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Matthieu 5
Bible Annotée (interlinéaire)

Verset à verset  Double colonne 

Plan du commentaire biblique de Matthieu 5

  1. Jésus étant monté sur un plateau élevé de la montagne, s’assied, les foules étant rangées autour de lui et commence solennellement l’enseignement qui va suivre (1-2).
  2. Dans huit béatitudes, il proclame le bonheur et indique les qualités de ceux qui ont part au royaume des deux. Ce sont d’abord ceux qui aspirent aux biens spirituels de ce royaume : les pauvres en esprit, que leur humilité met en possession du royaume ; ceux qui pleurent et qui trouveront la consolation ; ceux qui sont doux et qui par leur douceur gagneront la terre ; ceux qui ont faim et soif de la justice et qui verront leur ardent désir satisfait. Ce sont ensuite ceux qui possèdent les dispositions et sont dans la condition des membres du royaume : les miséricordieux, qui obtiendront miséricorde ; ceux qui ont le cœur pur et qui verront Dieu ; ceux qui procurent la paix et seront appelés fils de Dieu ; ceux qui sont persécutés pour la justice et dont la récompense sera grande (3-12).
  3. La vocation des enfants du royaume est d’être le sel de la terre, qui ne doit jamais perdre sa saveur, la lumière du monde, qui ne doit jamais être cachée. Que cette lumière luise donc à la gloire de Dieu (13-16) !
1 Or, voyant les foules, il monta sur la montagne ; et s’étant assis, ses disciples s’approchèrent de lui ;

Préambule du Discours sur la Montagne, les Béatitudes (1-16)

Comparer Luc 6.20 et suivants Les foules sont celles que Matthieu a décrites Matthieu 4.25 et qui, attirées par les guérisons que Jésus opérait et par la puissance de sa parole, l’avaient suivi de toutes les contrées d’alentour, même de Jérusalem et de la Judée. Les guérisons et les actes miraculeux, dont elles avaient été témoins les avaient préparées à recevoir les paroles étonnantes qu’elles vont ouïr. Comment auraient-elles pu croire heureux ceux que l’expérience et le bon sens proclament malheureux, si elles n’avaient contemplé les merveilleuses délivrances que Jésus tenait en réserve pour eux (comparer Luc 4.17 et suivants) ?

La montagne, malgré l’article, ne désigne aucune sommité particulière, mais en général la hauteur, par opposition à la plaine. C’est ainsi que les habitants des vallées disent : aller à la montagne, sans indiquer par la un point spécial de la chaîne dont il s’agit. La tradition a été plus précise que les évangélistes ; elle place la montagne des Béatitudes non loin de la ville de Tibériade, située sur le bord du lac de ce nom. Derrière la montagne qui domine Tibériade est un large plateau, montant en pente douce du coté d’un rocher qui en forme le sommet. C’est sur ce rocher que Jésus aurait passe la nuit en prières et qu’au point du jour il aurait appelé ses disciples et choisi ses apôtres (Luc 6.12 et suivants).

Puis il serait descendu près de la foule qui l’attendait sur le plateau et c’est de la qu’il aurait enseigné le peuple. L’apparente contradiction qui existe entre le récit de Luc et celui de Matthieu se trouverait ainsi résolue.

Selon le premier, Jésus descendit et c’est dans une plaine qu’il aurait prononce son discours (Luc 6.17 note).

Selon Matthieu, il serait monté sur une montagne avec le peuple. Ceci s’explique, puisque Matthieu ne dit rien ici de la prière de Jésus et de l’élection des apôtres il ne rapporte que le fait général, la prédication aux troupes assemblées sur une montagne.

Luc, qui rapporte un détail de plus, nous montre le Seigneur montant d’abord au sommet, puis redescendant dans la plaine, c’est-à-dire sur le plateau (il dit même : dans un lieu en plaine, ce qui semble indiquer par une nuance qu’il ne s’agit pas d’une plaine proprement dite).

Au pied du rocher, au haut du plateau, se trouve précisément une petite plate-forme, une sorte de chaire naturelle, d’ou l’on peut aisément être vu et entendu d’une grande multitude. C’est la qu’aurait été assis le Seigneur… Je me demandai s’il était possible qu’il y eut au bord de ce lac et même dans toute la Palestine, une autre montagne à laquelle s’appliquassent aussi complètement les détails que nous pouvons recueillir à ce sujet dans saint Luc et saint Matthieu.
— Félix Bovet, Voyage en Terre Sainte, 7e édition, page 380 et suivants

Ses disciples, ceux d’entre eux qu’il venait d’appeler à l’apostolat et ceux qui déjà avaient entendu et goûté sa parole, l’entouraient comme toujours ; mais cela ne signifie point, comme on l’a prétendu, que son discours ne s’adressât qu’à eux, à l’exclusion de la multitude (comparer Matthieu 7.28).

Sans doute, ce discours, qui expose les principes spirituels et sublimes du royaume que Jésus venait fonder, ne pouvait être compris de tous, comme il ne peut être mis en pratique que par ceux qui sont animés de l’esprit de ce royaume ; mais le Sauveur parlait et enseignait en vue de l’avenir.

Sa parole est une révélation et quand son œuvre sera achevée, cette parole deviendra lumière et vie dans le cœur de ses rachetés.

2 et ouvrant sa bouche, il les enseignait en disant :

Ouvrant sa bouche, hébraïsme qui indique la solennité de l’action, la sainte liberté de la parole. Comparer Matthieu 13.35 ; 2 Corinthiens 6.11 ; Éphésiens 6.19

Là, l’évangéliste fait avec éclat une préface pour montrer comment Jésus s’apprête à la prédication : il monte sur une montagne il s’assied, il ouvre la bouche ; c’est pour faire sentir le sérieux de son action.
— Luther

On n’est donc pas fondé à voir dans les pages qui suivent non un discours de Jésus, mais une compilation de l’évangéliste, qui en aurait emprunté les éléments à diverses paroles du Seigneur, prononcées en d’autres occasions. Sans doute, la forme assez différente sous laquelle Luc a rapporté ce même discours, soit pour le choix, soit pour l’ordre des matériaux, montre assez que les évangélistes ont usé d’une sainte liberté selon le plan qu’ils s’étaient tracé et sous la direction de l’Esprit de vérité qui les animait.

Sans doute encore, il est un bon nombre des pensées de ce discours qui se retrouvent ailleurs dans les enseignements du Sauveur et avec des applications différentes. Mais ce sont tantôt des expressions proverbiales, des images, que Jésus pouvait certainement employer plus d’une fois (ainsi verset 13 ; comparez Marc 9.50 ; Marc 7.13 ; comparez Luc 13.24 ; Luc 6.22 ; comparez Luc 11.34 ; Luc 6.24, comparez Luc 16.13) tantôt de courts préceptes moraux, qui devaient naturellement reparaître aussi dans ses enseignements. Ainsi verset 25 ; comparez Luc 12.58 ; Luc 5.32 ; comparez Luc 16.18 ; Luc 6.19 ; Luc 12.33 Quant à là belle exhortation touchant les inquiétudes (Matthieu 6.25-34), que Luc a rapportée ailleurs (Luc 12.22-31), il serait difficile de dire dans lequel des deux récits elle se trouve le mieux à sa place.

Quoi qu’il en soit, la manière dont l’évangéliste introduit cette prédication et dont il en décrit l’effet (Matthieu 7.28), montre avec évidence qu’il rapporte un discours solennel et prolongé de son Maître. Et n’était-il pas dans la nature des choses que le Sauveur, tout en guérissant les malades, en consolant les affligés, saisit l’occasion d’exposer à ces foules qui le suivaient les grands et éternels principes moraux de son règne ? Il le fait, non dans les formes logiques de l’école, mais avec la liberté d’allure qui convient à une instruction improvisée, coulant de source, mais qui, dans son ensemble, ne manque pas d’une grandiose unité.

