Verset à verset Double colonne
La vraie piété dans ses manifestations extérieures (6.11-18)
La vraie piété dans son essence intime : détachement, confiance au Père céleste (19-34)
Défense de juger (7.1-6)
Encouragement à prier (7-11)
Le texte reçu porte votre aumône, au lieu de votre justice. Codex Sinaiticus, B, D, l’Itala ont ce dernier terme, aujourd’hui généralement admis. En effet, il ne s’agit point encore de l’aumône, qui ne parait qu’au verset 2, comme l’une des manifestations de la vraie justice ; puis suivent, en ce même sens, la prière (verset 5) et le jeûne (verset 16).
La justice du royaume de Dieu, ressortant de la vraie interprétation de la loi, c’est le sujet général du sermon sur la montagne (Matthieu 5.6-10 ; Matthieu 6.33) ; ici ce terme désigne les actes qui constituent la vraie piété, le culte que Dieu réclame de ceux qui prétendent le servir. Jésus va en relever les manifestations diverses, afin d’opposer la vérité aux fausses pratiques des pharisiens.
Avant tout, aucun des exercices de cette piété ne doit être fait devant les hommes dans le but d’être vu par eux et d’attirer ainsi leur admiration et leurs louanges (verset 2). Autrement point de récompense auprès de Dieu (voir sur ce terme de récompense Matthieu 5.12, note ; Matthieu 5.46 ; Matthieu 6.2 ; Matthieu 6.5 ; Matthieu 6.16) !
Faire l’aumône, c’est exercer la miséricorde, telle est la signification étymologique du mot grec d’où dérive notre mot aumône. Ce sens indique déjà le motif intérieur d’où doit procéder la bienfaisance.
L’exercer en sonnant de la trompette devant soi, c’est-à-dire avec ostentation, c’est l’affaire des hypocrites.
Quelques interprètes pensent que chez les Juifs les riches faisaient réellement sonner de la trompette en certains jours pour rassembler les indigents. Il n’est pas nécessaire de recourir a cet usage, qui d’ailleurs n’est point prouvé, pour comprendre la métaphore qu’emploie le Sauveur. Ensuite, faire l’aumône dans les synagogues et dans les rues, n’est pas un mal en soi, mais ce qui en fait un mal, c’est ce but : être glorifié des hommes. C’est là la récompense que cherchent les hypocrites, ils l’ont déjà (le verbe grec composé signifie qu’ils la tiennent déjà, mise à part) et n’auront plus rien à réclamer (Matthieu 6.16 ; Mattheiu 5.12, note).
Toutes les fois qu’on vous loue, craignez cette parole du Sauveur : En vérité je vous le dis, vous avez reçu votre récompense. Parole si importante que Jésus-Christ la répète à chaque action qu’il marque en particulier dans ce chapitre.
Expression proverbiale qui symbolise bien la disposition recommandée : que les bonnes œuvres restent ignorées, inconnues, si possible, même de celui qui les fait. Et si elles sont connues malgré tout, peu importe pourvu que leur but unique ait été de glorifier, non pas l’homme, mais Dieu. Ainsi se concilie une apparente contradiction entre ce verset et Matthieu 5.16.
Le texte reçu ajoute : « te le rendra lui-même » (D et quelques majuscules), publiquement (les majuscules plus récents).
Si ces mots étaient authentiques, ils marqueraient un double contraste : d’abord, votre Père lui-même, par opposition aux hommes (verset 2) ; puis, publiquement, au dernier Jour, à la lumière du jugement éternel, par opposition à dans le secret. Mais la pensée reste la même sans ces deux mots trop peu autorisés pour être admis. Comparer verset 6 et 18, où le texte reçu conserve aussi le mot publiquement.
On trouve dans saint Augustin cette remarque :
Plusieurs manuscrits latins portent : te le rendra publiquement ; mais comme nous ne trouvons pas ce mot dans les manuscrits grecs les plus anciens, nous n’avons pas pensé qu’il fallût s’en éloigner.
