Verset à verset Double colonne
Prière. Bien que le verset 2 seulement contienne en réalité une prière, une requête à l’Éternel, le morceau tout entier est désigné par ce terme, à cause de ses rapports étroits avec la poésie psalmique ; en effet, plusieurs psaumes portent également ce titre (Psaumes 17 , 90, 102). L’âme du prophète se répand si complètement devant Dieu, sa pensée est si entièrement concentrée dans la contemplation des choses à venir, que le fragment tout entier mérite le nom de prière. Du reste, le prophète n’en demeure par moins prophète ; ses accents ne sont pas seulement l’élan d’une âme qui prie ; ils ont une portée plus étendue encore et retracent aux yeux des nations le tableau d’un redoutable avenir. Voilà pourquoi l’auteur insiste de nouveau sur sa qualité de prophète. Le chapitre 3 occupe donc une place importante dans la littérature des prophètes : il représente la fusion la plus parfaite entre l’élément prophétique et l’élément lyrique dans l’Ancien Testament (comparez une prière semblable Ésaïe 12.1-6).
Sur le mode dithyrambique. Le terme hébreu désigne un haut degré d’exaltation et même une sorte d’égarement. Cette indication musicale signifie que le morceau qui suit doit être exécuté sur un ton rapide et animé ; l’indication concorde bien avec le contenu même du chapitre entier, dans lequel les sentiments les plus divers se donnent essort ; la pensée y est d’une grande vigueur, la narration vive, pressée parfois. Le mode musical devait cadrer avec le fond du morceau (comparez le titre du Psaume 7).
Ce que tu as fait entendre : le châtiment de Juda et la ruine des Chaldéens, en un mot tout l’ensemble des révélations contenues aux chapitres 1 et 2.
Ce que tu as fait dans le cours des âges. Ces actions de l’Éternel que le prophète désirerait voir de nouveau, ce sont les diverses délivrances accordées par Jéhova à son peuple dans le passé ; le prophète en cite quelques-unes à la suite (versets 3 à 15) ; il prie dès maintenant l’Éternel de les faire revivre, de les reproduire dans l’avenir si sombre qui s’offre à ses yeux ; car avant qu’arrive le châtiment des Chaldéens, il sait bien que son peuple aura à traverser des jours d’épreuve et c’est dans ce cours des années qu’il sollicite l’Éternel d’agir de nouveau. Ces œuvres ne peuvent signifier que les délivrances anciennes dont la sortie d’Égypte et la traversée du désert (rappelées versets 3 à 15) sont l’expression la plus éloquente. Le prophète prie l’Éternel de renouveler de tels miracles envers son peuple.
Dans ta colère, souviens-toi… Le prophète sent bien que la juste colère de l’Éternel envers son peuple doit avoir son cours, mais il n’en fait pas moins appel à sa pitié.
L’apparition de l’Éternel que le prophète décrit dans ces versets, sa venue en jugement, est présentée sous les traits de la plus glorieuse des manifestations divines dans l’Ancien Testament : la délivrance d’Égypte et la traversée du désert, avec la promulgation de la loi au Sinaï, comme point central. Le jugement qu’entrevoit le prophète, n’est point uniquement celui des Chaldéens ; en effet, les traits qu’il emploie pour le décrire sont trop surnaturels et trop effrayants pour indiquer seulement la chute d’une puissance terrestre, quelque formidable qu’elle soit ; nous y voyons une saisissante représentation du jugement définitif à venir. Le prophète ne saurait mieux rendre ce spectacle grandiose qu’en le représentant sous les traits de la délivrance du pays d’Égypte et de la victoire de Jéhova sur les peuples qui s’opposaient à lui à cette époque. Le chapitre 3 présente des réminiscences non pas seulement du cantique de l’Exode (chapitre 15), ou de celui du Deutéronome (chapitre 23), mais encore de celui de Débora (Juges, chapitre 5) et de divers psaumes (18, 68, 77), avec la différence que, dans ces chants, ce qui forme le sujet de la louange, ce sont les hauts faits de l’Éternel dans le passé, tandis qu’ici il est question d’une délivrance encore à venir. Le prophète s’élève, dans ces versets 3 à 15, au rang des plus grands poètes hébreux, lorsque, pour décrire la majesté de l’Éternel apparaissant en jugement, il montre la nature bouleversée et les éléments déchaînés. Au travers de ces scènes imposantes, il contemple, dans un avenir éloigné, l’Éternel venant au secours de son Oint. On peut distinguer dans ce tableau diverses phases :
Théman, nom d’une ville et d’un district du sud-est de l’Idumée (Amos 1.2).
Paran, contrée montagneuse dans le désert du même nom, plus rapprochée du Sinaï que Théman : ces deux endroits sont situés en face l’un de l’autre et ne sont séparés que par la gorge profonde du Ghor. Le sud de la Palestine est en général le côté d’où viennent les orages (comparez Ésaïe 21.1). Mais il est probable que le prophète pense en même temps au Sinaï d’où l’Éternel se révéla à son peuple.
