Verset à verset Double colonne
Il faut admettre, entre la question de Habakuk 1.17 et les paroles de Habakuk 2.1, une pause plus on moins longue. Après avoir posé sa question à Dieu, le prophète s’encourage, dans le monologue du verset 1, à attendre la réponse d’en-haut, réponse qu’il se représente sous la forme d’une remontrance, motivée par les plaintes qui se sont échappées de ses lèvres au chapitre 1.
Ces expressions : me tenir à mon poste, me placer sur un lieu élevé, ne doivent pas être prises au sens propre, comme si c’était en un lieu élevé et isolé que le pophète eût l’habitude de recevoir les révélations divines ; elles ont un sens figuré et spirituel, comme dans Ésaïe 21.6. Ce passage d’Habakuk est un de ceux qui font le mieux comprendre l’état dans lequel se trouve le prophète de l’Éternel au moment où il va communiquer avec Dieu. Les images employées ici expriment un état conscient et voulu du prophète, la préparation spirituelle nécessaire pour comprendre la parole divine, le recueillement de l’âme, l’isolement à l’écart des bruits et des préoccupations extérieures.
Les tables, dont il est ici question, sont sans doute des tableaux de bois ou de pierre sur lesquels le prophète devra graver soigneusement les paroles de l’oracle et qu’il exposera ensuite aux yeux du peuple, afin que tous en puissent prendre connaissance. Le mot employé (luchoth) rappelle les tables de la loi (Exode 34.28). L’intention de l’ordre donné au prophète est évidente : il faut que la promesse divine soit connue de chacun, pour qu’elle ne s’altère ni ne se perde et qu’elle puisse, pendant les jours de l’épreuve, entretenir dans les cœurs le courage et l’espoir.
Ce verset donne la raison de cet ordre. La prédiction se rapporte à un temps fixé par Dieu pour son accomplissement et qui est encore éloigné ; elle a hâte d’arriver à son terme, qui est la fin des temps, les temps messianiques, s’il s’agit de sa complète réalisation (Daniel 8.17-19 ; Daniel 11.35). Les expressions du prophète personnifient la prophétie et la représentent comme animée du désir vivant de s’accomplir.
Si elle tarde. La foi à la parole qui va suivre, doit inspirer au fidèle la persévérance nécessaire pendant tout cet intervalle.
Ces paroles constituent l’oracle que le prophète doit graver sur les tables ; elles forment, en se rattachant à la fois à ce qui précède et à ce qui suit, le vrai centre de toute la prophétie d’Habakuk. Si l’oracle qui commençait aussi par un Voici, Habakuk 1.6, était, pour Israël, plein de menaces, celui-ci est, pour le peuple de Dieu, rempli de promesses. On pourrait peut-être voir, dans ce verset 4, un contraste établi par l’Éternel entre deux Israélites quelconques, dont l’un, rempli d’orgueil, oublie les promesses de l’Éternel et quitte la voie droite pour suivre son propre cœur et dont l’autre demeure, au contraire, assuré en la parole divine et attend patiemment la réalisation de cet oracle qui ne manquera pas. Mais il est beaucoup plus conforme à ce qui précède et à ce qui suit, de penser que la première partie du verset désigne le Chaldéen (dont il va être exclusivement question à partir du verset suivant), tandis que la deuxième moitié désigne les justes d’entre le peuple de Juda, auxquels Dieu fait la promesse de la vie, parce qu’ils auront gardé au travers des épreuves la foi en l’Éternel et la confiance dans ses paroles.
Il n’est pas dans le droit chemin et par conséquent périra.
Par sa foi. Le mot que nous traduisons par foi signifie fermeté et désigne soit la fermeté de Dieu, c’est-à-dire la fermeté de ses promesses (Deutéronome 32.4 ; Psaumes 89.34), soit la fermeté propre à l’homme, c’est-à-dire l’état de celui qui s’attache à Dieu avec une ferme assurance, qui se repose sur lui comme sur un ferme fondement (comparez Psaumes 37.3 ; Jérémie 5.3 ; Jérémie 5.7). La foi, dont parle Habakuk, est celle que possède dès maintenant tout Israélite fidèle à la loi de Jéhova et qu’il manifestera en attendant avec persévérance l’accomplissement de la promesse, si tardif qu’il puisse être.