La critique moderne a confirmé ce jugement.
La parole de Jésus implique que nous recevrons une rétribution pour les aumônes que nous aurons faites, il ne faut cependant attacher à celles-ci aucune idée de mérite et de propre justice (Matthieu 6.1-2 ; Matthieu 5.12). Tout ce qui se fait par amour pour Dieu a sa récompense en Dieu même.
Prier en se tenant debout, même dans les synagogues ou dans le temple, selon l’usage des Juifs, les regards tournés, vers le lieu très saint 1 Rois 8.22 ce n’est pas précisément là ce que blâme Jésus, mais bien encore ce mobile hypocrite, être vu des hommes.
Cependant le Sauveur ne parait pas approuver ce maintien dans la prière, il le marque ailleurs Luc 18.11 comme un trait de caractère du pharisien. Lui-même se prosternait devant Dieu (Matthieu 26.39).
Quant à prier debout dans les rues, selon un usage qui existe encore en Orient, lorsque sonne l’heure de la prière, il est probable qu’il le réprouvait absolument.
Le texte reçu, avec D et les majuscules, porte : « quand tu pries, ne sois pas ; » le pluriel est plus autorisé (Codex Sinaiticus, B, Itala, etc.).
Comparer verset 4, note.
Le mot que nous rendons par chambre indique tout local clos dans l’intérieur de la maison, par opposition aux synagogues et aux rues (verset 5).
La prière particulière doit avoir lieu entre l’âme et Dieu seul. Par sa toute-présence il est et il voit dans le secret.
Te le rendra : cette expression, quand il s’agit non d’une bonne œuvre, mais de la prière, montre clairement ce que le Sauveur entend, dans les versets qui précèdent, par ce mot de récompense qu’il ne craint pourtant pas d’employer (versets 1, 2 et 4 notes).
Le mot que nous traduisons par user de vaines redites (grec battologie, qui a passé dans le patois d’un canton suisse, battoiller, bavarder) signifie proprement bredouiller, le verbe grec est formé par onomatopée. Le même défaut est encore appelé polylogie (beaucoup de paroles).
On sait jusqu’à quel point ce trait du paganisme a reparu dans une grande partie de l’Église chrétienne ! Du reste Jésus n’entend point fixer la durée de la prière comparez Philippiens 4.6
Augustin commente ainsi ces paroles :
Il n’y a pas dans l’oraison : beaucoup de mots, mais beaucoup de prières, si le cœur y persévère avec ferveur.
On a dit aussi avec justesse : « Prier Dieu, ce n’est pas le haranguer »
La toute-science de Dieu, fondement de notre confiance en lui et de la prière, suffit pour prévenir les vaines redites, mais elle doit aussi nous encourager à lui ouvrir notre cœur et à lui exposer tous nos besoins qu’il connaît.
Vous donc, par opposition aux païens (verset 7), priez ainsi, par opposition aux vaines redites. Mais ce n’est pas seulement la brièveté de la prière que Jésus va enseigner, c’est surtout l’esprit dans lequel il faut prier, les grâces qu’il faut demander et qui répondent aux plus profonds besoins de toute âme chrétienne.
Il ne veut donc pas donner une formule de prière à laquelle ses disciples doivent se borner, mais dès qu’il condescend à leur en retracer un si admirable modèle, n’y aurait-il pas de leur part autant d’orgueil que d’ingratitude à l’exclure de leurs dévotions ? On nous dit que les apôtres ne s’en servaient pas dans leurs prières : qu’en savons-nous ? Et qu’est-ce que cela prouverait ? Quand le Maître a parlé, attendrons-nous que les disciples confirment sa parole ? Cette prière est si simple à la fois et si profonde dans les pensées si humble et si sublime dans son esprit si riche dans sa brièveté, que tout ce que nous pouvons demander à Dieu pour nous-mêmes et pour l’Église s’y trouve compris. Les trois premières demandes concernent tous les rapports de Dieu à l’homme, les trois dernières toutes les relations essentielles de l’homme pécheur à Dieu.
