Verset à verset Double colonne
1 Ne jugez point, afin que vous ne soyez point jugés.Le discours passe sans transition marquée, à une série d’exhortations qui achèvent de caractériser la justice du royaume des cieux et la conduite de l’enfant de Dieu.
De même que celui-ci doit montrer dans ses rapports avec Dieu un cœur simple et droit, qui ne cherche pas à servir deux maîtres (Matthieu 6.24) mais qui se confie au Père céleste (Matthieu 6.32), de même, dans ses rapports avec le prochain, il doit faire preuve de la même simplicité et de la même droiture et être animé de cette charité « qui ne soupçonne point le mal et ne se réjouit point de l’injustice, mais qui excuse tout, croit tout, espère tout ». Jésus interdit à ses disciples de se constituer juges de leurs frères, ce qu’ils ne peuvent faire qu’en oubliant leurs propres péchés (verset 3) et en se mettant à la place de Dieu, à qui seul appartient le jugement (comparer Romains 2.1 et suivants).
C’est à ce jugement de Dieu que le Sauveur en appelle comme motif de son exhortation : afin que vous ne soyez pas jugés.
Calvin et d’autres exégètes entendent, à torts par ces mots et par ceux du verset 2, les jugements des hommes qui jugent à leur tour avec sévérité ceux qui les jugent. Cette petite morale utilitaire n’est pas dans l’esprit de Jésus.
Non, c’est Dieu qui, dans sa rigoureuse justice, appliquera le même jugement et la même mesure dont ils auront usé, à ceux qui, étrangers à la miséricorde et à la charité, se livrent à cet esprit pharisaïque de jugement (comparer Luc 18.9-14).
Jésus poursuit ainsi sa polémique contre la justice des scribes et des pharisiens (Matthieu 5.20).
Il faut savoir concilier ce précepte avec le devoir chrétien de discerner et d’apprécier la valeur morale des caractères et des actions, à la lumière de la Parole de Dieu (Matthieu 7.6-15 ; 1 Corinthiens 5.12 ; 1 Thessaloniciens 5.21 ; 1 Jean 4.1). Mais ce discernement, sans lequel il n’y aurait point de vie morale en ce monde, ne doit pas nous entraîner à porter sur les hommes et sur les motifs cachés de leur conduite un jugement définitif qui n’appartient qu’à Dieu.
Une paille et une poutre !
Hyperbole destinée à faire sentir la folie qu’il y a à se préoccuper des fautes et des défauts d’autrui, tandis qu’on est soi-même aveuglé par de très grands péchés.
Là est l’hypocrisie C’est précisément la poutre qui t’aveugle ; ôte-la premièrement, puis tu verras et tu pourras alors réellement, avec délicatesse et charité, ôter le brin de paille de l’œil de ton frère.
Le devoir de ne pas juger a ses limites, il n’exclut pas celui de discerner. Tel est le seul rapport admissible entre cette parole et celles qui précèdent. Plusieurs interprètes pensent qu’il n’en faut chercher aucun et prétendent que ce verset 6, très authentique d’ailleurs, a été intercalé ici par Matthieu. Cette supposition n’est point inadmissible, mais elle n’est nullement nécessaire.
Ce qui est saint, ou les choses saintes selon nos versions ordinaires, ce sont les vérités de la Parole de Dieu, les expériences produites dans l’âme par l’Évangile et que Jésus compare à des perles précieuses.
Il ne faut pas les présenter à des hommes si corrompus que Jésus peut les comparer à des animaux impurs. Ils ne pourraient que les profaner (fouler aux pieds) et elles ne feraient qu’exciter leur haine et leurs violentes persécutions.
Ici encore, il est inutile de rechercher la connexion avec ce qui précède et ce qui suit. Cet enseignement sur la prière peut très bien avoir fait partie du sermon sur la montagne, mais il est sûr que Luc (Luc 11.9), en lui assignant sa place à la suite d’une parabole sur l’efficacité de la prière en fait encore mieux ressortir la beauté et la force. Du reste, c’est là une de ces courtes et importantes sentences qui peuvent avoir reparu plus d’une fois dans les enseignements de Jésus.
Demander, chercher, heurter, trois degrés d’une progression dans la sainte action de la prière, quand Dieu ne l’exauce pas dès l’abord. Ces termes en marquent la persistance et l’intensité croissante. Comparer Philippiens 4.6.