3 Heureux les pauvres en esprit, parce que le royaume des cieux est à eux.

Heureux !

Ainsi commence le Sauveur. C’est là une entrée belle, douce, pleine d’amour, dans sa doctrine et sa prédication. Il ne procède pas, comme Moïse ou un docteur de la loi, par des ordres, des menaces, des terreurs, mais de la manière la plus affectueuse, la plus propre à attirer les cœurs et par de gracieuses promesses.
— Luther

Toutefois, cet amour recouvre un profond sérieux, car ceux que Jésus déclare heureux sont bien misérables aux yeux du monde. Ils ne sont heureux qu’à cause de la promesse qui accompagne chacune de ces déclarations et qui la motive.

Les pauvres en esprit sont ceux qui se sentent pauvres dans leur vie intérieure, moralement et spirituellement pauvres et qui, par là même, soupirent après les vraies richesses de l’âme (L’esprit désigne, non le Saint-Esprit, mais la faculté par laquelle nous entrons en relation avec Dieu et réalisons la vie morale. Comparer Matthieu 26.41). L’inverse est décrit dans Apocalypse 3.17 (comparer 1 Corinthiens 4.8 et suivants).

Ce sentiment de pauvreté devant Dieu n’est pas encore la repentance, mais une humilité profonde, douloureuse, qui y conduit (comparer Ésaïe 57.15).

On peut interpréter aussi cette parole en ce sens qu’elle désignerait, non la pauvreté morale, mais la pauvreté temporelle réalisée en pensée, sinon de fait.

Les pauvres en esprit sont tous ceux qui ont l’esprit détaché des biens de la terre, comme dit Bossuet et il ajoute : Ô Seigneur ! Je vous donne tout : j’abandonne tout pour avoir part a ce royaume ! Je me dépouille de cœur et en esprit et quand il vous plaira de me dépouiller en effet, je m’y soumets (Méditations sur l’Évangile).

Ainsi comprise la première béatitude de Matthieu répond exactement a la première béatitude de Luc (Luc 6.20, note) et n’a pas un sens presque identique a celui de la quatrième béatitude : « Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice ».

Qu’il s’agisse de pauvreté spirituelle ou de pauvreté temporelle, d’humilité ou de détachement, ou de tous les deux a la fois, a une telle situation répond la promesse ou plutôt la déclaration positive et actuelle : parce qu’à eux est le royaume des cieux (Telle est la construction grecque, comme dans tous les versets qui suivent),. Ce royaume (voir sur ce mot Matthieu 3.2, note) ou tout est lumière, justice, paix, amour, leur est assuré par la « race divine avec toutes ses richesses ». Il ne leur est pas seulement promis pour l’avenir. Il leur appartient dès maintenant. Quel contraste avec leur pauvreté !

4 Heureux ceux qui pleurent, parce qu’ils seront consolés.

Ceux qui pleurent, ou qui sont dans le deuil, la tristesse. L’expression est très générale et ne s’applique pas exclusivement a ceux qui pleurent sur leurs péchés. Mais comme il y a en ces affligés le sentiment humiliant de leur pauvreté morale (verset 3, comparez Jacques 4.9), leur tristesse est « selon Dieu » et non « du monde » et produit « une repentance à salut ». 2 Corinthiens 7.10

Aussi seront-ils consolés, parce que cette tristesse les amène a la source du pardon, de la paix, de la vie. Ésaïe 61.2-3 ; Ésaïe 66.2

5 Heureux ceux qui sont doux, parce qu’ils hériteront la terre.

Paroles empruntées au Psaumes 37.1. Cette douceur, cet abandon à la volonté de Dieu, en présence des violences, de l’injustice et de la haine, est produit en eux par le sentiment humble et attristé de ce qui leur manque (V 3 et 4). Elle implique le renoncement aux avantages et aux joies de ce monde ; mais, par une magnifique compensation, ceux qui la pratiquent hériteront la terre. La terre de la promesse, Canaan, est prise dans son sens spirituel et signifie la patrie d’en haut, le royaume de Dieu, dont la possession est assurée à ceux qui sont doux. Tel est aussi le sens de cette image au Psaume 37 et ailleurs. Hébreux 4.1 ; Hébreux 11.13-16 Bien que cette promesse ne doive être réalisée dans sa plénitude qu’au dernier jour, elle s’accomplit dés ici-bas en ce sens que « toutes choses travaillent au bien de ceux qui aiment Dieu » (Romains 8.28) et que « toutes choses sont à eux » (1 Corinthiens 3.21).

Le monde emploie la force pour posséder la terre, Jésus nous apprend qu’on la gagne par la douceur
— Luther

D’excellents critiques du texte (Lachmann, Tischendorf), se fondant sur D, la syriaque de Cureton et quelques Pères, placent le verset 5 ; avant le verset 4 et obtiennent cet ordre qui leur paraît plus naturel : les pauvres, les doux, ceux qui pleurent, ceux qui ont faim et soif de la justice. La progression est plus frappante. Toutefois, les témoignages invoqués ne suffisent pas pour justifier cette transposition, ou du moins la laissent douteuse.

6 Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés.

Cette faim et cette soif des biens spirituels qui leur manquent, de la vraie justice intérieure dont ils se sentent privés, d’une vie conforme a la volonté de Dieu, naissent en eux des dispositions décrites dans les versets précédents. Cette belle et énergique image de la faim et de la soif, expression d’un besoin pressant, d’un ardent désir de vie, revient souvent dans l’Écriture. Psaumes 42.3 ; Psaumes 63.2 ; Ésaïe 41.17, Jean 7.37, Apocalypse 22.17

Toute âme qui l’éprouve devant Dieu sera rassasiée, rassasiée de justice, puisque c’est de justice qu’elle a faim et soif. Les révélations subséquentes de l’Évangile lui apprendront comment elle y parviendra. Romains 3.21-30 ; Philippiens 3.9 etc.

Voir déjà dans le sermon sur la montagne la doctrine de la justification par la foi, serait une anticipation que l’exégèse ne doit pas se permettre (comparer Matthieu 6.33). Seulement, il est vrai de dire avec Luther que :

toutes les promesses que fait ici le Sauveur supposent la foi pour se les approprier.
7 Heureux les miséricordieux, parce qu’ils obtiendront miséricorde.

Les miséricordieux sont ceux qui ne pensent pas seulement a leur propre misère, mais qui compatissent a la misère de leurs frères. Il faut avoir senti sa propre misère, avoir souffert soi-même, pour pouvoir sympathiser avec la souffrance d’autrui. Il faut avoir été soi-même l’objet de l’amour infini de Dieu pour pouvoir aimer les autres et pratiquer à leur égard la charité.

Telle est la double pensée qui rattache cette béatitude aux précédentes. Elle est liée à elles aussi par cette considération que ceux que Jésus appelle au bonheur de ses disciples auront besoin encore d’obtenir miséricorde au jour du jugement suprême, car bien qu’assurés du royaume des cieux, bien que consolés et rassasiés de justice, il restera dans leur vie beaucoup de manquements et d’imperfections à couvrir. Il leur sera pardonné et fait miséricorde selon qu’ils auront fait miséricorde. Matthieu 6.14-15 ; Matthieu 18.32-35 ; Matthieu 25.31 et suivants, Luc 6.35-38 ; Luc 14.12-14 ; Jacques 2.13

8 Heureux ceux qui sont purs de cœur, parce qu’ils verront Dieu.

Le cœur est, selon l’Écriture, l’organe de la vie morale. Être pur de cœur, c’est, par opposition à des œuvres extérieures, être affranchi de toute souillure de toute fausseté, de toute injustice, de toute malice dans ce centre intime des pensées et des sentiments. Tel n’est point l’état moral de l’homme naturel (Matthieu 15.19). Comment il parvient à cette pureté, c’est encore ici ce qui sera révélé plus tard, quand le Sauveur aura accompli son œuvre de rédemption (comparer 1 Corinthiens 6.11). Chaque promesse répondant parfaitement à la disposition décrite dans chacune de ces béatitudes, ceux qui sont purs de cœur sont heureux, parce qu’ils verront Dieu. C’est-à-dire qu’ils vivront dès ici-bas dans sa communion et le contempleront un jour immédiatement dans la beauté suprême de ses perfections, source intarissable de la félicité du ciel. 1 Corinthiens 13.12 ; 1 Jean 3.2 ; Apocalypse 22.4 comparez 2 Corinthiens 3.18

Des passages tels que : Exode 33.20 ; Jean 1.18 ; 1 Timothée 6.16 ne sont point en contradiction avec cette glorieuse promesse, parce que l’impossibilité de voir Dieu qui est esprit, tient à l’économie présente de la chair et cessera dans la perfection et dans la gloire.

