On s’accorde de plus en plus en nos jours, à reconnaître que la parole de Dieu n’a mis aucune précision dans ses ordres relatifs aux formes extérieures et à l’administration de l’Église : « Baptême et Cène ». C’est ce que nous retrouvons lorsque nous cherchons la définition même de ce qu’est cette Église. La Bible n’est positive que sur deux grands sens généraux de ce mot. Il désigne primitivement, et en droit, l’ensemble ou l’assemblée de tous les vrais fidèles, et d’eux seuls (Éphésiens 5.25-32) ; puis, dans la pratique ou en fait, comme il est impossible de distinguer ici-bas les vrais fidèles d’avec ceux qui ne font qu’une profession extérieure, et les vierges folles d’avec les sages, il désigne tout ce qui porte ou prend le nom de chrétien, et par conséquent les deux extrêmes de l’idée dont il s’agit, c’est-à -dire ou l’Église, pure, abstraite et parfaite, ou l’assemblée telle quelle, de tous ceux qui professent être de Christ, tant profond que puisse être d’ailleurs leur égarement ou leur décadence. C’est ainsi que, d’un côté, le passage aux Éphésiens cité plus haut, nous représente l’Église comme sans tache, tandis qu’ailleurs il est dit, en parlant de l’Église, que dans une grande maison il n’y a pas seulement des vases à honneur, mais d’autres à déshonneur (2 Timothée 2.20). La preuve que les vases à déshonneur désignent ici des hommes étrangers à la vraie Église, se trouve dans les versets qui précèdent, comme dans ceux qui suivent immédiatement. C’est encore dans ce dernier sens qu’il est dit de l’Église de Sardes, que ce n’étaient qu’un petit nombre de ses membres qui étaient vivants (Apocalypse 3.4), etc. Par conséquent, toute congrégation qui s’établit entre ces deux extrêmes, et qui se donne pour un fragment de la vraie Église, de l’Église normale, est par cela même dans l’erreur : elle est trop pure pour être composée selon les règles de la vraie Église visible, qui admet tout ; elle n’est pas assez pure pour être composée comme l’Église parfaite, puisqu’elle renferme encore beaucoup de péchés, et qu’elle est toujours sujette à receler des hypocrites. Mais comme professant le christianisme, elle appartient néanmoins au grand ensemble et à cette Église générale qu’elle méprise.
Nous n’avons point à répéter ici des réflexions qui se trouvent ailleurs, et qui repoussent au rang des absurdités ces prétentions d’une portion quelconque de l’Église universelle à former seule l’Église visible de Christ. Cette observation s’applique par excellence à la secte catholique romaine qui, par son idolâtrie et ses nombreuses impiétés, ainsi que par le caractère charnel de sa puissance, constitue plutôt l’un des éléments les plus prononcés du règne de Satan dans le monde. Cependant, elle aussi, elle appartient à l’Église générale, puisqu’elle professe le christianisme.
Notre Seigneur n’a établi aucun pouvoir central sur l’Église extérieure : les apôtres, lorsqu’ils furent appelés à décider pour la première fois une grande question de foi et de discipline, s’adjoignirent les membres les plus âgés de l’Église de Jérusalem (ce qu’on a appelé les prêtres), et même la masse des fidèles (Actes 15.22-23). Tout le Nouveau Testament nous annonce l’égalité des fidèles entre eux, quoique dans les choses d’administration, et comme principe d’ordre, ils doivent une déférence particulière à leurs conducteurs spirituels. Quant au pouvoir proprement dit de l’Église, il ne réside absolument que dans l’ensemble des fidèles, comme les termes seuls suffiraient pour l’indiquer, puisque le dernier de ces mots n’est que la traduction du premier. La vieille folie d’une principauté de saint Pierre n’existe plus qu’à l’état de fiction, comme la pierre angulaire d’une société vermoulue qu’on voudrait renouveler et qu’on craint de démolir ; ce n’est plus une affaire religieuse, c’est une affaire politique et presque sociale, où l’Église n’a rien à démêler.
On a tenté dernièrement (version suisse du Nouveau Testament) de traduire le mot Église par le mot correspondant français que nous avons employé nous-même, assemblée ; cette traduction est fort utile et fort importante lorsqu’il s’agit des églises particulières, mais le mot ne va plus dans la plupart des cas, lorsqu’on l’applique à l’Église en général ; on éprouve alors une espèce de repoussement instinctif qui indique assez que le mot ne correspond plus à l’idée ; et de fait, quoi qu’il en soit de l’étymologie, le mot Église a pris dès l’origine, et a acquis dans le cours des siècles, une signification plus simple, plus large et aussi plus spéciale, plus religieuse, que le sens qu’on donne au mot assemblée. L’usage étant « le maître souverain des langues », il n’est pas toujours permis d’innover, et l’on ne peut changer le sens de certains mots une fois qu’il est admis et déterminé depuis longtemps.
L’Église de Jésus a reçu la promesse que les portes de l’enfer ne prévaudront point contre elle (Matthieu 16.18) ; cette promesse ne se rapporte qu’à elle et non à aucune église particulière, toujours frappée au coin de l’homme, et par là même incomplète et périssable. L’Église romaine renouvelle de nos jours de grands efforts pour rétablir son règne qui s’en va ; elle sait braver à la fois le ridicule et l’indignation publique : le protestantisme lui-même est dans un état de crise qui l’affaiblit sous quelques rapports, et présidera peut-être à sa régénération ; l’Église ne subsiste que par la vérité, la victoire restera à la fraction de l’Église qui sera le plus près de la vérité. Des douleurs attendent ce petit troupeau, mais il triomphera par son chef, et régnera éternellement.
Les diverses questions soulevées par l’idée d’Église, sur les rapports des fidèles entre eux, des fidèles avec leurs pasteurs, des pasteurs entre eux, de l’Église avec l’État, etc., ont été examinées avec soin et sous différents points de vue ces dernières années. Quelques livres et de nombreuses brochures ont été publiés ; outre les travaux de MM. Bauty, Grandpierre, Burnier, Rochat, Guers, F. Olivier, Panchaud, Moulinié, Monsell, Darby, van Muyden, etc., nous citerons spécialement la Théorie de l’Église, du docteur Schérer, traitée au point de vue scientifique ; les Recherches de A. Bost, relatives à l’organisation de l’Église, ouvrage qui renfermait en germe la formation de l’Alliance évangélique ; l’Éssai de Vinet, où le plus puissant talent vient en aide à la conviction la plus arrêtée quant à la nécessité de maintenir l’autonomie de l’Église, en la séparant de l’État ; enfin la Réponse de M. de Rougemont au livre de M. Vinet, la plus solide des nombreuses réfutations que ce travail a fait surgir, et l’une des meilleures sous le rapport de l’esprit chrétien.
Les questions d’Église ne peuvent avoir de gravité qu’autant qu’elles impliquent des questions de foi, de fidélité et de liberté ; en dehors de là tout est volontaire, parce que les Églises sont des associations librement consenties qui doivent travailler, chacune pour sa part et suivant les circonstances dans lesquelles elle se trouve, au plein développement de la vie spirituelle de leurs membres. Il ne peut pas plus y avoir un moule pour les Églises, qu’il n’y en a pour l’individualité humaine. À tout être vivant sa forme et son élément, mais à tous la vie.