Ce qui doit soutenir l’enfant de Dieu dans ses supplications toujours plus ardentes, c’est d’abord la triple promesse que Jésus ajoute ici à son exhortation et ensuite la pensée qu’il s’adresse à son Père (verset 11 ; comparez Luc 11.9-10, note).
Jésus pour nous convaincre de l’efficacité de la prière, en fonde l’assurance sur l’amour d’un père pour son enfant.
Un père ne donnera pas à son enfant une pierre inutile ou un serpent dangereux, ce qui serait une cruelle ironie, un acte contre nature.
Combien moins votre Père ! Double contraste : il est amour et vous êtes mauvais, même dans vos affections naturelles, toujours entachées d’égoïsme, vous pouvez faire du mal sans le vouloir à ceux que vous aimez, lui ne donne que des biens, ou de bonnes choses (comparer Luc 11.12-13, note).
Sommaire de la loi
faire aux autres ce que nous attendons d’eux (12).
Difficulté d’entrer dans la vie
la porte est étroite, le chemin resserré, tandis que la porte large et le chemin spacieux mènent à la perdition (13-14).
Faux prophètes et fausses apparences
Tenez-vous en garde contre les faux prophètes, ces loups déguisés en brebis. Vous les reconnaîtrez à leur fruit, car tel arbre tel fruit. Tous ceux qui me disent : Seigneur ! N’appartiennent pas au royaume des cieux, mais ceux qui font la volonté de mon Père. Au jugement dernier plusieurs se prévaudront des discours prononcés et des actes accomplis en mon nom et je leur dirai : Je ne vous ai jamais connus, vous qui faites l’iniquité (18-23).
Exhortation finale sous forme de parabole
Celui qui met ces paroles en pratique est semblable à l’homme prudent qui a bâti sa maison sur le roc ; celui qui ne les met pas en
pratique est semblable à l’insensé qui bâtit sur le sable (24-27).
Impression produite
Les foules étaient dans l’étonnement, car elles sentaient l’autorité de cet enseignement si différent de celui des scribes (28-29).
Donc : à quoi faut-il rapporter cette particule conclusive ? Les uns répondent : au verset 11 et alors l’exhortation qui suit ici signifierait : Imitez donc envers les hommes la bonté de Dieu. D’autres voient dans cette particule et dans l’exhortation un bref résumé de tout ce que Jésus a dit sur les devoirs envers le prochain depuis Matthieu 5.17 et ils appuient leur opinion sur ce motif indiqué : car c’est là la loi et les prophètes, cette loi que Jésus a si longuement interprétée dans toute sa spiritualité. Elle est accomplie en effet dans ce devoir de faire aux autres, par amour, tout le bien que nous aimerions qu’ils nous fissent.
Seulement, il ne faut pas oublier que le grand commandement de l’amour du prochain a sa source dans l’amour pour Dieu et que celui-ci, à son tour, n’est inspiré au cœur de l’homme que par l’amour de Jésus. Luc Luc 6.31 place aussi cette sentence dans le sermon sur la montagne, mais dans un ordre d’idées différent.
Pour ce qui concerne la critique du texte, il faut remarquer :
Entrez, dit Jésus ; où ? évidemment dans le royaume de Dieu. Mais quel contraste ! Il y a une porte large, un chemin spacieux, facile suivi par la multitude, où chacun peut entrer et marcher avec ses convoitises et ses péchés, mais qui conduit à la perdition, c’est-à-dire à la mort, à la destruction (Philippiens 3.19 ; Hébreux 10.39 ; 1 Timothée 6.9).
Et il y a une porte étroite, très étroite, où l’on ne peut entrer qu’en devenant petit, que par la repentance et le renoncement. Elle introduit dans un chemin resserré, difficile, image des fatigues et des souffrances morales de la vie chrétienne ; mais il conduit à la vie !
Plusieurs interprètes, surtout parmi les mystiques, ont interverti l’ordre de cette belle image, se représentant le chemin (la vie chrétienne ici bas) avant la porte, dont ils font l’entrée du ciel à l’heure de la mort. Mais Jésus place la porte avant le chemin c’est dès ici-bas qu’il faut entrer dans son royaume par la conversion et il faut persévérer jusqu’à la fin par une sanctification constante.