Enfin ces requêtes répondent à la fois aux besoins de chaque âme individuelle et aux espérances des enfants de Dieu, réunis en Église dans une sainte et intime communion. Luc (Luc 11.1 et suivants) a donné l’oraison dominicale sous une forme incomplète et en lui attribuant une tout autre place. Au premier abord, il semble que l’occasion indiquée par cet évangéliste, c’est-à-dire la demande d’un disciple : « Enseigne-nous à prier », est historiquement plus naturelle que celle du sermon sur la montagne, que Matthieu lui assigne. Telle est l’opinion de plusieurs interprètes, qui pensent que notre évangéliste aurait librement introduit ici ce formulaire, parce qu’il convient très bien à l’instruction que Jésus voulait donner sur l’esprit dans lequel on doit prier (voir sur cette question Luc 11.2, note). Quoi qu’il en soit, c’est à Matthieu seul que nous devons de posséder en son entier cette admirable prière.
Père, tel est le premier mot de cette prière (grec Père de nous ou notre Père). Cette invocation renferme déjà tout ce qui peut inspirer à l’âme qui prie la confiance et l’amour. Ce nom de Père donné à Dieu est à la fois la révélation et l’œuvre de Jésus-Christ. Rarement il se rencontre dans l’Ancien Testament Ésaïe 63.16 ; comparez Psaumes 103.13, jamais dans la plénitude de sa signification chrétienne. Et même il nous faut être réconciliés avec Dieu par Christ et avoir reçu l’Esprit d’adoption, pour être rendus capables de prononcer ce nom en vérité. Romains 8.15 ; Galates 4.6
Prier ainsi, c’est la gloire des fidèles du Nouveau Testament. Quiconque dit à Dieu Père peut tout demander.
Il faut remarquer encore que Jésus ne nous fait pas dire, en nous isolant chacun dans son égoïste individualité : mon Père, mais notre Père qui es aux cieux ! Quiconque est né de Dieu sur la terre est membre de cette immense famille des rachetés de Christ, avec laquelle nous sommes unis ; un lien nouveau d’une parenté impérissable embrasse les enfants de Dieu, depuis le plus obscur chrétien dont toute la science religieuse consiste à savoir prononcer avec amour le nom de son Père céleste, jusqu’aux esprits des justes qui déjà entourent le trône de Dieu.
Qui es dans les cieux, n’exprime pas seulement la grandeur et la puissance de Dieu, mais, comme le montre le verset 10, l’idée que Dieu, bien que présent partout, réside et manifeste spécialement sa présence et sa gloire dans un monde supérieur, que les Écritures nomment le ciel ou les cieux. Ésaïe 66.1 ; Psaumes 2.4 ; Psaumes 102.20 ; Psaumes 115.3 ; Job 22.12 et suivants, Actes 7.55-56 ; 1 Timothée 6.16
Le Fils de Dieu est venu de là et y est retourné dans sa gloire ; c’est du ciel que vient l’Esprit divin et sur lui et sur les siens. Matthieu 3.16 Actes 2.1 et suivants C’est de là que la voix de Dieu retentit Matthieu 3.17 ; Jean 12.28 et que les anges de Dieu descendent. Jean 1.51 Le chrétien qui, en priant, élève ses yeux et son cœur vers le ciel, sait qu’il aspire vers sa patrie. Ni le panthéisme ni l’astronomie ne lui ôteront ce privilège.
L’oraison dominicale se divise en deux séries de trois demandes. Les trois premières se rapportent à Dieu et à son règne, les trois dernières à l’homme et à ses besoins. En donnant ainsi la priorité aux intérêts divins, contrairement à l’instinct de son cœur qui le pousse à penser à soi d’abord, le chrétien renonce à lui-même, mais c’est pour se donner tout entier à Dieu, en qui il se retrouve, non plus seul, mais uni à ses frères.