Séla. Signe musical traduit ordinairement par pause ; il ne se trouve, outre les psaumes, que dans Habakuk. Il indique sans doute un arrêt dans la récitation, tandis que les instruments se font entendre avec un redoublement de force. Après ce bref intermède musical, la récitation reprend le fil de la pensée interrompue.
Comme la lumière : celle du soleil apparaissant au matin.
Des rayons partent de sa main. En voyant les premiers rayons de l’aurore à l’horizon, il semble qu’ils soient répandus par une main invisible.
C’est là que se cache… La lumière, loin de révéler toute la puissance de Dieu, lui sert au contraire de voile et de vêtement. Comparez Psaumes 104.2. L’Éternel peut à son gré se servir des ténèbres ou de la lumière la plus éblouissante pour se dérober aux regards de l’homme.
Résultats de cette marche de l’Éternel à travers l’univers. La mortalité (littéralement : la peste) et la fièvre sont ici personnifiées comme des effets émanant de Dieu et représentées comme deux satellites dont l’un va devant, ainsi qu’un courrier, tandis que l’autre est comme évoqué par les pas de l’Éternel.
Avec ce verset commence la description proprement dite des effets produits sur le monde par l’apparition de l’Éternel. Les phénomènes décrits dans ce verset rappellent ce qui nous est dit de la sortie d’Égypte dans Juges 5.5 ; Exode 19.18 ; Psaumes 14.4 etc.
Il suit ses voies d’autrefois. Il répète ce qu’il a fait jadis. Ses voies dans l’avenir sont toujours semblables à ce qu’elles ont été dans le passé, une suite continue de présages du jugement final. Comparez Psaumes 68.25.
Cuschan ; Madian. De même que jadis les hauts faits accomplis par l’Éternel à la tête de son peuple firent trembler les nations d’alentour (Exode 15.14-15), de même maintenant, lorsque Dieu s’avance de Théman, les peuples voisins tremblent devant lui. Cuschan (le peuple appelé, ailleurs Cusch ou Cus) désigne l’Éthiopie, ainsi le pays situé à l’occident de la mer Rouge ; et Madian, la contrée placée à l’orient de cette même mer. La mention de ces deux pays rappelle avec évidence la scène du passage de la mer Rouge par les Israélites ; ces deux noms sont également cités ici comme des exemples de la terreur qui s’emparera de tous les peuples lors de la venue du Seigneur en jugement. Cette idée apparaît, clairement dans Ézéchiel 38.18-23.
Les pavillons… ; les tentes, car les Madianites sont un peuple nomade.
L’apparition divine s’est rapprochée du prophète qui l’observe. L’épouvante qu’elle cause, l’effet produit sur les montagnes (verset 6), semble se communiquer à la mer et aux fleuves.
Le prophète a une conscience plus nette de la proximité de l’Éternel ; il parlait jusqu’ici de lui à la troisième personne ; maintenant il lui adresse directement la parole. L’Éternel s’offre à lui sous les traits d’un guerrier armé de toutes pièces, prêt au combat et devant lequel tout tremble. Son action sur la nature devient toujours plus puissante. La réponse à la question posée par le prophète dans ce verset est celle-ci : Évidemment non, ce n’est pas contre la mer et les fleuves, mais c’est contre les ennemis de ton règne et en faveur de ton peuple que tu te manifestes d’une façon si terrible. La mention de Cuschan (verset précédent) porte à croire que les fleuves dont il est question ici sont le Nil et ses affluents d’Éthiopie (comparez Ésaïe 18.1), l’Arabie Pétrée (l’ancien Madian) ne possédant pas de grands cours d’eau.
Lits de rivières. La terre a été tellement ébranlée qu’elle est toute crevassée et que des torrents se forment partout. La suite rend vraisemblable l’idée que le prophète a devant l’esprit l’image d’un tremblement de terre comme cause de ces perturbations.
L’abîme : la masse d’eau des réservoirs sous-terrestres et de l’Océan, le grand abîme dont toutes les sources jaillirent aux jours du déluge (Genèse 7.14). De même qu’en ce temps (image du jugement dernier) les eaux des cieux et celles de l’abîme se réunirent, de même ici les fleuves de la terre, les trombes des cieux et les eaux de l’abîme se confondent de nouveau par un bouleversement général de la nature.
À tendu les mains en haut… comme expression de terreur et pour implorer la pitié.
Le soleil, la lune. La demeure des astres est, d’après la conception orientale, le lieu où ils rentrent à leur coucher et d’où ils sortent à leur lever. Il ne s’agit pas ici d’un coucher de ces astres, mais bien d’un obscurcissement anormal de leur lumière, d’un bouleversement tel qu’on n’aperçoit plus le soleil et la lune. Ces astres sont représentés comme se tenant renfermés dans leur demeure (comparez Ésaïe 13.10) ; il n’y a plus d’autre lumière que celle des éclairs, les flèches de l’Éternel dont l’éclat illumine l’univers entier.
Les flèches, la lance, sont les traits dont se sert le guerrier céleste pour abattre ses ennemis (comparez Nahum 3.3, l’éclair de la lance).