Pour marcher sûrement dans le chemin de la vérité (versets 13 et 14), il faut se garder des séductions de l’erreur.
Qui étaient, dans la pensée de Jésus, les faux prophètes ? C’étaient, en première ligne, les docteurs de la loi, les pharisiens, les chefs des prêtres, qui, semblables à leurs devanciers (Jérémie 28), entraînaient le peuple à sa ruine (comparer Luc 6.26). Mais le Seigneur voyait plus loin encore que le moment présent ; il savait que dans son Église aussi se lèveraient de faux docteurs prétendant parler au nom de Dieu. Les versets de Matthieu 7.21-23 et surtout Matthieu 24.11-24 montrent avec évidence que Jésus pensait à ce péril futur.
En vêtements de brebis, avec l’apparence de la douceur, de l’innocence, de la vérité, mais au dedans, considérés du dedans (grec), selon leur vraie nature, ils sont des loups ravissants ou rapaces, qui enlèvent et dévorent les brebis.
L’erreur n’est pas toujours facile à discerner d’avec la vérité. Jésus donne donc, dans ces versets (versets 16-20), une marque à laquelle on peut reconnaître les faux prophètes : leurs fruits. Il ne faut pas entendre par là, avec Calvin et d’autres, uniquement la doctrine, puisque c’est là précisément ce qu’il s’agit de reconnaître.
Les fruits ce sont, d’une part, les conséquences pratiques des doctrines annoncées, conséquences qui ne tardent pas à se manifester dans les églises ; et d’autre part la vie, l’esprit de ceux qui les annoncent. Non que les faux docteurs soient nécessairement des hommes impies ou immoraux et les vrais docteurs des saints, mais le discernement spirituel ne se trompe guère sur les caractères essentiels de la vie chrétienne.
Les épines ne produisent pas des raisins, ni les chardons des figues. C’est ainsi que tout arbre, bon ou mauvais, se reconnaît à ses fruits. Et ce principe s’applique aussi bien à ceux qui professent la vérité qu’aux défenseurs de l’erreur.
La bonté de l’arbre même, c’est la vérité et la lumière interne, la bonté des fruits, c’est la sainteté de la vie. Si les fruits étaient la doctrine, aucun orthodoxe ne pourrait être damné.
Lévitique 5.19, qui prononce la sentence des faux docteurs, n’appartient pas à l’ensemble de la pensée. C’est une parole de Jean-Baptiste (Matthieu 3.10), que Jésus pouvait avoir adoptée et que Matthieu reproduit ici.
Quand Jésus prend pour exemple les épines et les chardons :
cet exemple est tout naturel et se présente de lui-même en Palestine. Partout où il n’y a pas de culture, l’épine et le chardon abondent.
Jésus rend ici (versets 21-23), sans image, la pensée des versets précédents. Ce qui prouve qu’il s’agit bien des mêmes faux prophètes, confessant le Seigneur Jésus en paroles, c’est qu’ils ont prophétisé (enseigné, prêché) en son nom (verset 22) et qu’il les jugera par leurs fruits (verset 23).
Le titre de Seigneur était celui que les disciples donnaient à Jésus et qu’il approuvait Jean 13.13 ; il devint aussi dans l’Église une confession de sa grandeur divine 1 Corinthiens 12.3 ; Philippiens 2.11 et il avait aux yeux des chrétiens une signification d’autant plus importable que ce nom est, dans la version grecque : des Septante, qu’ils lisaient, la traduction constante de celui de Jéhovah. Or, prononcer des lèvres ce nom : saint, le donner à Jésus sans faire la volonté de son Père, ce culte formaliste n’ouvrira à personne l’accès au royaume des cieux.
Au jour du jugement éternel, souvent ainsi désigné dans l’Écriture comme le jour décisif. 2 Thessaloniciens 1.7-10 ; 2 Timothée 1.18 ; 2 Timothée 4.8
Prophétiser, parler au nom du Seigneur comme prophète ou envoyé de Dieu (comparez 1 Corinthiens 12.10 ; 1 Corinthiens 14.3) ; il s’agit ici du don de prophétie tel qu’il se manifesta plus tard dans l’Église chrétienne.