Saint Paul, en citant cette parole dont il a fait le texte de sa conception évangélique de la justification par la foi, dans les deux passages fondamentaux Romains 1.17 et Galates 3.11, retranche le pronom sa, de manière à prendre la notion de foi dans le sens absolu de la foi en général ; il fait sans doute dépendre, tout comme Habakuk, les mots par la foi, non du mot le juste, mais du verbe vivra. Sa pensée est que c’est en rendant le pécheur juste que la foi le fait vivre, et cela, est conforme au sens de la parole d’Habakuk, puisque le pieux Israélite n’a le caractère de juste qu’en vertu de sa foi en Jéhova. Les LXX paraissent avoir lu ma fidelité : émounathi au lieu d’émounatho, entendant par là soit la fidélité de Dieu à ses promesses, soit la foi dont Dieu est l’objet.
Vivra. Comme l’expression : n’est pas dans le droit chemin, réunit la ruine temporelle et la condamnation divine, de même dans le mot vivra se réunissent les deux idées de bénédiction divine et de délivrance temporelle et éternelle.
Ce verset se rattache au premier membre du verset 4, dont il développe la pensée en l’appliquant plus directement au Chaldéen. Le vin est trompeur, perfide, puisqu’au lieu de donner la force et la vie à ceux qui s’y adonnent, il leur apporte la ruine (Proverbes 23.31-32). Nous savons par les écrivains anciens (Hérodote, Quinte-Curce, etc.) que les Babyloniens étaient très adonnés au vin et ce fut, en effet, au moment même où Belsatsar se livrait à tous les excès de son intempérance que Babylone tomba aux mains de Cyrus (Daniel chapitre 5).
Ces versets décrivent la ruine du Chaldéen dans un chant de menaces mis dans la bouche des nations et composé de cinq strophes dont chacune comprend trois versets.
Tandis que les quatre premières strophes développent cette pensée : le Chaldéen est un tyran, un oppresseur des peuples, la cinquième et dernière relève le péché capital du souverain ennemi, représentant de la nation entière, son idolâtrie, comme cause principale de sa ruine à venir.
Gages : Les biens que le Chaldéen a acquis par la violence sont représentés comme des gages illicites que, semblable à un usurier sans entrailles, il a arrachés aux peuples et qu’il devra restituer en son temps.
Ceux qui te mordront : ceux qui te feront restituer le fruit de tes exactions, ces gages dont tu t’étais jadis chargé. Le mot employé ici et qui signifie en hébreu mordre : naschak, rappelle le terme qui signifie usure : néschek.
Ne se lèveront-ils pas… ? Ces nations opprimées et qui semblaient anéanties, surgiront de nouveau pour tirer vengeance de leur oppresseur.
Tout ce qui reste de peuples. Tout ce qui a survécu aux ravages commis par le Chaldéen.
La terre n’est pas la Terre Sainte, mais la terre en général ; le Chaldéen est pareillement appelé dans Jérémie 50.23 un marteau de toute la terre ; Jérémie 51.7 ; Jérémie 51.25, une coupe d’enivrement, un destructeur de toute la terre.
À cette soif de pillage se rattache naturellement une ambition effrénée, qui le pousse à rechercher la domination éternelle et la stabilité de sa dynastie.
Placer son nid bien haut, c’est l’image d’un empire fermement établi et assuré contre toute attaque. On pourrait penser ici aux constructions élevées par Nébucadnetsar pour fortifier Babylone, ainsi qu’à son château royal.
Ce verset indique le résultat, de ces gains iniques.
Tu as délibéré… Les délibérations par lesquelles tu méditais la destruction des peuples, n’ont fait que préparer ta propre ruine.
La pierre, la poutre. Même les matériaux inertes de ses constructions, qu’il a amassés par ses rapines, prendront une voix pour protester contre la tyrannie du Chaldéen. Comparez Luc 19.10.
Ce troisième Malheur ! se rapporte aux villes que le Chaldéen construit avec les sueurs et le sang des peuples conquis ; comparez Jérémie 22.13.
