de pitié pour ce peuple, qui est cependant un des pires ennemis de Juda : trait remarquable de charité humaine et universelle ; il sait se mettre au-dessus de ces haines nationales alors si vivaces. De tels accents ne se rencontreraient guère chez les poètes d’autres peuples.
L’ennemi vient du nord ; car c’est au midi, dans le pays d’Édom, que les Moabites cherchent une retraite (comparez Ésaïe 16.1).
Tsoar : probablement près de l’extrémité sud de la mer Morte (voir Genèse 19.22).
Églath-Schelischia. Ces mots, que l’on traduit quelquefois par : la génisse de trois ans, paraissent être ici un nom de ville : probablement l’Agalla que Josèphe mentionne à côté de Tsoar et de Horonaïm.
Luchith : saint Jérôme la place entre Ar-Moab et Tsoar.
Horonaïm : d’après Eusèbe, à 12 kilomètres au sud de l’Arnon.
Les eaux de Nimrim : le Wady-Nemeyra, qui se jette dans la mer Morte près de son extrémité méridionale.
Sont desséchées. L’ennemi a bouché les sources, détruit les canaux, ravagé la contrée. Comparez le récit de la dévastation du pays de Moab par les Israélites et les Édomites, 2 Rois 3.25.
Le torrent des Saules : selon les uns, le Wady-el-Ahsa, qui se dirige de l’est à l’ouest, à quelques lieues au sud de Kérak et qui formait la frontière entre Moab et Édom ; selon les autres, le Wady-Sussâf (ruisseau des Saules), qui forme le bras nord du Wady-Kérak et aboutit, comme le précédent, à la mer Morte. Comparez Amos 6.14
Églaïm : probablement l’Agallim d’Eusèbe, dans le voisinage de Horonaïm.
Béer-Élim, le puits des térébinthes ou des princes : sans doute le Béer où campèrent les Israélites sous Moïse, au nord-est de Moab. Un puits y avait été creusé par les princes du pays (Nombres 21.16-18). Églaïm et Béer-Élim représentent donc les deux extrémités opposées du pays de Moab ; le cri de détresse retentit d’une frontière à l’autre.
Les eaux de Dimon sont pleines de sang. Dimon est mis ici pour Dibon, afin de rapprocher ce nom du mot dam, sang ; c’est comme si le prophète disait : les eaux de Dibon (l’Arnon et ses affluents) sont devenues des eaux de sang.
Car j’infligerai… La mesure du châtiment de Moab n’est pas comble encore ; le malheur décrit versets 1 à 9 sera suivi d’un autre plus redoutable (fin du verset 9). Il y a donc de quoi gémir !
Un lion aux réchappés… Ce que la première invasion a épargné sera la proie d’un ennemi plus puissant et plus cruel (comparez la même image, Jérémie 4.7). Voir plus haut la note d’introduction aux chapitres 15 et 16.