Verset à verset Double colonne
1 Sentence de l’Égypte. Voici, l’Éternel est porté sur un nuage léger ; il entre en Égypte ; les idoles de l’Égypte tremblent à son approche, et le cœur de l’Égypte se fond au-dedans d’elle.Le sujet de cette prophétie est la chute de la puissance de l’Égypte et la conversion finale de ce peuple à Jéhova. Elle est ainsi le pendant de la précédente, qui annonçait la conversion de l’Éthiopie. Rien dans ce morceau ne permet de fixer exactement la date de sa composition ; mais il nous paraît probable qu’il appartient à la même époque que les deux précédents. Cette prophétie a, en effet, pour but, comme celles du chapitre 18 et du chapitre 20, de détourner Israël de la funeste politique de l’alliance égyptienne.
Ce chapitre s’ouvre par le tableau des calamités qui vont frapper l’Égypte (versets 1 à 10) ; il décrit ensuite l’impuissance de ses chefs à rien faire d’efficace pour la sauver (versets 11 à 15) ; il se termine par la promesse de sa conversion finale et de sa guérison par Jéhova (versets 11 à 15). Une belle symétrie règne dans ce morceau, l’un des plus limpides qu’ait composés Ésaïe : la dernière partie répond à la première ; la bénédiction efface les effets cruels du châtiment ; la partie intermédiaire, plus courte, forme la transition de l’une à l’autre : l’apogée de la détresse est le point de départ de la conversion.
Le prophète contemple le jugement qui va fondre sur l’Égypte : guerre civile, domination étrangère, épuisement de toutes les ressources du pays.
Porté sur un nuage… Les nuées sont souvent, représentées comme le char de Jéhova (Psaumes 18.10-11 ; Psaumes 104.3).
Les idoles de l’Égypte tremblent : car elles se souviennent d’avoir déjà ressenti une fois la puissance de son bras (Exode 12.12).
Comparez Ésaïe 3.5. L’Égypte a été à bien des reprises, dans le cours de son histoire, agitée par la lutte des dynasties rivales. La guerre civile annoncée ici est probablement celle qui suivit la chute de la dynastie éthiopienne et qui donna naissance à la dodécarchie ou division de l’Égypte en douze États séparés ; Psammétique mit fin à cette situation et reconstitua la monarchie égyptienne, vers 670.
L’âme de l’Égypte…, nous dirions : ce qui faisait sa supériorité sur peuples ; l’énergie intellectuelle et morale de l’Égypte se perdra dans ces agitations et elle sera hors d’état de parer aux dangers qui la menacent du dehors (voir verset 4). Le recours aux idoles ne servira de rien ; que pourraient-elles contre Jéhova (verset 1) ?
Enchanteurs. Le mot hébreu vient d’un verbe qui signifie cacher, faire sans bruit. Il s’agit des formules mystérieuses employées par les évocateurs.
Un maître dur, un roi redoutable : selon quelques-uns, Psammétique, dont la dynastie fit peser un joug très dur sur l’Égypte. Nous pensons plutôt avec d’autres qu’il s’agit du roi d’Assyrie, qui joue le grand rôle dans toute la série de discours Ésaïe 14.24 à 23.18. Comparez chapitre 20 et Ésaïe 19.23-25, où est décrite la paix qui unira un jour l’Assyrie et l’Égypte et mettra fin à leur inimitié actuelle. On sait que l’Égypte fut conquise par Asarhaddon et Assurbanipal (voir introduction et Ésaïe 20.4, note).
La mer : ici le Nil, appelé une mer par les anciens à cause de sa largeur, surtout durant la saison de l’inondation ; les Égyptiens actuels le nomment encore ainsi (El-Bahr). Le dessèchement de ce fleuve, auquel l’Égypte doit sa fertilité et sa richesse, a pour résultat la ruine complète du pays. On ne peut guère prendre à la lettre la description versets 5 à 10, il faut y voir le tableau hyperbolique de l’état de complète désolation auquel le pays sera réduit par le conquérant étranger, plutôt que l’annonce d’une nouvelle plaie qui viendrait s’ajouter à celles de l’anarchie et de l’invasion.
