Verset à verset Double colonne
Les prophéties concernant les peuples païens forment un groupe particulier, dans le livre d’Ésaïe comme dans ceux de Jérémie (chapitres 46 à 51) et d’Ézéchiel (chapitres 25 à 32). À ce groupe (chapitres 13 à 27) se rattache le grand morceau sur la fin des temps, chapitres 24 à 27, qui en forme la clôture. Les chapitres 13 à 23 comprennent quinze morceaux ; dans le nombre, deux ne se rapportent pas à des païens (chapitre 22) ; on verra plus loin pour quelles raisons ils ont néanmoins trouvé place dans ce groupe d’oracles.
Les sujets de ces quinze discours sont :
L’ordre suivi dans l’arrangement de ces morceaux n’est pas très systématique. En tête vient Babel, avec l’Assyrie, à laquelle elle a succédé dans le rôle de monarchie universelle et hostile à Israël ; l’on passe ensuite aux petits États voisins de Juda, en commençant par l’ouest (Philistins), en suivant par l’orient (Moab) et en finissant par le nord (Éphraïm, Syrie) ; ici, l’on retrouve encore une fois l’Assyrie ; puis l’on se tourne vers la grande puissance du sud, l’Égypte-Éthiopie, qui remplit trois chapitres. Les chapitres 21 et 22 (Babel, Édom, l’Arabie, Jérusalem) forment, comme nous le verrons, un petit livre dans le grand. Enfin Tyr (l’occident) clôt ce groupe d’oracles, dont le cadre semble avoir été tracé par le prophète dans l’énumération qu’il fait, Ésaïe 11.11-14, des pays où Israël doit aller en exil.
L’idée générale qui pénètre toute cette série de discours est celle de la chute de toutes les puissances ennemies d’Israël et de la soumission finale des païens au règne de Dieu. L’élément messianique n’occupe pas autant de place dans cette partie que dans la précédente (chapitres 2 à 12), mais il n’en est pas absent et il reçoit des développements nouveaux dans le morceau de clôture, chapitres 24 à 27.
La position que Babylone occupe parmi les peuples païens explique la place de cette prophétie, qui répond, comme ouverture, au morceau final chapitres 24 à 27. Deux parties :
Sentence. Le mot hébreu massa se prend en général dans un sens défavorable : sentence de condamnation.
Babylone, en hébreu Babel. Cette ville, située sur les deux rives de l’Enphrate, dans la plaine de Sinéar ou Mésopotamie, fut, dès les temps les plus reculés, le principal siège de la civilisation chaldéenne. Au temps d’Ésaïe, elle faisait partie de l’empire assyrien, dont elle s’efforçait de secouer le joug (voir introduction ; Ésaïe 39.1, note). Sa situation centrale, entre le sud-ouest et le nord de l’Asie, lui donnait une grande importance commerciale. Voir, sur les origines de cette ville et sur le sens du nom de Babel, Genèse 11.9, note ; et sur sa splendeur, dans les temps qui précédèrent sa ruine, Daniel 4.30, note.
Révélée à Ésaïe. Beaucoup de critiques ne croient pas pouvoir attribuer à Ésaïe la composition du morceau Ésaïe 13.1 à 14.23. Les raisons pour lesquelles on la lui refuse étant en général les mêmes que celles qu’on allègue contre l’authenticité des chapitres 40 à 46, nous les examinerons dans l’introduction à cette dernière partie du livre.
Nous nous bornerons à remarquer ici :
L’Éternel rassemble ses troupes pour les conduire contre Babylone (verset 25) ; à leur approche l’effroi saisit les habitants de la grande cité (versets 6 à 8).
Élevez un étendard. L’image est familière à Ésaïe (Ésaïe 5.26 ; Ésaïe 11.10 ; Ésaïe 18.3). C’est l’Éternel qui parle ; il commande aux Israélites captifs en Babylone de donner le signal aux Mèdes (verset 17), les exécuteurs de sa vengeance. Comparez Jérémie 50.9 ; Jérémie 51.11.
Les portes des princes : les portes de Babylone. La ville avait, d’après Hérodote, cent portes d’airain. Comparez Ésaïe 45.1-2.
Ceux qui me sont consacrés. C’est une guerre sainte que les Mèdes vont entreprendre : Jéhova les a pris à sa solde contre Babylone (comparez Jérémie 50.9 ; Jérémie 51.11), comme auparavant il s’était servi d’Assur pour châtier Israël (Ésaïe 10.5).