Tu marches sur la terre. Ce n’est point la terre elle-même, mais les nations, semblables à des fourmis, que l’Éternel foule dans sa marche et écrase avec colère.
Ton Oint. Ce mot ne désigne pas ici (comme le veulent quelques interprètes) l’ensemble du peuple élu, car il n’est nulle part appelé de ce nom ; il ne désigne pas davantage tel ou tel roi particulier de Juda, mais bien, au sens absolu, tout roi de la famille de David en tant qu’oint de l’Éternel, jusqu’à et y compris l’Oint par excellence, le plus glorieux descendant de la dynastie élue, le Messie.
Maison du méchant. Le méchant est ici, non le peuple chaldéen, mais le roi même, en sa qualité de chef et de représentant de la puissance terrestre, qui combat contre Dieu. La dynastie royale est dépeinte sous l’image d’une maison dont on abat le faîte. Une fois le faîte abattu, la maison n’est plus qu’une ruine délabrée.
Du haut en bas ; littéralement : depuis les fondations jusqu’au cou ; le cou, c’est tout ce qui est au-dessous du faîte (figuré par la tête).
Hordes. Ce mot rappelle bien la description qui nous a été donnée (Habakuk 1.6-11) de la férocité et de l’impétuosité sauvage des Chaldéens.
De ses propres traits. L’Éternel arrache aux ennemis leurs propres armes pour les tourner contre eux-mêmes : cela rappelle 1 Samuel 14.20 et 2 Chroniques 20.23. De même il est dit aussi que, lorsque la dernière puissance terrestre trouvera la ruine dans sa lutte contre Dieu (Zacharie 14.13), les ennemis se détruiront par la main les uns des autres.
Me disperser. Le prophète ne parle pas en son nom personnel (on ne disperse pas une personne) ; le me est évidemment collectif : ce sont les fidèles de son peuple.
Les misérables : les pieux Israélites qui sont vraiment le peuple de Dieu.
Allusion évidente au passage de la mer Rouge. Les grandes eaux, sont celles de l’angoisse et du malheur : mais l’Éternel est là, conduisant sûrement son peuple au travers même de ces grandes eaux.
J’ai entendu : ne se rapporte pas seulement au tableau de l’apparition de l’Éternel qui précède immédiatement, mais, comme le j’ai entendu du verset 2, à tout le contenu des prophéties renfermées dans les chapitres 1 et 2 ; c’est ce que confirment les derniers mots du verset. Du jugement définitif qui vient d’être décrit, le prophète revient à Juda, par lequel il avait commencé. Après avoir contemplé, comme il vient de le faire, le jugement de l’Éternel, il comprend la gravité du châtiment qui menace Juda. C’est ce qui nous explique l’épouvante qui le saisit au début de cette deuxième partie du chapitre.
Image de la désolation que causera l’invasion chaldéenne dans le pays de Juda.
Le figuier, la vigne, l’olivier, le bétail, toutes ces richesses de la Terre Sainte auront péri (Comparez Joël 1.10-12).
En dépit de cette détresse à venir dont le spectacle obsède la pensée du prophète, la foi reprend le dessus et bannit l’inquiétude.
Les pieds de la biche indiquent la rapidité de la course ; ici, image de la force que le prophète va puiser en Dieu pour traverser les temps difficiles qui se préparent. Comme les chamois bondissent sur les montagnes, ainsi son cœur bondit dans la foi aux délivrances que Dieu lui accordera (comparez Psaumes 18.31).
Mes lieux élevés. Ces hauteurs sont celles où l’Éternel transportera son serviteur en le faisant planer au-dessus des événements de la terre qui sont pour d’autres un sujet de détresse et d’effroi. Le mot mes rappelle que comme chaque fidèle a sa part propre dans l’angoisse, il aura aussi son lot spécial dans la délivrance générale. Comparez Ésaïe 58.14.
Sur mes instruments à corde. L’auteur de la prière indique par ces derniers mots que son œuvre devait être exécutée devant l’assemblée des fidèles avec accompagnement d’instruments à corde (voir la note musicale de Habakuk 3.1) et qu’il l’avait remise au chef des chantres chargé d’en diriger l’exécution. L’adjectif possessif mes instruments nous permet de penser qu’Habakuk faisait lui-même partie de quelqu’une de ces classes de Lévites formant la musique du temple, ou, mieux encore, qu’il était le chef de l’une d’entre elles (comparez 2 Chroniques 29.25) ; voir l’introduction.
Nous avons vu que le genre littéraire d’Habakuk est essentiellement lyrique. C’est de ses impressions personnelles qu’il part pour recevoir la révélation et c’est à ces impressions qu’il revient après la révélation reçue. De là cette forme du dialogue qui distingue la première partie ; il y a comme un entretien entre ses pensées, suscitées par la position du peuple et du monde et la pensée de Dieu qui répond aux questions et aux doutes du prophète. Le caractère lyrique continue sous une autre forme dans l’apostrophe énergique adressée au peuple ennemi, dans le second chapitre ; et enfin dans le chant psalmique qui forme le troisième chapitre.
Quant au fond même des pensées, trois particularités nous frappent :