Ce terme générique a pour équivalent en hébreu un mot qui ne se rencontre que deux fois dans l’Ancien Testament (De 32.17 ; Ps 106.37) ; les êtres surnaturels et malfaisants auxquels le peuple croyait étaient généralement désignés par des noms divers, selon leur espèce.
Il est fort peu question d’êtres semblables dans les livres de l’Ancien Testament antérieurs à l’exil, bien que la croyance à ces mauvais esprits occupât probablement en Israël, comme chez les autres peuples sémitiques, une certaine place dans les superstitions populaires du temps. On peut expliquer ce silence par deux considérations. Il est certain, d’abord, que les écrits dont nous parlons sont tous issus des écoles prophétiques, hostiles à ces superstitions. Il est facile de constater ensuite que la religion populaire elle-même,par sa conception particulière de la divinité, ne favorisait pas la croyance aux démons. L’ancien Israélite estimait, en effet, que Yahvé lui-même peut inspirer à l’homme le mal comme le bien et l’obliger à pécher pour le perdre ensuite (Juges 9.23 : lieu envoie un mauvais esprit ; Ex 10.20 : Yahvé endurcit le cœur de Pharaon ; 1Sa 2.25 : les fils d’Eli n’écoutent pas leur père parce que Yahvé veut les faire mourir ; 2Sa 24.1 : Yahvé excite David à pécher ; 1Ro 12.15 : Jéroboam n’écoute pas tes sages avis des « anciens », dirigé en cela par Yahvé ; 2Ro 2.4, 19-20 : Sédécias fait le mal « à cause de la colère de Yahvé contre Jérusalem et contre Juda, qu’il voulait rejeter de devant sa face »), L’intervention séductrice d’êtres surnaturels, voués au mal, n’était donc pas nécessaire pour expliquer le péché de l’homme. Plus tard seulement, quand la notion de Dieu se fut épurée, les Israélites, subissant d’ailleurs l’influence des peuples avec lesquels l’exil les mit en rapport, rendirent à la croyance aux démons une grande importance.
Cette croyance reprit vie d’autant plus facilement qu’elle n’avait sans doute jamais été totalement extirpée par les prophètes. Les livres dus à l’inspiration de ces derniers nous en fournissent eux-mêmes quelques preuves. Ils font allusion, ici et là, sous des noms divers, à des êtres malfaisants, reconnaissables dans le texte hébreu, mais qui passent généralement inaperçus dans nos traductions, comme ceux de la Lilit (Segond : « le spectre de la nuit », Esa 34.14), des Seïrim (Segond : « les boucs », Esa 13.21 ; 34.14), c’est-à-dire les « velus », auxquels on offrait des sacrifices (Le 17.7 et 2Ch 11.15), et de quelques autres encore, tous habitant avec les bêtes sauvages les lieux déserts ou les steppes arides. Peut-être peut-on citer encore Azazel, qui habitait te désert de Juda et auquel, plus tard, on envoyait chaque année le bouc chargé des péchés du peuple (Le 16.3-10). Les livres anciens ne parlent pas de cet être mystérieux, mais il semble bien être, dans la religion postexilique, une survivance des croyances ancestrales. Tous ces êtres malfaisants semblent, d’ailleurs, être à redouter comme le sont certaines bêtes sauvages plutôt que comme des puissances séductrices, qui entraîneraient l’homme à faire le mal.
Après l’exil, nous l’avons dit, les Israélites, instruits par les prophètes, auraient cru faire injure à Yahvé en lui imputant l’inspiration de mauvaises pensées. C’est ainsi qu’on voit, dans le livre des Chroniques, l’auteur reproduisant un ancien récit de la vie de David, y remplacer le nom de Dieu par celui de Satan, car on ne pouvait plus admettre que Yahvé fît pécher un homme pour le punir ensuite (2 Samuel 24 et 1Ch 21). Il y aura donc désormais un Esprit du mal (voir : Satan), mais à côté de lui, les démons des anciennes croyances prendront place et on leur adjoindra les divinités païennes, car le monothéisme juif aura cet étrange résultat, non de supprimer l’existence de ces dieux, mais de les faire passer au rang des ennemis surnaturels du vrai Dieu. Un ennemi de Yahvé, cité plusieurs fois, est Rahab (traduction Segond : « l’Egypte » : Esa 51.9 ; « l’orgueil » : Job 9.13 ; 26.13 ; Psaumes 89.10). Un autre, si ce n’est le même, est le Léviathan (Job 3.8 ; Psaumes 74.14 : dans ce dernier passage, Segond traduit Léviathan par « monstre ») ; mais ces ennemis-là ont été vaincus par Yahvé dans les anciens temps et l’un au moins d’entre eux appartient plutôt à une très antique mythologie qu’à la démonologie proprement dite qui nous intéresse ici. Ce qui est bien certain, c’est que les temps qui séparent le retour de l’exil de l’ère chrétienne et qui ont donné naissance à la littérature dite apocryphe et aux pseudépigraphes de l’A. T. ont vu la croyance aux démons prendre un considérable essor, à la fois par un retour aux vieilles superstitions populaires et sous l’influence des religions étrangères. Le livre de Tobie parle du démon Asmodée ; dans le livre d’Enoch, Azazel, avec ses complices, semble être le chef des démons.
Quand nous arrivons à l’époque de Jésus, cette croyance aux démons et à leur influence sur la vie des hommes a pris un empire extraordinaire sur les esprits, sous la forme de la croyance à la possession. On n’a pas cessé de croire que les démons sont des esprits séducteurs qui entraînent l’homme au péché (Matthieu 12.43 ; Luc 11.21 ; 1Co 10.20 ; 1Ti 4.1 ; Apocalypse 9.20). Les possédés peuvent donc être des pécheurs asservis aux démons ; mais ce qui est surtout mis en relief, en particulier dans les Evangiles synoptiques, et parfois dans l’Evangile de Jean et le livre des Actes c’est le trouble que la possession démoniaque introduit dans la vie physique ou psychique de ceux qui en sont les victimes : les possédés sont des malades. Assurément, tous les malades ne sont pas des possédés, et cette distinction apparaît nettement dans Mt 10.18 ; Marc 1.32 ; Luc 6.17. Mt 4.24 distingue encore la catégorie des lunatiques. Une maladie qui n’était pas, au temps de Jésus, mise en rapport avec l’action des démons est la lèpre. D’une façon générale on peut dire que les maladies mises sur le compte de la possession étaient les maladies d’ordre psychique : l’épilepsie et tout espèce de troubles nerveux et mentaux. Il y a cependant des exceptions : Matthieu et Luc expliquent par la possessions des cas de surdité (Mt 9.32 ; Luc 11.14), de cécité (Matthieu 12.22) ou d’autre infirmité purement physique, telle qu’une déviation de la colonne vertébrale (Luc 13.11). Il semble donc bien qu’il existait à cette époque une certaine tendance à élargir l’influence de la possession démoniaque et à l’étendre peu à peu à toutes sortes de maladies ou d’infirmités.
La conséquence de cette croyance à la possession était qu’on ne pouvait expliquer la guérison que par la disparition du mauvais esprit et qu’on pensait ne pouvoir l’obtenir que par son expulsion. La médecine faisait place à l’exorcisme. Les Scribes et les Docteurs de la Loi chassaient les démons; aucune science spéciale ne leur était nécessaire ; ils prononçaient des formules magiques, versaient de l’huile sur la tête du malade et vraisemblablement n’obtenaient la guérison que dans la mesure de leur ascendant moral et de la foi du malade.
Numérisation : Yves Petrakian