9 Heureux ceux qui procurent la paix, parce qu’ils seront appelés fils de Dieu.

Grec : ceux qui font la paix. Ceux qui non seulement sont paisibles eux-mêmes, mais qui, après avoir trouvé la paix, s’efforcent de la procurer à d’autres et de la rétablir parmi les hommes, là où elle est troublée.

Ils sont heureux, parce qu’ils seront appelés de ce doux et glorieux titre : fils de Dieu. Ce titre exprime une réalité profonde ; car en tant que ces fils de Dieu procurent la paix, ils ont un trait de ressemblance avec leur Père qui est « le Dieu de paix » Romains 16.20 ; 2 Corinthiens 13.11, ils agissent selon son Esprit.

Donc ils sont fils de Dieu, mais en outre ils seront appelés tels, leur titre sera reconnu et de Dieu et de tous.

10 Heureux ceux qui sont persécutés à cause de la justice, parce que le royaume des cieux est à eux.

La justice signifie la même chose qu’au verset 6, seulement le mot est pris dans son sens objectif.

À cause de la justice n’est donc pas différent, au fond, de cet autre terme : à cause de moi (verset 11). Christ est le représentant, le possesseur, le dispensateur de la justice.

Ceux qui sont persécutés à cause de lui sont heureux, parce qu’à eux est le royaume des cieux (verset 3, note). Dans la huitième béatitude, Jésus revient donc à la première (ce qui fait que plusieurs interprètes n’en comptent que sept, mais à tort). Il clôt ainsi un cycle harmonique d’expériences et de promesses. Les quatre premières concernent ceux qui cherchent dans leurs profonds besoins, les quatre dernières, ceux qui ont trouvé et qui déjà développent une certaine activité dans le règne de Dieu.

Chaque promesse, source du bonheur (heureux !) répondant exactement et abondamment à chaque état d’âme décrit, fait resplendir un rayon de la gloire du royaume des cieux : aux affligés ; la consolation (verset 4) ; aux doux, la possession de la terre (verset 5) ; aux affamés, le rassasiement (verset 6) aux miséricordieux, la miséricorde (verset 7) ; aux purs de cœur, la vue de Dieu (verset 8) ; à ceux qui procurent la paix, le beau titre d’enfants de Dieu (verset 9). Mais dans la première et la dernière béatitude, Jésus, qui est le Maître du royaume des cieux, le dispense tout entier aux pauvres et aux persécutés (verset 3 et 10) ; et là seulement il parle, non au futur, mais au présent : ce royaume est à eux.

Les versets 11 et 12 ne sont que le développement du verset 10.

11 Heureux êtes-vous, lorsqu’on vous dira des injures, et qu’on vous persécutera, et qu’on dira faussement contre vous toute sorte de mal à cause de moi.

Une variante supprime le mot faussement (grec : en mentant). Elle n’est pas assez documentée pour être admise. Il faut remarquer cette grande parole sur laquelle porte l’accent : à cause de moi. Qui est-il donc Celui pour qui les chrétiens doivent supporter les injures et les persécutions ?

12 Réjouissez-vous et tressaillez de joie, parce que votre récompense est grande dans les cieux ; car c’est ainsi qu’on a persécuté les prophètes qui ont été avant vous.

La récompense, qui n’affaiblit en rien la vérité du salut par grâce, par la foi Romains 4.4-5 est grande en proportion de la fidélité et de l’amour avec lesquels les disciples de Jésus auront souffert pour son nom. Toutefois, nul chrétien ne cherche cette récompense en dehors de Dieu et du bonheur de le servir, sans cela, il perdrait ce qui en fait la grandeur et la douceur (Matthieu 20.1 et suivants).

Le Sauveur montre à ses disciples persécutés un sujet de joie dans la pensée (car) qu’ils ont ce trait de ressemblance avec les prophètes qui les ont précédés (1 Rois 18.22 ; Jérémie 26.11 et suivants ; Jérémie 37.15 et suivants ; Jérémie 38.4 et suivants Hébreux 11.36 et suivants).

13 Vous êtes le sel de la terre ; mais si le sel perd sa saveur, avec quoi sera-t-il salé ? Il n’est plus bon à rien sinon à être jeté dehors et à être foulé aux pieds par les hommes.

Jésus, après avoir, dans les béatitudes, caractérisé ceux qui sont enfants de son royaume et leur avoir prédit d’inévitables persécutions dans un monde ennemi de Dieu (versets 10-12), veut leur faire sentir maintenant (versets 13-16) tout le sérieux de leur position, la grandeur de leur vocation, afin que, loin de se laisser abattre par l’opposition, ils n’en deviennent que plus courageux et fidèles pour exercer la sainte influence qu’ils sont appelés à avoir. Ils sont parmi les hommes le sel, la lumière.

Éloigner la corruption Exode 30.35 ; 2 Rois 2.19-22, rendre les aliments savoureux et sains Job 6.6 telle est la destination du sel. Comparer Marc 9.49-50 ; Luc 14.34 ; Colossiens 4.6 Le sens spirituel de l’image est évident. Les disciples de Jésus sont eux-mêmes le sel de la terre, destiné à pénétrer toute la masse de l’humanité (voir « lumière du monde », verset 14).

Mais si le sel même venait à perdre sa saveur (grec devient insipide), rien ne pourrait la lui rendre il devient une matière inutile et sa destination est perdue. Dans son sens spirituel et moral, la pensée est terrible. Jésus ne dit pas que cela arrivera à ses disciples mais il en suppose la possibilité.

14 Vous êtes la lumière du monde. Une ville située sur une montagne ne peut être cachée.

Parole étonnante, car le Sauveur se l’applique à lui-même ! Jean 8.12 ; Jean 9.5 ; Jean 12.35

Lui seul est dans un sens absolu la lumière du monde qui a resplendi dans nos ténèbres. Ses disciples, illuminés par lui, le deviennent immédiatement. Éphésiens 5.8, Philippiens 2.15

En Palestine, les villes sont ordinairement bâties sur le sommet ou le penchant d’une montagne ; peut-être Jésus en avait-il une devant les yeux ? Qu’il montrait de la main (voir Félix Bovet, Voyage en Terre Sainte, 7e édition, page 382 et suivants). Cette image a le même sens que la suivante. La vie de l’Église, la vie de l’âme ne peut et ne doit être cachée dans ce monde.

15 On n’allume pas non plus une lampe pour la mettre sous le boisseau, mais sur le pied-de-lampe, et elle luit pour tous ceux qui sont dans la maison. 16 Que votre lumière luise ainsi devant les hommes, afin qu’ils voient vos bonnes œuvres, et qu’ils glorifient votre Père qui est dans les cieux.