Chasser des démons, guérir des démoniaques malades. Faire des miracles (grec actes de puissance), divers actes que peut seule produire une force surnaturelle. Il est donc possible que ces actes soient effectués par des hommes qui n’ont point éprouvé la puissance morale et régénératrice de l’Esprit de Dieu. C’est ce que suppose l’apôtre Paul (1 Corinthiens 13.2 ; 2 Thessaloniciens 2.9) et que Jésus déclare positivement ailleurs (Matthieu 24.24).
Et il faut remarquer ce mot trois fois répété : en ton nom (grec par ton nom, en l’employant comme un moyen), ce nom de Seigneur, que ces hommes invoquaient pour accomplir ces actes de puissance. Cet avertissement s’applique encore à l’Église de nos jours.
Grec : Et alors je leur confesserai. Quand ? Voir le verset 22. Avec quelle majesté le Seigneur se pose comme juge du monde, dès les premiers temps de son ministère (comparer verset 24 note) ! Le fait-il moins clairement que dans saint Jean (Jean 5.22) ? Nous dira-t-on encore qu’il ne révèle pas sa divinité dans les synoptiques, ou qu’il n’est arrivé que fort tard…la conscience de sa dignité suprême ?
Je ne vous ai jamais connus doit s’entendre d’une connaissance fondée sur une communion vivante avec lui (Jean 10.14 ; 1 Corinthiens 8.3 ; 1 Corinthiens 13.12 ; Galates 4.9).
Il faut remarquer que la cause de cette réjection est l’iniquité de tels hommes.
Dans cette admirable parabole Jésus donne la conclusion (donc verset 24) et de ce qui précède immédiatement (versets 21-23) et de tout le discours.
La comparaison si saisissante, avec sa répétition impressive des mêmes scènes de danger, avec ses énergiques contrastes : prudent, insensé, le roc, le sable point tombée, tombée, se comprend d’elle-même.
L’exégèse n’a pas à rechercher le sens spirituel des détails, à se demander : qu’est-ce que le roc ? (dans lequel on a vu tour à tour Christ, les commandements de Dieu, la foi, la conscience par opposition à l’intelligence) ? Ou qu’est-ce que le sable ? (interprété comme signifiant les opinions humaines, la propre justice, etc.).
Jésus lui-même exprime clairement sa pensée par ces mots : pratiquer ou ne pas pratiquer ses paroles (grec les faire ou ne pas les faire). Dans le premier cas, ses paroles deviennent elles-mêmes le roc ; dans le dernier, il ne reste que le sable mouvant. Quant aux éléments déchaînés contre la maison, on y a vu toutes les épreuves, tous les dangers qui menacent la vie spirituelle et morale de l’âme, et cela, est évident. Enfin la maison qui reste ferme représente non seulement le salut mais la victoire, le triomphe, tandis que sa chute, qui est si grande, c’est la ruine définitive, la perdition (v 13).
Il faut remarquer encore au point de vue critique qu’au verset 24, le texte reçu, avec C, les majuscules plus récents et une partie des versions, porte : je le comparerai, au lieu du passif : sera comparé.
Quelque leçon qu’on adopte, à quoi faut-il rapporter le futur ? Les uns entendent : « Je le comparerai en ce moment même, dans ce discours » ; d’autres retrouvent ici la pensée que vient d’exprimer Jésus (verset 22), en ce jour-là, au jour du jugement éternel.
Ce n’est qu’alors, en effet, que sera révélé qui avait été fondé (plus-que-parfait) sur le roc ou sur le sable, quel édifice subsiste, lequel tombe.
L’étonnement des foules était produit par l’autorité avec laquelle Jésus parlait. Cette autorité résultait, d’une part, du sentiment de sa mission divine, qui animait sa parole et d’autre part, du pouvoir de la vérité, mise en contact immédiat avec les âmes. Ni cette autorité ni ce pouvoir (deux sens du mot grec) n’étaient dans l’enseignement de leurs scribes. Ce pronom, omis par le texte reçu, exprime un mépris trop bien mérité par la manière dont ces savants du temps de Jésus expliquaient et enseignaient les saintes Écritures (voir sur la vocation et le caractère de ces scribes, dont le nom revient si souvent dans les évangiles, Matthieu 2.4, note et Matthieu 23.2, note).