L’esprit fraternel devient ainsi dans la seconde partie de la prière le complément de l’esprit filial qui avait dicté la première ; l’intercession fraternelle se confond avec la supplication personnelle. L’oraison dominicale n’est donc autre chose que le sommaire de la loi mis en action sous la forme de la prière, le sommaire réalisé d’abord dans l’intimité du cœur, pour passer de là dans la vie entière.
Le nom de Dieu, c’est l’expression de son essence, de son être, tel qu’il s’est révélé à nous dans sa Parole. Jean 17.6 ; Romains 9.17
Sanctifier ce nom, c’est reconnaître Dieu, le confesser, le craindre, l’adorer comme saint ; c’est surtout l’avoir comme saint dans le cœur. 1 Pierre 3.15
Par cette prière, nous demandons à Dieu que tous les hommes arrivent à sanctifier son nom de cette manière.
La connaissance et l’adoration du saint nom de Dieu est le principe sur lequel s’établit son règne, sa domination sur les âmes (voir sur ce règne ou royaume de Dieu : Matthieu 3.2, note).
Ce règne spirituel est d’abord caché dans le cœur des croyants Luc 17.21 implanté en eux par la Parole et l’Esprit de Dieu ; mais il ne les laisse pas isolés, il les unit dans une sainte et vivante communauté. Demander à Dieu que ce règne vienne, c’est le supplier d’abord que ce règne grandisse en puissance là où il est, en sorte que rien ne se soustraie plus à sa domination absolue ; c’est ensuite prier pour que ce règne se propage, s’étende de proche en proche, d’âme à âme, de peuple à peuple, jusqu’à ce qu’il ait pénétré l’humanité tout entière, c’est enfin appeler de ses vœux le triomphe final de ce règne, le jour où celui qui en est le Sauveur et le Roi viendra le rassembler et l’élever à la perfection. Romains 8.21-23 ; Romains 2.13 ; 2 Pierre 3.12-13 ; Apocalypse 22.20
Là où Dieu règne, sa volonté est faite, mais jusqu’à la venue parfaite de son règne dans la gloire, il y a pour ses enfants un long exercice d’obéissance par lequel ils doivent faire de continuels progrès : obéissance active pour accomplir cette volonté de Dieu dans les devoirs les plus difficiles ; obéissance passive pour accepter cette volonté, alors même qu’elle brise la nôtre et nous impose les plus douloureux sacrifices.
La prière s’étend ; ainsi jusqu’à l’état idéal où cette volonté sera faite sur la terre renouvelée comme elle est faite au ciel par les anges Psaumes 103.20-22 et par les justes parvenus à la perfection.
Le ciel est la norme de la terre.
Avant de demander à Dieu les grâces spirituelles dont nous avons un si profond besoin, le Sauveur nous permet de nous décharger sur lui de nos soucis terrestres. 1 Pierre 5.7.
C’est ainsi qu’il faut entendre cette demande, sans la spiritualiser arbitrairement en lui donnant pour objet « le pain de vie ». Pourquoi méconnaître cette miséricorde divine qui nous autorise à nous attendre à elle pour toutes choses ? Dans ce sens qui seul convient à l’ensemble de cette requête, chaque mot porte son enseignement : Donne, car tout vient de toi, est un don de ta libéralité ; le riche doit s’en souvenir aussi bien que l’indigent ;
nous, dans la communauté de la charité, de sorte que tous sentent que Dieu veut exaucer la prière du pauvre par son frère à qui il a déjà donné ;
aujourd’hui, non des provisions pour un lointain avenir ;
notre pain, la nourriture et ce qui est nécessaire à cette vie terrestre, non la richesse et l’opulence.
Reste ce mot que nous traduisons très imparfaitement, d’après l’ancienne version latine, par quotidien, ou de chaque jour. Il est difficile d’en bien déterminer le sens, parce que c’est, dans l’original, un mot composé qu’on peut expliquer par des étymologies diverses et parce que, en dehors de cette prière, comparer Luc 11.3 il ne se retrouve ni dans le Nouveau Testament ni dans la littérature grecque.