Cette image : mettre la lumière sous le boisseau, n’offre à l’esprit aucune idée conforme à nos usages actuels. Il en est tout autrement dans les campagnes en Orient. Nous voici dans l’unique chambre qui abrite toute une famille :

Il n’y a d’autre lumière qu’une petite lampe, formée tout simplement d’une soucoupe pleine d’huile. À défaut de table elle est posée sur un boisseau retourné… C’est le seul ustensile du ménage des paysans, tel que celui que j’ai sous les yeux. Il sert tour à tour de table et de plat, car c’est dans ce même boisseau pareil à ceux dont on fait usage chez nous, qu’on nous apportera tout à l’heure le lait caillé qui constitue le souper de la famille.
— Félix Bovet, Voyage en Terre Sainte, 7e édition, page 312

De là l’article, le boisseau, car il n’y en a qu’un.

Ce verset est l’application des principes qui précèdent. Votre lumière : elle n’est à nous que lorsque nous nous la sommes appropriée d’une manière vivante, alors elle luit d’elle-même devant les hommes qui voient, non pas seulement des doctrines ou des opinions religieuses, mais vos bonnes œuvres, tout l’ensemble d’une vie chrétienne, la sainte vérité dont le caractère est essentiellement moral et pratique. Les hommes qui verront ces œuvres, glorifieront, non pas vous (si tel était votre but secret, la lumière en serait obscurcie, les bonnes œuvres deviendraient mauvaises), mais votre Père qui est dans les cieux, auquel ils seront forcés d’attribuer le témoignage d’une vie sanctifiée. 1 Pierre 2.12

Trouvera-t-on une contradiction entre ces paroles et celles du Matthieu 6.1-6 ? C’est le discernement spirituel qui doit indiquer la conciliation.

17 Ne pensez pas que je sois venu abolir la loi ou les prophètes ; je ne suis point venu abolir, mais accomplir.

La position du Christ à l’égard de la loi de l’ancienne Alliance

Il n’est pas venu pour abolir, mais pour accomplir ; aucun trait de la loi divine ne passera jusqu’à ce que tout ait été accompli ; la violer ou l’observer, c’est être petit ou grand dans le royaume des cieux : et ceux-là n’y entreront point dont la justice ne surpasse pas celle des pharisiens (17-20).

La justice supérieure, premier exemple

Quelle est cette justice supérieure, comment faut-il interpréter la loi ? Jésus le montre par une série d’exemples empruntés à la loi morale. Premier exemple, interprétation du cinquième commandement. La loi dit : Tu ne tueras point et le meurtrier est punissable par le jugement. Mais moi je vous dis que la colère ou des paroles de mépris ou de haine contre un frère sont une violation de la loi et méritent la condamnation. Aucun acte de piété n’est possible dans ces sentiments : va premièrement te réconcilier avec ton frère. Sois promptement d’accord avec ton adversaire, tandis qu’il en est temps, de peur que tu ne sois condamné (21-26).

Second exemple

Interprétation du sixième commandement. La loi dit : Tu ne commettras point adultère ; mais moi je vous dis que regarder une femme avec convoitise, c’est violer le commandement. C’est dans le cœur qu’il faut déraciner le mal, fût-ce par un sacrifice pareil à celui de s’arracher un œil ou de se couper une main. Ainsi encore, la loi permet le divorce ; mais moi je vous dis que quiconque répudie sa femme, sauf pour cause d’infidélité, l’expose à devenir adultère (27-32).

Troisième exemple

La loi interdit le parjure et ordonne de tenir fidèlement les serments ; mais moi je vous dis : Ne jurez point du tout, ni par des objets sacrés, ni par des choses terrestres ; mais contentez-vous d’affirmer la vérité par un oui ou un non (33-37).

Quatrième exemple

Il a été dit : œil pour œil, dent pour dent ; mais moi je vous dis : de ne point résister au méchant, de souffrir des injures et des pertes, de donner et de prêter libéralement (38-42).

Cinquième exemple

Il a été dit : Tu aimeras ton prochain et tu haïras ton ennemi ; mais moi je vous dis : Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous maudissent et vous persécutent et priez pour eux, afin qu’ainsi vous soyez fils de votre Père, qui donne à tous des marques de sa bonté. Aimer ceux qui vous aiment, de quelle récompense cela est-il digne ? Le but suprême à atteindre, c’est la perfection même de Dieu (43-48).

La Loi accomplie par Jésus-Christ, réforme de la vie morale (17-48)

La liaison de la partie du discours qui remplit les versets 17-48 avec ce qui précède n’est pas évidente, plusieurs interprètes pensent même qu’il n’en faut point chercher, mais voir ici le point de départ d’une pensée nouvelle, qui est la principale du sermon sur la montagne. Cependant, si l’on considère que le Sauveur a caractérisé les vrais membres de son royaume, ceux qui ont faim et soif de la justice (verset 6) et dont les hommes doivent voir les bonnes œuvres (verset 16) et qu’il expose maintenant l’esprit et la pratique de cette justice véritable telle que la formule la loi divine (verset 21 et suivants), on se convaincra qu’il existe entre ces deux pensées fondamentales un lien intime.

À ce point de vue on comprend d’autant mieux la solennelle déclaration que lui, le Messie, n’est point venu, point entré dans son ministère pour abolir la loi ou les prophètes, comme le pensaient les Juifs, qui s’attendaient à ce que leur Messie transformerait toute la loi. La loi et les prophètes, c’est toute l’économie mosaïque et toutes les révélations de l’ancienne alliance, soit comme institutions, soit comme Écriture sainte (Matthieu 7.12 ; Matthieu 22.40 ; Luc 16.16). Le Sauveur ne veut rien abolir, abroger (grec délier, dissoudre, détruire, verset 19), mais tout accomplir. Et il l’a fait de toutes manières.

  1. Il a enseigné, révélé le sens complet et spirituel de la loi divine, que le pharisaïsme avait matérialisée par sa doctrine des observances extérieures (versets 20 et 21 et suivants).
  2. Il a lui-même accompli parfaitement la loi par sa vie sainte.
  3. Il a réalisé, par toute son œuvre et surtout par sa mort, l’idée complète de l’ancienne alliance, avec ses types, ses figures, ses sacrifices, ses promesses et ses espérances. Romains 10.4 ; Hébreux 10.1 ; voir surtout Jean 19.30

Cet accomplissement, dans un sens plus élevé, plus parfait, l’Évangile de Christ l’opère à son tour dans le cœur des croyants. Romains 3.31 Ainsi Jésus a accompli la loi et les prophètes d’une manière organique et vivante, comme la fleur accomplit le bouton, comme le fruit accomplit la fleur. Et en portant nos regards plus loin, nous pouvons attendre encore pour l’avenir l’accomplissement de ce qu’il y a de plus excellent dans l’économie présente, notre communion avec Jésus Luc 22.16, la joie de ses rachetés. Jean 15.11

18 Car en vérité je vous le dis, jusqu’à ce que le ciel et la terre aient passé, il ne passera pas de la loi un seul iota, ni un seul trait de lettre, jusqu’à ce que tout ait été accompli.

Grec : que tout soit arrivé, soit réalisé, ait été fait, dans le sens du verset précédent. Ces paroles confirment la vérité profonde du verset 17 (car), et cela, par cette affirmation solennelle : en vérité (hébreux : amen, vérité), mot conservé tel quel dans la traduction grecque que les évangiles nous donnent des discours de Jésus. C’est ce qui a engagé les auteurs de la version de Lausanne à le conserver aussi dans sa forme hébraïque.

Ces mots : jusqu’à ce que le ciel et la terre aient passé, sont pris par les uns comme une expression proverbiale signifiant jamais ; par les autres dans ce sens que, même alors, rien de la loi ne passera, mais que tout sera réalisé dans la perfection. Ce dernier sens est le vrai (comparer Matthieu 24.35 ; Luc 16.17).