Les Mèdes étant ici les instruments de Dieu, le prophète leur prête les sentiments qui conviennent à une telle œuvre : ils triomphent d’avance ; ils savent que la victoire leur est assurée parce que c’est Dieu qui les conduit.
À partir de ce verset, c’est le prophète qui parle de nouveau.
Les montagnes où Dieu passe en revue son armée sont celles qui bornent au nord la Chaldée et d’où vont se précipiter les masses de peuples qui détruiront Babylone (Jérémie 51.27).
L’extrémité des cieux : l’horizon où le ciel paraît toucher la terre ; ici l’extrême nord. Comparez Ésaïe 5.26.
Toute la terre. L’empire babylonien embrasse tout le monde connu ; le jugement qui le frappe atteint toute la terre.
Le jour de l’Éternel : voyez Ésaïe 2.12, note. Le jugement de Babylone est le premier et grand acte du jugement du monde. Le texte de Joël 1.15 est évidemment sous les yeux de l’auteur. Comparez avec ce qui suit le tableau tracé par ce prophète de la journée de l’Éternel (Joël 2.1-11 ; Joël 2.30-31 ; Joël 3.14-16).
Enflammés : par suite de l’extrême agitation qui s’empare des habitants.
Le jour du châtiment est arrivé : les cieux et la terre sont ébranlés, les pécheurs anéantis, les fiers habitants de Babylone livrés sans pitié à la mort et aux derniers outrages.
Les étoiles d’Orion. Le pluriel hébreu kesilim peut désigner le groupe d’étoiles qui composent la constellation d’Orion ; c’est le sens exprimé par notre traduction. On peut aussi le traduire par les Orions du ciel, c’est-à-dire Orion et les autres constellations, parmi lesquelles il est souvent mentionné comme l’une des plus brillantes (Job 9.9 ; Job 38.31 ; Amos 5.8). Le jugement de Dieu est souvent représenté sous l’image d’un bouleversement des cieux et de la terre. Psaumes 18.8-16 ; Habakuk 3.3-11 ; Agée 2.6.
Comparez Ésaïe 2.10 et suivants.
Ophir : contrée de l’Orient, d’où l’on tirait l’or le plus estimé (Job 28.16 ; Psaumes 45.10). Sur la situation de cette contrée, voir 1 Rois 9.28, note.
Chacun se tournera vers son peuple. Il s’agit des étrangers séjournant à Babylone pour leur commerce ou leurs plaisirs, peut-être aussi de ceux qui sont captifs. Tous fuient en hâte vers leurs pays, de peur de partager sa ruine. Comparez Jérémie 46.16 ; Jérémie 50.8 ; Jérémie 50.16 ; Jérémie 50.28 ; Jérémie 51.6 ; Jérémie 51.9 ; Jérémie 51.45. Comparez dans Osée 13.16 ; Nahum 3.10 ; Zacharie 14.2 les mêmes traits appliqués au jugement de Samarie, de Ninive et de Jérusalem. Le psalmiste (Psaumes 137.9) fait peut-être allusion à notre passage en exprimant sous forme de vœu ce qui est ici énoncé simplement comme un fait. Voir la note sur ce passage.
Les Mèdes n’épargneront personne : Babylone deviendra un désert peuplé de bêtes sauvages.
Les Mèdes, seuls nommés ici, représentent toutes les populations de l’Iran et de l’Arménie, dont ils étaient, au temps d’Ésaïe, la tribu dominante. Ils subissaient à cette époque la suzeraineté de l’Assyrie. Un siècle plus tard, leur chef, Cyaxare premier s’allia aux Babyloniens pour attaquer Ninive, qui fut prise en 606 ; Cyaxare II (Darius le Mède de Daniel) et son neveu et allié, le Perse Cyrus, prirent Babylone en 538. Avec Cyrus la prépondérance passa des Mèdes aux Perses. Ces derniers sont nommés pour la première fois dans le livre d’Ézéchiel. Le fait que les Mèdes sont seuls mentionnés ici est peu favorable à la composition de notre morceau à l’époque de la captivité de Babylone.
N’estiment pas l’argent… Ce peuple est trop barbare pour faire même une guerre de pillage ; il n’a que faire de l’argent, il lui faut du sang pour venger sur Babylone l’oppression qu’elle a fait peser sur tous les pays qui l’environnent.