Il n’est pourtant que deux significations admissibles. On obtient l’une en faisant dériver cette expression d’un mot qui signifie : le jour qui vient : « Donne-nous aujourd’hui le pain du lendemain », ce qui est presque une contradiction dans les termes et peu en harmonie avec le verset 34 ; l’autre en cherchant la racine de notre vocable dans un mot qui signifie l’être, la substance ou subsistance :
le pain de notre subsistance, ! Ce qui nous est nécessaire et nous suffit.
Ainsi traduit Rilliet, d’accord avec presque tous les Pères de l’Église grecque et la plupart des interprètes modernes.
On retrouve donc ici à peu près la belle pensée de la prière d’Agur :
Ne me donne ni indigence ni richesse, mais nourris-moi du pain de mon ordinaire.
Nos péchés sont nos dettes devant Dieu, dettes énormes que nul ne peut payer Matthieu 18.24-25 ; Luc 7.41-42, qui doivent nous être remises gratuitement. Cette prière même, enseignée par le Sauveur, est une déclaration touchante que Dieu, dans sa miséricorde, pardonne à toute âme repentante qui l’implore. Son pardon est même beaucoup plus que la remise d’une dette à un débiteur, car en ôtant la peine du péché, il nous met en possession de tout son amour et de la vie éternelle. Et pourtant, le besoin du pardon se renouvelle sans cesse dans une conscience délicate, parce que journellement nous contractons quelque dette qui doit nous être remise.
Quiconque souffre ainsi de ses péchés et en demande le pardon, est tout disposé à pardonner aux hommes qui l’auraient offensé ; ou plutôt, au moment de sa repentance et de sa prière, il a déjà pardonné au fond de son cœur. C’est ce qu’exprime le texte authentique : comme nous avons remis (parfait indéfini qui exprime le fait accompli et la permanence de l’action). Le texte reçu a le présent : nous remettons.
Cette leçon est empruntée à Luc. Le mot comme exprime, non la mesure de notre pardon, qui ne peut jamais se comparer au pardon de Dieu, mais la présence en nous de la disposition qui correspond au pardon divin et permet à celui-ci de se manifester. Luc dit : « car nous-mêmes aussi nous remettons », ce qui exprime la même pensée.
Après avoir reçu le pardon de son péché, le chrétien ne craint rien autant que d’y retomber. De là cette demande. Quel en est l’objet ? Non que Dieu ne nous tente point, « il ne tente personne » intérieurement Jacques 1.13 ; non seulement qu’il « ne nous laisse pas tomber dans la tentation » quand déjà nous y sommes ; mais qu’il ne nous y amène pas, c’est-à-dire que, puisque tous les événements de notre vie sont dans sa main, il ne permette pas que nous soyons placés dans des situations extérieures telles que nous y trouverions la tentation et des occasions de chute (Matthieu 26.41). Mais comme de telles situations, de telles épreuves sont presque inévitables en ce monde, cette prière s’appuie sur des promesses divines. 1 Corinthiens 10.13.
Être préservé de la tentation, n’épuise pas le besoin profond de l’âme dans son état d’épreuve ; son ardente aspiration est d’être délivrée du mal. On peut traduire ainsi, ou bien du malin, du démon de qui procèdent les tentations. Le mot grec permettant l’un et l’autre sens, les opinions des interprètes sont très divisées.
Avec Luther et la version anglaise, nous préférons l’idée du mal comme plus générale, répondant mieux à tous les besoins et s’appliquant au tentateur lui-même. Être délivré du mal sous toutes ses formes, mal physique, mal moral ; du péché et de toutes ses conséquences ; des tentations et de celui qui en est l’instigateur ; de la vanité sous laquelle soupire la créature : telle est la prière d’un exilé, d’un captif, d’un affligé qui implore son libérateur.