Un iota est le nom grec de la lettre i qui, dans l’alphabet hébreu, est la plus petite de toutes.

Un trait de lettre désigne certains jambages ou crochets qui distinguent les unes des autres les lettres hébraïques. Ces images signifient qu’aucune partie de la loi ne passera sans avoir été accomplie. Mais l’accomplissement même rend inutile la forme précédente, le fruit remplace la fleur, la grâce et l’amour se substituent à la loi dans la vie du chrétien, la réalité succède aux ombres et aux figures de la loi cérémonielle et un jour la perfection suivra tout ce que nous possédons aujourd’hui. 1 Corinthiens 13.9-12

19 Celui donc qui aura violé l’un de ces plus petits commandements, et qui aura ainsi enseigné les hommes, sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ; mais celui qui les aura observés et enseignés, celui-là sera appelé grand dans le royaume des cieux.

Un de ces plus petits commandements, c’est ce que Jésus vient de désigner comme un iota ou un trait de lettre. Le violer ou l’abolir ainsi de fait (même mot qu’au verset 17) et enseigner les autres à le faire, c’est s’exposer à n’occuper qu’un degré très inférieur dans le royaume des cieux.

L’expression dont Jésus se sert : il sera appelé le plus petit dans le royaume des cieux ne signifie pas qu’il sera exclu de la félicité éternelle (Augustin, Luther, Calvin), ce sens est contraire aux termes ; elle ne signifie pas qu’il n’aura qu’une petite part du bonheur à venir (Meyer), car l’Évangile n’enseigne pas qu’il y aura des degrés divers dans ce bonheur. Elle signifie qu’il n’aura qu’une part moindre et un rôle inférieur dans l’établissement du règne de Dieu sur la terre (B. Weiss).

Celui qui croit pouvoir travailler à l’œuvre de ce règne plus efficacement en s’affranchissant de l’obéissance aux commandements qui lui paraissent secondaires, en les abolissant dans sa conduite et ses préceptes, se trompe. C’est la fidélité dans les petites choses, l’accomplissement scrupuleux de l’humble devoir, qui rendent apte au royaume de Dieu. Il faut d’ailleurs envisager ces commandements dans leur esprit et dans leur ensemble, qui forme un tout inviolable, la volonté de Dieu. Comparer Jacques 2.10

20 Car je vous dis que si votre justice ne surpasse celle des scribes et des pharisiens, vous n’entrerez point dans le royaume des cieux.

Grec : si votre justice ne surabonde de beaucoup …(voir sur les scribes, Matthieu 2.4, note ; Matthieu 23.2, note et sur les pharisiens. Matthieu 3.7, note).

Ces paroles montrent ce que Jésus entend, dans les versets précédents, par l’accomplissement de la loi et introduisent le discours qui va suivre, sur la manière d’interpréter la loi. Ses disciples doivent réaliser une justice bien supérieure à la justice extérieure, superficielle et formaliste des pharisiens dont il va faire ressortir toute l’insuffisance. Il ne dit pas, dans le sermon sur la montagne, par quel moyen ses disciples pourront obtenir cette justice supérieure. Il ne faudrait pas conclure de cette parole isolée que l’homme puisse jamais, par sa propre justice, entrer dans le royaume des cieux.

21 Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne tueras point ; et celui qui aura tué sera punissable par le jugement.

Tel est le premier exemple par lequel Jésus va faire comprendre à ses disciples quelle est dans son étendue et sa profondeur la vraie justice, telle que l’établit la loi saisie non dans sa lettre mais dans son esprit (verset 20). Les Juifs entendaient la lecture de la loi à chaque sabbat.

Les anciens sont toutes les générations précédentes auxquelles Moïse et les docteurs qui lui succédèrent (Matthieu 23.2) enseignèrent la loi. Le commandement cité est de Moïse Exode 20.13 et les paroles qui y sont ajoutées : celui qui tuera… est une détermination des interprètes, fondée d’ailleurs sur la législation mosaïque. Le jugement devant lequel le meurtrier était punissable ou justiciable (grec lié, coupable), était une cour de justice secondaire, établie dans chaque district. Deutéronome 16.18 ; 2 Chroniques 19.5 À cela se bornait, dans l’interprétation pharisaïque, toute la signification de ce commandement, quiconque ne l’avait pas violé à la lettre, pouvait se croire innocent ; mais…(verset 22).

Quelques interprètes traduisent : « Il a été dit par les anciens », au lieu de « aux anciens ». Sens grammaticalement possible, mais contraire à l’usage de cette expression dans le Nouveau Testament. De même dans la suite de ce discours.

22 Mais moi, je vous dis que quiconque se met en colère contre son frère, sera punissable par le jugement ; et celui qui aura dit à son frère : Raca ! Sera punissable par le sanhédrin, et celui qui lui dira fou, sera punissable par la géhenne du feu.

Quelle autorité dans ce contraste : Mais moi je vous dis !

Ce commandement, ainsi que tous les autres, peut être violé dans le cœur par les passions : la colère, la haine, le mépris ; et cette violation mérite, devant la justice divine, le même châtiment que le meurtre proprement dit.

Le Sauveur établit une gradation dans la transgression et aussi dans la peine qu’elle fait encourir. D’abord la colère contre un frère qu’il faudrait aimer (il faut retrancher ce mot sans cause qu’ajoute le texte reçu avec D, plusieurs majuscules, les vers syriaques et des Pères) ; puis l’expression de cette colère par des paroles de haine ou de mépris. Raca terme injurieux qui signifie en hébreu araméen tête vide, homme de rien, canaille. Fou, dans un sens moral, signifie impie, athée. Psaumes 14.1 C’est une sorte de malédiction inspirée par la haine (comparer 1 Jean 3.15).

Quant à la peine également graduée qui correspond à ces violations de la loi, Jésus l’indique par des images tirées de la justice pénale de son temps et de son peuple. En effet, il ne veut pas dire que celui qui manifeste ces mauvais sentiments du cœur doive être puni par les divers tribunaux qu’il va nommer, mais qu’il est aussi coupable que ceux qu’on y amène.

Le jugement désigne le tribunal inférieur mentionné au verset 21.

Le sanhédrin, autorité suprême de la nation, était composé de 71 membres, anciens, scribes et sacrificateurs, sous la présidence du souverain sacrificateur. Matthieu 21.23 ; Luc 22.66 ; Actes 5.21 Il connaissait de toutes causes religieuses, civiles ou criminelles ; en ces dernières, dont il est ici question, il servait de cour d’appel.

Le nom de géhenne du feu provenait de la vallée de Hinnom (hébreux Gué-Hinnom), qui entourait Jérusalem du côté du sud et dans laquelle s’était célébré autrefois le culte de Moloch. Depuis le temps de Josias 2 Rois 23.10 on y jetait, afin de la profaner, les corps des animaux morts et des suppliciés et l’on y entretenait un feu pour les consumer. Ce lieu était ainsi devenu une image de l’enfer et c’est dans ce sens que le Nouveau Testament emploie ce terme. Comparer Jérémie 7.31-32 ; Jérémie 19.2 ; Marc 9.43-48

23 Si donc tu apportes ton offrande à l’autel, et que là tu te souviennes que ton frère a quelque chose contre toi, 24 laisse là ton offrande devant l’autel, et va premièrement, réconcilie-toi avec ton frère, et alors, viens présenter ton offrande.

La particule donc montre que ces paroles sont une conclusion de ce qui précède et que l’ordre ici donné appartient à l’observation du commandement (verset 21). Jésus suppose le cas d’un homme qui, déjà occupé dans le temple à préparer une offrande, un sacrifice (grec un don), là, sous l’impression de la sainteté de son acte, se souvient que son frère, un homme quelconque, a quelque chose, quelque ressentiment contre lui.