Les pécheurs gémiront ; car les poissons périssent dans le fleuve desséché. L’industrie de la pêche s’exerçait sur une grande échelle. Les représentations qui s’y rapportent sont fréquentes dans les tableaux égyptiens.
Deux autres industries, des plus importantes pour la prospérité du pays, sont également ruinées par le manque d’eau. On cultivait et tissait en Égypte le lin, dont on fabriquait les vêtements des prêtres et les linceuls des momies et le coton, qui servait aux habillements ordinaires. Les produits des manufactures égyptiennes étaient très-renommés chez les anciens.
Les colonnes du pays : les castes supérieures, celles des prêtres et des guerriers, qui avaient en leurs mains le gouvernement de l’État.
Les ouvriers : la caste inférieure, celle des journaliers ou fellahs. Toutes les classes sont également frappées. Comparez verset 15.
Les princes de l’Égypte et ses sages l’égarent : ils ne savent pas reconnaître dans ces jugements le doigt de Dieu et invoquer son nom ; aussi rien de ce qu’ils tenteront pour sauver le pays ne réussira.
Tsoan : l’antique ville de Tanis, dans le Delta, sur la rive orientale de la bouche du Nil dite tanitique ; cette ville a été le siège de deux dynasties égyptiennes (comparez Ésaïe 30.4) ; ses ruines, nommées San, sont voisines du lac Menzaleh.
Les plus sages conseillers… Les prêtres égyptiens étaient les conseillers habituels des rois ; leur sagesse est vantée dès la plus haute antiquité (Actes 7.22 ; 1 Rois 4.30 ; Hérodote, livre II). Ils formaient la caste dominante ; les rois étaient généralement d’origine sacerdotale ; ils étaient envisagés comme des prêtres et devaient adopter le genre de vie de cette caste.
Noph : Memphis, dans l’Égypte moyenne, sur la rive gauche du Nil, entre les villages actuels de Saccarali et de Ghizeh, à peu de distance du Caire. Cette ancienne capitale a été le siège de plusieurs dynasties ; Psammétique en fit la résidence du gouvernement.
Pierre angulaire… : la caste des prêtres, base de tout l’édifice social des Égyptiens.
L’Égypte, abusée par ses chefs, est comparée a un homme ivre qui trébuche et reste gisant dans ce qu’il a vomi (Jérémie 48.26 emploie la même image en parlant de Moab). Tout le monde perd la tête : cet effarement général est un jugement de Dieu. Comparez Ésaïe 29.9-10. L’histoire ancienne et moderne offre plusieurs exemples d’un pareil état de choses, où les individus sont emportés par la masse, poussée elle-même par une fatalité supérieure.
Tête et queue… : voyez Ésaïe 9.13
Sous le coup de ce châtiment, l’Égypte se convertira au vrai Dieu et sous son sceptre, ne formera plus qu’un empire avec Israël et l’Assyrie.
L’Égypte n’a plus foi aux idoles ; elle reconnaît dans le Dieu d’Israël l’auteur de la catastrophe qui l’a frappée.
La main de l’Éternel, qu’il lève, Comparez Ésaïe 11.15
Le pays de Juda est redouté des Égyptiens, comme résidence de l’Éternel, dont ils viennent d’éprouver la puissance.
Le tremblement (versets 16 et 17) est cette crainte salutaire qui prélude à la conversion (versets 18 à 22).
Cinq villes… Le nombre 5 a ici une valeur symbolique : il représente la moitié de la totalité (10). Le sens est qu’une grande partie du peuple égyptien se convertira au vrai Dieu.
La langue de Canaan : la langue hébraïque. Ce trait ne doit pas plus être pris à la lettre que le nombre des villes ; c’est une manière d’exprimer l’idée que les Égyptiens seront réunis aux Juifs pour former le peuple de Dieu. Au point de vue de l’Ancien Testament, adopter la vraie religion, c’est se joindre, à Israël et parler sa langue, qui est celle de la révélation de Jéhova.
Par la langue, il indique figurément la confession ; Dieu n’était alors connu et confessé que dans cette langue. Les Égyptiens ne pourront parler la langue de Canaan qu’après avoir renoncé à la leur, c’est-à-dire à leurs superstitions.
Il y a des rapports profonds entre la langue et la religion de chaque peuple.