D’autres interprètes, tout en traduisant du mal, limitent le sens de ce terme au mal moral, au péché. Les catholiques et les luthériens font de ce dernier soupir de l’oraison dominicale une prière distincte de la précédente et obtiennent sept demandes, le nombre sacré des Écritures.
Le texte reçu ajoute cette belle doxologie : « Car à toi est le règne et la puissance et la gloire pour les siècles. Amen ». Quoique très ancienne, elle n’appartient certainement pas au texte primitif, selon le témoignage des plus anciens manuscrits, des versions et des Pères. Tous les critiques modernes l’excluent du texte. Dans les manuscrits où elle se trouve, elle apparaît avec de nombreuses variantes. Son introduction dans le texte est due à des copies qui servaient au culte public, où elle était bien à sa place et où l’on peut la conserver, car elle ne renferme que des expressions bibliques, propres à inspirer une grande confiance en Celui qui exauce la prière.
Le texte reçu, avec B et la plupart des majuscules, ajoute leurs fautes après « aux hommes ». Ces mots sont omis dans Codex Sinaiticus, D. et des versions. Ces paroles sont une sérieuse application du verset 12 (car). Le pardon que nous accordons aux autres est-il donc la condition du pardon que nous demandons à Dieu ? Il en est plutôt l’effet ; mais là où cet effet ne se trouverait pas, nous pouvons conclure que la cause n’existe pas non plus (comparer Matthieu 18.23-35).
Après la prière, le jeûne, autre manifestation de la piété. Ici encore la justice pharisaïque (verset l) était mêlée de cette hypocrisie qui veut paraître.
Cet air triste, ce visage défait n’a pas d’autre but. Il y a en grec un contraste de mots qui rend la pensée plus frappante : « Ils font disparaître leur visage (sous la cendre, etc.), afin qu’ils paraissent aux hommes comme jeûnant ». Le jeûne sérieux, comme moyen de discipline morale, est tout autre chose. Psaumes 35.13 ; Matthieu 17.21 ; Actes 10.30 ; Actes 13.2-3 ; 2 Corinthiens 6.5.
Comparer Matthieu 5.12, note ; versets 1-5 notes.
C’est ce qu’on faisait alors pour paraître en public ou à un banquet. Ainsi, en jeûnant, reste dans ton état ordinaire.
Comparer verset 4, note ; verset 6.
Dans la première partie de ce chapitre (versets 1-18), la piété était envisagée dans ses manifestations extérieures, qui sont les diverses formes du culte rendu à Dieu : l’aumône, la prière et le jeûne. La seconde partie du chapitre (versets 19-34) nous présente cette piété, ce culte, dans son essence intime, qui est la confiance en Dieu, l’absolue dépendance du Père, la recherche prédominante du royaume de Dieu et des trésors célestes, et, comme conséquence, le renoncement aux soucis terrestres. Jésus passe brusquement, sans transition apparente, de l’un des sujets à l’autre, mais la liaison profonde des pensées ne saurait être méconnue.
Grec : Ne thésaurisez pas des trésors ; car d’abord ils sont périssables, et, ce qui est pire, vous y mettriez votre cœur (verset 21).
La teigne et la rouille (ou la vermoulure) détruisent (grec font disparaître) les objets auxquels elles s’attachent ; toutes les choses visibles sont destinées à périr.
Les voleurs percent et dérobent, c’est-à-dire dérobent avec effraction (Matthieu 24.43) ; mille autres causes peuvent faire disparaître les richesses de la terre.
Mais il y a des richesses qui sont impérissables ; celles de l’âme amassées dans le ciel, la vie éternelle et ses saintes joies (Matthieu 19.21).
Ton cœur (ici le Seigneur individualise, ce que méconnaît le pluriel du texte reçu) sera donc tout entier, ou aux trésors de la terre qui vont périr, ou aux biens du ciel qui sont permanents et qui seuls peuvent te rendre heureux. Il faut choisir. Comparer Philippiens 3.18-20 ; Colossiens 3.1-4 ; 1 Jean 2.15-17.