Leurs arcs écraseront… : ils tuent les enfants à bout portant, ou les assomment de leurs arcs ; la bataille est finie, le massacre a commencé. Les Mèdes et leurs voisins, Perses, Parthes, etc., étaient des archers renommés dans l’antiquité (Hérodote VII, 61 et suivants ; Xénophon, Cyropédie I, 6 et suivants). Leur cruauté, était bien connue. Comparez Jérémie 49.35 ; Jérémie 50.42.
Fruit des entrailles : allusion à la coutume d’éventrer les femmes enceintes (2 Rois 8.12).
L’ornement des royaumes. La magnifique cité était la gloire de l’empire chaldéen, composé d’un grand nombre de royaumes conquis. On peut aussi prendre cette expression dans le sens d’un superlatif et entendre : Babel, le plus brillant, le plus puissant, la perle des royaumes.
Chaldéens (en hébreu Kasdim, en assyrien Kaldim). Ce nom sert dans la Bible à désigner aussi bien l’antique État fondé, plus de deux mille ans déjà avant Jésus-Christ, dans la partie méridionale de la Babylonie, que l’empire néo-chaldéen de Nébucadnetsar (voyez Genèse 11.28). Le pays de Kaldi, dans les inscriptions, est proprement la Basse-Mésopotamie, qui s’étend jusqu’au golfe Persique.
Semblable à Sodome… c’est-à-dire complètement anéantie (Ésaïe 1.9, Jérémie 50.40).
Comparez Jérémie 50.39.
Arabe : l’habitant nomade des steppes situées au sud de la Mésopotamie.
Comparez avec les versets 21 et 22 : Ésaïe 34.13-14 ; Jérémie 50.39.
Satyres. Le mot hébreu signifie velu, hérissé ; il se dit des boucs ; il désigne probablement ici les démons qui étaient censés habiter les ruines. Les habitants actuels de la contrée croient encore à l’existence de mauvais esprits dans les ruines de Babylone et un voyageur moderne y rencontra des adorateurs du démon qui y célébraient de nuit un culte étrange. Comparez les saltantes satyri de Virgile. D’après la Bible elle-même, le désert est l’habitation des esprits impurs (Matthieu 12.3).
Les chacals : animal très commun en Orient, qui appartient au genre chien ; son nom hébreu ij, pluriel ijim, vient peut-être de son cri lugubre. Les chiens sauvages désignent sans doute une des nombreuses variétés du chacal. Tous les animaux mentionnés versets 21 et 22 existent actuellement dans les ruines de Babylone.
Son temps est près… Les prophètes annoncent le jour de l’Éternel comme prochain et définitif. Le jugement se concentre pour eux dans un tableau unique ; mais, dans la réalité, les différentes phases ne se déroulent que successivement et selon les vicissitudes de la liberté humaine.
L’histoire présente l’accomplissement presque littéral des différents traits de la description du chapitre 13. Babylone fut prise par Cyrus après un long siège (538) ; elle se révolta ; Darius, fils d’Hystaspe, l’assiégea pendant 19 mois et la prit en 518 ; il abattit une partie des murailles, combla les fossés et dépeupla la ville. Xerxès pilla le temple de Bélus. Alexandre-le-Grand entreprit de relever Babylone et en fit sa résidence. Elle ne refleurit que pour un moment. Séleucus Nicator la prit en 312 et consomma sa ruine en fondant non loin de là la nouvelle capitale de Séleucie sur le Tigre. Strabon dit à l’époque de Jésus-Christ que de son temps la grande ville était un grand désert. Une colonie juive existait à Babylone au commencement de l’ère chrétienne (1 Pierre 5.13). Dès lors, cette ville est retombée dans l’oubli. Ses ruines ont maintes fois fourni des matériaux pour la construction des villes de la contrée environnante (de Bagdad, par exemple, située à 60 kilomètres plus au nord). Aujourd’hui, l’emplacement de Babylone est une vaste solitude ; à peine y trouve-t-on quelque végétation. Au milieu de la plaine s’élèvent çà et là des collines de décombres. De leur sommet on ne voit que le désert traversé par le large ruban de l’Euphrate. Quelques villages existent près de ces ruines colossales : le principal est la bourgade de Hillah, sur la rive gauche de l’Euphrate, dont la situation marque à peu près le centre de l’ancienne Babylone.