Les peuples, les nations : ce sont les peuples assujettis par le Chaldéen et condamnés par lui aux pénibles travaux de ses grandioses constructions. Ce travail, cependant, sera vain, car un jour l’incendie détruira ces bâtiments élevés au prix de tant d’efforts. L’histoire nous montre, en effet, les souverains de Babylone, depuis Nébucadnetsar à Belsatsar, constamment occupés à de grandes constructions et les détails que nous fournissent à ce sujet les historiens (Bérose, Hérodote) et les inscriptions cunéiformes, sont pleinement, d’accord avec les données de la prophétie (voir Jérémie 51.58).
Ce résultat final, c’est-à-dire tout ce travail des peuples aboutissant à la destruction et au néant, est voulu de Dieu, car la terre doit un jour être remplie de la gloire de l’Éternel (voir Ésaïe 11.9, dont notre passage semble être la reproduction). Mais pour que ce glorieux avenir se réalise, il faut que, l’Éternel ait tiré vengeance des puissances terrestres qui s’opposent à ses desseins, et, par conséquent, que l’empire chaldéen ait été renversé ; il faut que la manifestation du jugement de l’Éternel sur ses ennemis précède celle de sa gloire sur toute la terre.
Ce verset est donc tout à la fois une promesse pour Israël et une menace pour les Chaldéens.
Cruauté du Chaldéen à l’égard des peuples vaincus. La description des versets 15 et 16 est figurée et l’image est empruntée à ce qui se passe dans la vie ordinaire, lorsqu’on verse à boire à quelqu’un jusqu’à l’enivrer pour exercer ensuite sur lui toute sa méchanceté et se réjouir de sa honte.
L’impuissance d’un homme ivre gisant par terre, est l’image de la défaite d’un peuple vaincu (Nahum 3.11) et la nudité découverte est l’image du déshonneur qui l’atteint (Nahum 3.5 ; Ésaïe 47.3).
Cette allégorie qui représente la défaite et la sujétion des peuples sous l’image d’une coupe de colère qu’on leur fait boire, se rapporte à la ruse et à l’astuce grâce auxquelles il les attirait dans son alliance pour les déshonorer ensuite. Cette honte retombera sur lui-même.
Tu es rassasié d’opprobre : de l’opprobre dont tu as abreuvé les peuples et qui, retombant sur toi, fera disparaître la gloire.
La violence faite au Liban. Il ne s’agit pas seulement ici du Liban au sens propre et encore moins de la Terre Sainte en général représentée par la montagne du Liban. Le discours conserve, d’après ce qui précède, le caractère allégorique et signifie que les ravages du Chaldéen se sont portés non pas seulement contre les hommes, mais encore contre la nature. Après avoir massacré les hommes, le Chaldéen tuait sans pitié les animaux et ravageait les contrées. Comparez Ésaïe 14.8.
Au lieu de commencer, comme les strophes précédentes, par le mot Malheur ! celle-ci l’introduit au moyen d’un verset, qui la rattache à la précédente par cette pensée préparatoire : Le Chaldéen, dans le jugement qui va fondre sur lui, ne doit compter sur aucun secours de la part de ses faux dieux.
L’idole est appelée ici docteur mensonger, en raison des oracles qu’elle est censée rendre et qui égarent ceux qui les suivent. Comparez le verset 19. C’est l’opposé du Dieu de vérité dont les révélations conduisent sûrement ceux qui s’y confient.
Comparez le passage Ésaïe 44.9-20, où la même idée est développée au long.
Aux idoles muettes et sans vie est opposé l’Éternel, le Dieu vivant qui trône dans son saint temple. Ce n’est pas son sanctuaire terrestre de Jérusalem, en général, Habakuk ne présente pas le cachet local, national, c’est plutôt le sanctuaire céleste, le ciel comme le trône de la majesté divine (Ésaïe 6.1-5 ; Ésaïe 66.1 ; Michée 1.2). C’est de là que Dieu apparaîtra lorsqu’il viendra juger le monde et manifester sa gloire sur la terre en détruisant les puissances terrestres qui se sont élevées contre lui. À cause de cela, tous les habitants de la terre doivent se soumettre à lui et contempler son jugement.
Silence. C’est le silence de la crainte et de l’adoration dans l’attente de l’apparition divine et du jugement non seulement de Juda, puis des Chaldéens, mais de toutes les puissances terrestres en général, qu’annonce ce livre.