Cette comparaison profonde est reproduite ailleurs Luc 11.34-36, sous une forme un peu différente. A-t-elle un rapport saisissable avec ce qui précède et ce qui suit ? Évidemment ; il suffit, pour le voir, de comparer les versets 19-21 avec le verset 24. Pour choisir entre les biens de la terre et ceux du ciel, il faut avoir une vue claire et nette des choses.
Pour le corps, il n’y a qu’un organe de cette vue, c’est l’œil qui en est la lampe.
Si cet œil est sain (grec simple, clair, pur et ne regardant pas de deux côtés à la fois), tout ton corps, qui est en lui-même une masse obscure, sera éclairé (grec lumineux).
Mais si ton œil est mauvais, malade, obscur (grec méchant, terme choisi à dessein), tout ton corps sera ténébreux.
Il y a de même en toi un organe qui reçoit la lumière d’en haut, comme l’œil reçoit celle du soleil : c’est le cœur (verset 21) qui, éclairé par la vérité, par le vrai amour doit faire son choix entre les trésors de la terre et ceux du ciel. Mais si, comme l’œil mauvais, cet organe est ténébreux, quelles ne seront pas tes ténèbres ! Il te reste peut-être une illusion trompeuse, celle de concilier les deux objets de ce choix. Mais cela est impossible (verset 24).
Mamona signifie en chaldéen et syriaque richesse, en langue punique, selon saint Augustin, le lucre.
Ce mot est ici personnifié et opposé à Dieu. Le contraste est absolu : aimer ou haïr, s’attacher ou mépriser. Vous ne pouvez servir l’un et l’autre. Seulement il faut laisser à ce mot servir (grec être esclave) son plein sens.
Avoir de l’argent et du bien n’est pas un péché, mais ne le laisse pas devenir ton maître ; qu’il te serve et que tu sois son maître
Cette partie du sermon sur la montagne (versets 25-34), qui est dirigée contre les soucis de la vie matérielle, est la conséquence nécessaire (c’est pourquoi) de l’incompatibilité qu’il y a entre le service de Dieu et celui de Mammon (verset 24). La recherche inquiète de notre subsistance comme la possession des richesses nous empêche d’être tout entiers à notre seul Maître légitime. Son service implique une confiance absolue aussi bien qu’un complet détachement. Cette idée se retrouve également dans Luc (Luc 12.16 et suivants verset 22 et suivants), bien qu’il ait assigné une autre place à ces paroles du Sauveur.
Être en souci ou s’inquiéter est la traduction d’un verbe grec qui signifie, par son étymologie, être partagé. Les inquiétudes qui tirent la pensée en sens contraire, sont l’effet d’un cœur partagé entre le ciel et la terre, troublé par le doute au jour de l’épreuve. Le remède à ce mal, c’est la confiance en Dieu que Jésus veut inspirer à ses disciples. C’est pour cela qu’il leur présente diverses considérations aussi élevées que puissantes.
Premier motif de confiance. Puisque la vie (grec l’âme comme principe de la vie, ainsi en) (Matthieu 25.10.39 ; Matthieu 16.25 ; Matthieu 2.20) est plus que la nourriture qui l’entretient ; le corps plus que le vêtement qui le couvre ; celui qui a donné et conserve le plus, ne donnera-t-il pas le moins ? Paul emploie un raisonnement pareil Romains 8.32, qui pourrait aussi s’appliquer ici.
Les soins admirables de Dieu dans la nature (versets 26-30) et ce Dieu est votre Père !
Les oiseaux du ciel, hébraïsme plein d’élégance. Dans leur vol léger et gracieux, les oiseaux paraissent nager dans l’azur du ciel.
Votre Père les nourrit : pensée tirée des Écritures. Psaumes 104.27 ; Psaumes 145.18.