Est-ce parce qu’il a offensé ce frère ? On peut le supposer, on l’admet généralement, mais Jésus ne le dit pas, on peut donc supposer aussi qu’il lui impose le devoir de la réconciliation, même dans le cas où il n’aurait en rien contribué à la rupture avec son frère.

Quoi qu’il en soit, le Sauveur n’admet pas que cet homme puisse entrer en communion avec Dieu par son offrande, par la prière, tant qu’il n’est pas réconcilié avec son frère et toute conscience chrétienne confirme ce jugement.

25 Accorde-toi promptement avec ton adversaire, pendant que tu es en chemin avec lui, de peur que l’adversaire ne te livre au juge et le juge à l’huissier, et que tu ne sois jeté en prison.

Ce verset 25 est la suite immédiate du verset 24. Jésus recommande encore le devoir de la réconciliation, mais sous une autre forme. Il suppose deux adversaires un créancier et un débiteur (verset 26), dont le premier emmène l’autre chez le juge pour se faire payer, comme cela se pratiquait chez les anciens.

Le conseil que donne le Seigneur à celui qui va être accusé est de se mettre promptement d’accord avec son adversaire tandis qu’il est en chemin, c’est-à-dire qu’il en a le temps encore. S’il ne le fait pas, il court le risque d’être livré au juge, puis à l’huissier (exécuteur du jugement) et d’être jeté en prison.

Est-ce là tout le sens de cette exhortation ? Dans ce cas, elle ne renfermerait qu’un bon conseil de prudence, de sagesse dans les affaires de cette vie et c’est ainsi que l’entendent quelques interprètes. Mais comme ici Jésus exhorte ses disciples à la réconciliation avec leurs frères, et cela, à cause de leur responsabilité envers Dieu (versets 23 et 24), il est évident que notre verset 25 devient une image, une parabole, présentant un sens religieux plus élevé.

Tous les hommes sont en chemin vers le juge, qui est Dieu ; tous ont envers leurs frères des torts dont il leur sera demandé compte, qui suffiraient pour les faire condamner ; et s’il est impossible même d’apporter à Dieu une offrande sans être réconcilié avec un frère offensé, comment espérer être absous devant le tribunal céleste ? Il ne resterait en perspective que la prison, c’est-à-dire, non le purgatoire, selon les interprètes catholiques, non le hadès ou lieu invisible d’attente, selon d’autres, mais le châtiment, comme cela ressort clairement de l’image.

On voit combien cette sérieuse parabole rentre harmoniquement et profondément dans le discours de Jésus et que c’est à tort que quelques interprètes pensent que Matthieu l’a arbitrairement intercalée ici, parce que Luc lui assigne une autre place dans son évangile Luc 12.58-59. Pourquoi ne pas admettre plutôt que ce court enseignement parabolique peut avoir été présenté plus d’une fois ?

26 Je te le dis en vérité, tu ne sortiras pas de là, jusqu’à ce que tu aies payé le dernier quadrant.

Quadrant, mot latin qui signifie le quart d’un as ou sou romain c’est-à-dire un peu plus d’un centime.

Dans le sens littéral de la parabole, il eût peut être été possible au débiteur de payer toute sa dette. Dans le sens spirituel, après le jugement de Dieu, il ne le pourra jamais (comparer Matthieu 18.34).

27 Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu ne commettras point adultère.

Second exemple

Voir Exode 20.14, de la vraie interprétation de la loi (verset 21).

Les paroles qui suivent montrent qu’ici encore la morale pharisaïque ne voyait la violation du commandement que dans l’acte matériel de l’adultère. On sait aussi que les docteurs juifs jugeaient très diversement des mauvaises pensées et des mauvais sentiments du cœur qui ne se traduisent pas en actions.

28 Mais moi, je vous dis que quiconque regarde une femme pour la convoiter, a déjà commis adultère avec elle dans son cœur.

En quoi consiste l’adultère commis dans le cœur ? Non dans le regard seul, mais dans l’acquiescement de la volonté à la convoitise. C’est ce qui est marqué par ces mots : pour la convoiter.

Tout homme qui regarde une femme dans de telles dispositions pèche déjà. Tout péché d’intention, dont les circonstances empêchent la consommation, est commis aux yeux de Dieu, qui « regarde au cœur ».

29 Or si ton œil droit te fait tomber, arrache-le et le jette loin de toi, car il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse et que tout ton corps ne soit pas jeté dans la géhenne.

Grec : te scandalise, c’est-à-dire est pour toi une occasion de chute.

Le mot grec, scandale, dans son sens littéral, signifie un obstacle matériel mis devant les pas de quelqu’un pour le faire tomber. Le sens spirituel ou moral est dès lors évident (voir Matthieu 16.23 ; Matthieu 18.8, etc.). Le précepte que Jésus ajoute (versets 29 et 30) au sixième commandement est semblable, comme le remarque Weiss, à celui dont il fait suivre le cinquième commandement (versets 24-26). Là il s’agissait de sentiments d’amertume et des dispositions d’un cœur non réconcilié qui reviennent spontanément à la mémoire, ici il s’agit de la convoitise impure, qui, à l’état latent dans le cœur, est excitée sans qu’il y ait concours de la volonté. Jésus indique quelles mesures radicales il faut prendre dans ce cas.

30 Et si ta main droite te fait tomber, coupe-la, et la jette loin de toi, car il vaut mieux pour toi qu’un de tes membres périsse et que tout ton corps n’aille pas dans la géhenne.

Bien que cette énergique image soit susceptible d’applications très diverses et que Jésus l’ait employée plus d’une fois Matthieu 18.8, Marc 9.47 on voit dès l’abord quel en est le rapport avec la pensée du verset 28.

On consent dans certaines maladies dangereuses à subir l’amputation d’un œil, d’une main, d’un membre, si nécessaire soit-il, pour sauver la vie de tout le corps. Ainsi le renoncement le plus absolu, le sacrifice le plus douloureux vaut mieux (grec t’est avantageux) que si tout ton être était jeté dans la géhenne (voir sur ce dernier mot verset 22, note et sur toute sa pensée Matthieu 16.24-26 ; Matthieu 19.29).

31 Il a été dit aussi : Si quelqu’un répudie sa femme, qu’il lui donne une lettre de divorce. 32 Mais moi, je vous dis que quiconque répudie sa femme, si ce n’est pour cause de fornication, la fait devenir adultère ; et que quiconque épouse une femme répudiée, commet adultère.

Troisième exemple

Cet enseignement du Sauveur sur la sainteté du mariage se retrouve aussi ailleurs, provoqué par une question qui lui fut adressée (Matthieu 19.3 et suivants) ; mais il peut fort bien avoir été donné déjà ici, à l’occasion de l’instruction qui précède sur l’adultère.

La prescription mosaïque que cite Jésus (verset 31) se trouve dans Deutéronome 24.1. Elle permettait le divorce ; la lettre ou (grec) l’acte de répudiation que donnait, dans ce cas le mari à sa femme, constatait officiellement la séparation. Les Juifs, au temps de Jésus, abusaient de cette autorisation, dont les termes étaient un peu vagues.

L’école plus stricte de Schammaï n’admettait que l’adultère comme cause de divorce ; mais d’autres : rabbins interprétaient le texte mosaïque : « Si elle n’a pas trouvé grâce à tes yeux », en disant :

Si quelqu’un voit une femme plus belle que la sienne, qu’il répudie la sienne.
— Edmond Stapfer, La Palestine au temps de Jésus-Christ, page 150 et suivantes

Jésus, qui juge le commandement de Moïse lui-même (Matthieu 19.8), réagit fortement contre la pratique religieuse de ses contemporains (Matthieu 19.9). Il n’admet qu’un cas qui légitime le divorce : la fornication, c’est-à-dire, pour la femme mariée, l’adultère, qui brise et détruit de fait le lien conjugal.