Ir-ha-Hérès. Cette leçon, qui est celle du texte hébreu le plus répandu, signifie ville de destruction. Ce nom se rapporterait à la destruction des temples des idoles. Mais il existe une variante très-ancienne et appuyée par des autorités respectables, d’après laquelle on devrait lire Ir-ha-Chérès, c’est-à-dire ville du soleil. Nous inclinons à la tenir pour la leçon originale et à y voir une allusion à la ville sacrée de On ou Héliopolis (ville du soleil), qui, dès les temps les plus anciens, fut le siège du culte du soleil dans la Basse-Égypte (Genèse 41.45). Ésaïe veut dire que les centres mêmes de l’idolâtrie égyptienne seront un jour sanctifiés par le culte de l’Éternel.
Les Juifs d’Égypte se sont servis plus tard de ce passage pour justifier l’existence du temple que leur grand-prêtre Onias construisit un siècle et demi avant Jésus-Christ à Léontopolis, non loin de On. Les Juifs de Palestine abhorraient ce temple ; et peut-être la leçon Ir-ha-Hérès (ville de destruction) provient-elle de là ; quelques manuscrits lisent même Ir-ha-Chérem : ville de malédiction.
Tout le pays sera consacré à Jéhova. Au milieu, un autel, à l’entrée du pays un obélisque (semblable à ceux qui étaient consacrés au soleil à Héliopolis), sont élevés à son honneur et indiquent à quiconque met désormais le pied en Égypte que ce pays est celui de l’Éternel. Cet autel et cet obélisque sont des symboles. La réalisation de ces promesses a commencé avec la diffusion du judaïsme en Égypte pendant la période de la domination grecque ; c’est dans ce pays que l’Ancien Testament a été traduit en grec, la langue universelle à cette époque. Ainsi se répandit chez tous les peuples la religion d’Israël et la connaissance de l’Ancien Testament, qui fraya la voie au christianisme (voir le livre des Actes). La prompte christianisation de l’Égypte, aux premiers siècles de l’Église et le rôle important qu’elle joua dans la diffusion de l’Évangile, sont les préludes de l’accomplissement parfait, qui est encore à venir.
Dieu traitera l’Égypte comme il a traité son peuple. Mêmes expressions dans le livre des Juges pour décrire les châtiments et les délivrances d’Israël.
Comparez Deutéronome 32.39
Dans le même temps, Assur se convertira également à l’Éternel et la paix régnera entre les deux grandes puissances, toujours hostiles au temps d’Ésaïe.
La route d’Égypte en Assyrie est l’emblème des relations pacifiques qui s’établiront entre elles sous le sceptre du Messie (Ésaïe 2.2-4).
En ce temps-là Israël accomplira la mission que lui assignaient les promesses divines : il sera une bénédiction pour toute la terre (Genèse 12.1-3). Car, placé entre ces deux grands peuples, c’est lui qui leur communiquera la connaissance de Jéhova. Alors l’alliance de Dieu s’ouvrira pour les recevoir ; ils jouiront des mêmes faveurs que lui et seront ses égaux. La promesse Osée 2.21-23 s’accomplira pour eux aussi.
Israël n’aura d’autre privilège que celui de la priorité, délicatement indiqué par le mot héritage : Dieu n’acquiert pas, en effet, Israël seulement alors comme les deux autres ; dès longtemps il le possède ; Israël est le fils aîné entre les trois frères. Il est évident que, dans la pensée du prophète, l’Assyrie et l’Égypte figurent ici comme types du monde païen dont ils étaient alors les principaux représentants aux yeux d’Israël. Leur conversion signifie donc l’incorporation future de toutes les nations au royaume de Dieu. Cette grande pensée est rendue plus saisissante par les rapports hostiles dans lesquels Israël s’est trouvé pendant des siècles avec ces deux peuples et les traitements cruels qu’il a subis de leur part, La grandeur morale, la largeur de vues qui règnent dans tout ce passage, en font un des points culminants de la prophétie de l’Ancien Testament. On peut voir ici combien il est injuste d’attribuer, comme on le fait quelquefois, aux prophètes israélites les sentiments d’un particularisme étroit et haineux. Leur patriotisme est éclairé et purifié par la sublime conception du règne futur et universel de Dieu. De telles pensées ne sont point naturelles au cœur de l’homme.