L’homme vaut plus qu’eux, par sa raison, par son âme, par la faculté qu’il a de connaître Dieu, de se confier en lui.
L’inutilité, l’impuissance des inquiétudes, qui ne font au contraire qu’énerver les forces de l’âme. Nul ne peut, en s’inquiétant (grec), ajouter une coudée à son âge, une heure au temps de sa vie, objet de ses soucis.
Dieu en a déterminé la mesure (Psaumes 39.5), nul n’y peut rien ajouter.
Bien que le mot grec signifie aussi la taille, la stature, c’est à tort que la plupart des versions le rendent par un de ces termes. L’image devient alors monstrueuse et n’a plus aucun rapport avec le contexte qui traite de l’entretien de la vie (verset 26). Comment, s’il s’agissait d’un tel prodige, ajouter une coudée à sa taille, Jésus pourrait-il dire dans Luc 12.26 « Si donc vous ne pouvez faire la moindre chose » ?
Voir sur ces lis des champs le Voyage en Terre Sainte de M. Félix Bovet, 7e édition, page 382 et suivants.
Le voyageur vit avec admiration, sur le plateau de la montagne des Béatitudes (Matthieu 8.1, note), au pied de l’éminence d’où il suppose que le Seigneur parlait « un magnifique tapis de ces anémones écarlates… Ici encore sa parole sera une démonstration : Observez les lis des champs » ! Que de poésie et de vérité dans cette comparaison entre la magnificence de ces fleurs et « toute la gloire de Salomon ! »
La petite foi, ou plutôt le manque de cette foi qui n’est pas autre chose que la confiance du cœur en Dieu, telle est la cause de toutes les inquiétudes.
Les païens doivent rechercher ces choses, y mettre leur cœur ou être en souci quand elles leur manquent, parce qu’au lieu du Dieu vivant ils adorent de fausses divinités ou une froide et impitoyable fatalité.
Mais vous qui connaissez votre Père céleste ! Il sait vos besoins cela doit vous suffire pour dissiper vos inquiétudes.
Premièrement : que ce soit là avant tout votre souci, le but de vos efforts et quand vous aurez trouvé cette grande richesse, le royaume de Dieu (comparez Matthieu 3.2, note) et la justice de Dieu (Matthieu 5.6, note ; verset 1, note), alors votre Père céleste, qui voit que vous avez besoin de toutes ces autres choses vous les donnera par-dessus (grec elles vous seront ajoutées). Cette promesse ressemble au raisonnement du verset 25 : Celui qui donne de si grandes choses y ajoutera certainement les petites.
Encore ici, la justice est mise devant les yeux des disciples comme le but à atteindre. Les développements subséquents de l’œuvre du Seigneur et de ses révélations, leur montreront comment ils pourront y parvenir.
Conclusion de toute cette partie du discours : paroles puisées dans l’expérience de la vie. Et d’abord pour le lendemain.
On sait que toujours les inquiétudes se portent sur l’avenir. Or, le Seigneur aurait pu nous dire que cet avenir ne nous appartient pas, que nous ne le verrons peut-être jamais. Mais il dit autre chose. Non pas, selon nos versions ordinaires, que le lendemain prendra soin de ce qui le regarde, mais que le lendemain s’inquiétera de lui-même. C’est-à-dire (en conservant à ce verbe le même sens qu’aux versets précédents) que le lendemain aura, par la force des choses, dans cette pauvre vie, ses propres sujets d’inquiétudes.
Pourquoi veux-tu t’inquiéter au-delà d’aujourd’hui et prendre sur toi le mal de deux jours ? Contente-toi de celui que ce jour t’impose, demain t’apportera autre chose.
Cette interprétation est seule en harmonie avec cette dernière parole : au jour suffit sa peine, ou son mal, sa misère. Oui, ce mal de chaque jour suffit ; il est même souvent bien lourd pour notre faiblesse. Quelle compassion Jésus met dans ce conseil de ne pas y ajouter le mal du lendemain !