Et encore d’excellents interprètes (B. Weiss) estiment que Jésus ne donne pas ici l’adultère comme motif de divorce, mais qu’il veut seulement dire : celui qui répudie sa femme l’expose à devenir adultère, à moins que par la fornication, elle ne se soit déjà rendue telle.

Si nous admettons la première explication, qui paraît plus naturelle, Jésus pose ces deux principes : celui qui répudie sa femme pour les motifs futiles alors considères comme suffisants, la fait devenir adultère, par la liberté qu’il lui donne de se remarier, tandis qu’en droit elle est la femme d’un autre ; et celui qui épouse une femme ainsi séparée commet le même péché, par la même raison. Mais une question se pose : si la séparation a eu lieu pour cause d’adultère et qu’ainsi le divorce soit légal, un second mariage le sera-t-il aussi ?

Les uns, d’après ce texte, répondent oui : et telle est l’opinion qui a prévalu dans l’Église et dans les législations des pays protestants, qui ont même statué d’autres causes légitimes de divorce, les autres, se fondant sur les passages parallèles Luc 16.18 ; Marc 10.11 où ne se trouve pas la cause exceptionnelle admise ici (si ce n’est pour cause de fornication), répondent non et considèrent le mariage après divorce comme interdit d’une manière absolue.

Telle est l’opinion et la pratique de l’Église et des législations catholiques, qui n’autorisent en aucun cas le divorce, mais seulement la séparation. La question est complexe ; Jésus n’a point entendu l’épuiser ici, puisqu’il ne parle que de la femme, qui pourtant a les mêmes droits et nullement du mari, qui peut avoir les mêmes torts (voir toutefois Marc 10.12, note). L’apôtre Paul présente de la même manière les deux faces de ce sujet : la pratique la plus sévère 1 Corinthiens 7.10-11 et le point de vue plus adouci (verset 15). Mais là il ne parle que de la séparation et non d’un second mariage (voir Matthieu 19.9, note).

33 Vous avez encore entendu qu’il a été dit aux anciens : Tu ne te parjureras point, mais tu tiendras tes serments au Seigneur.

Quatrième exemple

Cette citation ne se trouve nulle part littéralement dans l’Ancien Testament, mais la pensée revient dans plus d’un passage. Ainsi la défense du parjure ou faux serment est contenue dans Lévitique 19.12 et le devoir de tenir au Seigneur ses serments, ou ses vœux, ou ses promesses, se trouve prescrit dans Deutéronome 23.21. Sur ce point régnaient aussi parmi les Juifs de pernicieux abus, qui ne se sont que trop perpétués chez les chrétiens.

34 Mais moi, je vous dis de ne point jurer du tout ; ni par le ciel, parce que c’est le trône de Dieu ; 35 ni par la terre, parce que c’est le marchepied de ses pieds ; ni par Jérusalem, parce que c’est la ville du grand Roi. 36 Tu ne jureras pas non plus par ta tête, parce que tu ne peux rendre un seul cheveu blanc ou noir.

37 Mais que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on dit de plus vient du malin.

Qu’est-ce que le Sauveur enseigne à ses disciples au sujet du serment ? Ses paroles sont si claires et si précises, que l’exégèse ne saurait hésiter un instant.

Aux prescriptions et aux usages de la loi ancienne, il oppose avec une autorité souveraine (mais moi je vous dis) le commandement de ne jurer point du tout (grec totalement, entièrement, ce qui rend la négation absolue). Et comme, par un certain respect pour le saint nom de Dieu, l’usage s’était introduit chez les Juifs de jurer par d’autres objets vénérables, par le ciel, par la terre, par Jérusalem, etc., avec la pensée que ces sortes de serments liaient moins la conscience, Jésus poursuit ce préjugé en montrant que ces formules remontent pourtant jusqu’à Dieu, qui remplit de sa sainte présence les cieux et la terre, tout l’univers (comparer Matthieu 23.16 et suivants).

Ainsi, le ciel, c’est le trône de Dieu qui y règne Ésaïe 66.1 la terre c’est le marchepied de ses pieds ; voir encore Ésaïe 66.2, où Dieu dit par la bouche du prophète : « Ma main a fait toutes ces choses », comparez Matthieu 23.22 ;

Jérusalem, c’est la ville du grand Roi, la sainte cité de Jéhovah Matthieu 4.8 ; Psaumes 48.2-3 ta tête, bien loin de pouvoir en disposer, tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir ; ton impuissance rend ton serment téméraire !

Conclusion : Ne jurez par aucun de ces objets, votre serment n’en serait pas moins grave : en jurant par la créature vous jurez par le Créateur. Que faire donc ? Affirmer la vérité par un oui ou un non, prononcé sous le regard de Dieu, en présence duquel vous agissez et parlez toujours. Tout ce que vous ajouteriez vient du malin, du père du mensonge, qui règne dans le monde, ce qui fait que le monde se défie de la parole des hommes. D’autres traduisent vient du mal (comparez Matthieu 6.13), du péché qui règne dans le monde et fait prédominer la fausseté dans les relations humaines.

Telle est la pensée du Sauveur, pensée seule digne de son règne et de ceux qui y appartiennent, pensée aussi clairement répétée plus tard par un de ses apôtres Jacques 5.12 et pleinement admise par les Pères de l’Église, Justin, Irénée, Clément, Origène, Chrysostome, Jérôme et d’autres.

Toutes les tentatives qu’on a faites pour tirer de notre passage un sens diffèrent, sont des tours de force exégétiques ; tous les meilleurs interprètes, même ceux qui admettent la légitimité du serment, en conviennent. Aussi cherchent-ils ailleurs des arguments. On dit que le serment était prescrit dans l’Ancien Testament Exode 22.11 ; Deutéronome 6.13 qu’il est un honneur rendu à Dieu Jérémie 4.2 ; Hébreux 6.16, que l’apôtre Paul emploie des affirmations qui équivalent au serment : Romains 1.9 ; 2 Corinthiens 1.23 ; Galates 1.20, Philippiens 1.8 que Jésus a fait un serment Matthieu 26.63, enfin que Dieu lui-même jure. Genèse 22.16 ; Genèse 26.3 ; Ésaïe 45.23 et ailleurs.

Si ces arguments sont fondés, il faut reconnaître qu’ils sont en contradiction directe avec le précepte de Jésus-Christ qui nous occupe, à moins qu’on n’admette, avec beaucoup d’interprètes modernes, que ce précepte, de même que d’autres du sermon sur la montagne (versets 32, 39, 40, 41), n’est pas applicable aux relations sociales, ni destiné à régler l’organisation de la société, mais seulement les rapports des chrétiens entre eux dans cette communauté idéale, où règne la perfection et qui s’appelle le royaume des cieux. Mais l’intention de Jésus était-elle bien de proclamer une loi toute spirituelle et abstraite ? Ses auditeurs galiléens pouvaient-ils comprendre ainsi ses préceptes ? Et aujourd’hui encore, en présence des mensonges, des parjures, des violences faites aux consciences, de l’abus criant des serments politiques, le tout sous l’invocation du saint nom de Dieu, n’y a-t-il pas plus de sûreté pour la conscience dans l’obéissance à la parole si claire et si nette du Sauveur

38 Vous avez entendu qu’il a été dit : œil pour œil, et dent pour dent.

Cinquième exemple

Dans la législation mosaïque, ces paroles prescrivaient au juge d’infliger au coupable une peine correspondant exactement et matériellement au délit commis. Exode 21.24 et suivants, Lévitique 24.20 ; Deutéronome 19.21

C’est la loi du talion, admise aussi dans les XII tables du droit romain, c’est la rigoureuse justice. Mais moi je vous dis…

39 Mais moi, je vous dis de ne pas résister au méchant ; mais quiconque te frappe sur la joue droite, présente-lui aussi l’autre.

Le mot grec peut être pris ici pour un adjectif neutre, alors il signifie au mal qu’on veut vous faire ; ou bien pour un substantif masculin et alors il faut traduire au méchant, à l’homme mauvais qui veut entamer un procès injuste contre vous. C’est ce dernier sens qui est le plus probable.

Résister aux méchant, c’est rendre le mal pour le mal : la loi du talion et celle du cœur de l’homme est, en recevant un soufflet ou une injure quelconque, de le rendre à l’instant. Jésus veut et ses apôtres après lui, Romains 12.17-19 ; 1 Pierre 3.9, qu’au lieu d’exercer ainsi la vengeance, le chrétien souffre plutôt une nouvelle injure et c’est là ce qu’il faut entendre par présenter l’autre joue (comparer Jean 18.22). Faire de ce précepte un principe de morale sociale, ce serait encourager le méchant, en lui donnant occasion de faire plus de mal.

40 Et à celui qui veut plaider contre toi, et prendre ta tunique, laisse-lui aussi le manteau.

Plaider contre toi (grec être jugé aller en justice), entamer un procès dont l’objet serait de t’enlever ta tunique (vêtement de dessous chez les Orientaux) ; au lieu de soutenir ce procès qui provoquerait la haine et d’autres querelles, souffre plutôt une seconde perte plus grande, celle du manteau. Telle est aussi la morale de saint Paul. 1 Corinthiens 6.1-7

41 Et quiconque te contraindra de faire un mille, fais-en deux avec lui.

L’expression est empruntée à un usage oriental introduit par les Perses, d’après lequel les employés de l’état et en particulier les courriers postaux, étaient autorisés à requérir des hommes pour porter un message, un fardeau, etc.

42 Donne à celui qui te demande, et ne te détourne point de celui qui veut emprunter de toi.

Donner, prêter, exigent le discernement de la vérité, non moins que le désintéressement de la charité. Mais les disciples de Jésus pèchent plus souvent à cet égard par trop de retenue que par trop d’abandon.

43 Vous avez entendu qu’il a été dit : Tu aimeras ton prochain, et tu haïras ton ennemi.

Sixième exemple

La première partie de ce précepte était seule dans la loi Lévitique 19.18 la seconde était une glose du pharisaïsme, qui entendait par le prochain les Juifs, à l’exclusion des hommes de nationalités différentes. Ceux-ci étaient des ennemis qu’on pouvait haïr et l’on n’hésitait pas à appliquer ce principe à des ennemis personnels. La loi prescrivait tout le contraire Exode 23.4-6 et la conduite des Israélites pieux donnait un exemple tout opposé. Psaumes 7.5 ; Psaumes 35.13-14 ; Job 31.29 ; Proverbes 24.17-18 ; Proverbes 25.21

Toutefois il faut bien reconnaître que l’amour du prochain, dans sa plénitude, n’a été enseigné que par le Sauveur et qu’il est une création de l’Évangile dans le cœur du chrétien.

44 Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis et priez pour ceux qui vous persécutent ;

Le texte reçu, avec D, la plupart des majuscules ajoute : bénissez ceux qui vous maudissent, faites du bien à ceux qui vous haïssent et priez pour ceux qui vous outragent et vous persécutent. La presque unanimité des critiques, des exégètes et des traducteurs retranchent ces mots sur l’autorité de Codex Sinaiticus, B, de versions et de Pères, les regardant comme empruntés à Luc 6.27.

Quoi qu’il en soit, Jésus a prononcé ces paroles, qui présentent une progression remarquable, à la fois dans le mal à souffrir et dans le bien à faire. D’une part des ennemis qui maudissent, haïssent, persécutent, d’autre part des chrétiens qui aiment, bénissent, font du bien, prient. De part et d’autre on passe des sentiments aux actes.

Voici donc trois degrés de charité envers des ennemis : les aimer, leur faire du bien, prier pour eux. Le dernier est celui qu’on croit pouvoir faire le plus aisément, mais c’est pourtant le plus difficile, parce que c’est celui qu’on fait par rapport à Dieu. Rien ne doit être plus sincère, ni plus cordial, ni plus véritable, que ce qu’on présente à Celui qui voit tout jusqu’au fond du cœur.
— Bossuet
45 afin que vous soyez fils de votre Père qui est dans les cieux ; car il fait lever son soleil sur les méchants et sur les bons, et il fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes.

Motif suprême de la morale chrétienne, être en réalité fils de Dieu (verset 9), animés de son Esprit, lui ressembler comme un fils ressemble à son père, l’imiter dans nos sentiments et notre vie. Éphésiens 5.1

Votre Père ; jamais Jésus ne dit notre Père, en se comprenant dans ce mot avec ses disciples ; mais toujours mon Père ou votre Père. Distinction très significative. Compare Jean 20.17 Qui est dans les cieux (Matthieu 6.9, note).

Son soleil :

Magnifique appellation ! Lui-même a fait le soleil et le gouverne et le possède en sa seule puissance.
— Bengel

Les bienfaits de Dieu dans la création, même envers ses ennemis, sont offerts à notre imitation. Ces arguments tirés de la nature, qui dévaste aussi et détruit parfois ne suffiraient pas pour nous faire connaître et aimer Dieu comme notre Père, mais ils parlent au sentiment religieux et Jésus leur prête ici son autorité. Comparer Actes 14.17

46 Car si vous aimez ceux qui vous aiment, quelle récompense en aurez-vous ? Les péagers aussi ne le font-ils pas ?

Après : avoir motivé l’amour des ennemis (verset 44) par l’obligation d’être fils du Père (verset 45), Jésus présente un second motif (car) en faveur du même précepte : Aimer ceux qui nous aiment est naturel au cœur de l’homme et ne saurait prétendre à une récompense (Matthieu 5.12 ; Matthieu 6.1, note).

Les péagers mêmes le font. Les Juifs haïssaient et méprisaient ces hommes qui s’étaient mis au service de la domination romaine pour prélever des impôts détestés et qui le faisaient souvent avec dureté et injustice. Aussi dans l’Évangile sont-ils nommés avec les pécheurs les plus décriés. Matthieu 21.31-32 ; Luc 15.1

47 Et si vous ne faites accueil qu’à vos frères, que faites-vous d’extraordinaire ? Les païens aussi ne le font-ils pas ?

Faire accueil (grec saluer) signifie témoigner de la bienveillance, de l’affection. Le faire en faveur de frères ou d’amis (ainsi porte une variante), il n’y a rien là d’extraordinaire (grec d’excellent, de distingué), rien qui dépasse la mesure de la nature humaine.

Les païens (le texte reçu répète ici le mot péagers) le font aussi.

48 Soyez donc parfaits, comme votre Père céleste est parfait.

Grec Vous serez parfaits. Futur mis pour l’impératif ; ou bien : Vous le serez, Je l’attends de vous et, par la voie que je vous ouvre, vous y parviendrez. Parfaits pourrait se rapporter à tout ce qui précède dans ce chapitre et indiquerait une perfection morale ressemblant à tous égards à celle de Dieu, autant que la créature peut égaler Celui qui est infini. Mais il est plus probable que Jésus applique cette grande parole à ce qu’il vient de dire de l’amour depuis le verset 44 (voir verset 45). C’est ce que confirme le passage parallèle dans Luc 6.36, qui porte : « soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux ». Ce sens se comprend mieux aussi ; car il est certain que l’amour, surtout l’amour divin répandu dans le cœur, ne connaît et ne veut pas de bornes, il tend à une perfection toujours plus idéale et toujours plus complète. Le but ainsi placé par le Sauveur devant les yeux de ses disciples est encore assez sublime pour effrayer leur faiblesse.

Il leur est bon de se rappeler la prière d’Augustin :

Donne ce que tu ordonnes, Seigneur et ordonne ce que tu veux !