Verset à verset Double colonne
Les prophéties sur l’Égypte se terminent, comme celles relatives à Tyr, par une double complainte. La première (versets 1 à 16) décrit la chute de la puissance égyptienne, la seconde (versets 17 à 32), la descente au schéol de l’Égypte et de son roi. Entre les derniers discours adressés à Pharaon et ces deux chants funèbres, se sont écoulés une vingtaine de mois, période importante durant laquelle eurent lieu la destruction de Jérusalem et la fuite en Égypte des restes du peuple. Ces deux complaintes ne sont séparées l’une de l’autre que par un intervalle de quinze jours.
Le prophète rappelle d’abord la grandeur de Pharaon (verset 2) ; puis il décrit sa chute (versets 3 à 6) et l’effet produit par cet événement sur le monde entier (versets 7 à 10) ; enfin il désigne le roi de Babel comme l’instrument de ce jugement (versets 11 à 15).
Lion des peuples. Ce terme représente Pharaon comme celui qui dévorait les nations ; l’Égypte avait pendant des siècles été la grande puissance conquérante.
Sur la seconde image, celle du crocodile, comparez Ézéchiel 19.3, note.
Dans les mers. Le Nil, à cause de ses débordements, est souvent appelé mer (Ésaïe 19.5 ; Ésaïe 27.4).
Dans tes fleuves. Ce terme, ainsi que celui de canaux, qui suit, désigne les nombreux canaux d’irrigation qui traversaient l’Égypte en tous sens.
Tu troublais…, embourbais… On a rapporté ces expressions à la politique sourde et remuante, par laquelle l’Égypte cherchait à soulever les peuples voisins contre les grandes puissances orientales qui la menaçaient. C’est plutôt l’image du rôle despotique et malfaisant qu’ont joué bien des rois égyptiens envers leur propre peuple.
Au moyen d’une grande multitude. Les peuples sont eux-mêmes le filet.
Comparez Ézéchiel 29.5.
Le peuple égyptien tout entier est personnifié dans son roi ; les cadavres couvriront les montagnes et le sang, remplaçant en quelque sorte le Nil, inondera la plaine.
Je voilerai : À la vue de ce désastre, les cieux se voilent. Peut-être y a-t-il allusion à ce que l’on identifiait parfois le crocodile, emblème de l’Égypte, avec la constellation du dragon (comparez Job 3.8 ; Job 26.12-13). Ainsi s’expliquerait l’expression : en t’éteignant.
L’étonnement et la consternation de la terre sont représentés sous l’image d’un obscurcissement général du ciel ; comparez Joël 2.10 ; Ésaïe 13.10 ; Ésaïe 50.3.
Application de l’image versets 7 et 8. À la vue d’un plus puissant qu’eux tombant sous le glaive de l’Éternel, tous ces rois croiront voir ce glaive suspendu sur leur propre tête.
Sens : l’Égypte sera privée d’habitants et de bestiaux.
Le contexte ne permet pas de voir ici la promesse d’une bénédiction, comme si l’huile était le symbole du retour de la faveur divine. Il n’y aura plus personne là pour troubler le cours de l’eau, qui coulera limpide et calme.
Cette conclusion répond au préambule verset 2.
Les filles des nations : ce ne sont pas ici les nations personnifiées, mais les jeunes filles dans chaque nation ; c’étaient elles qui chantaient dans les cérémonies funèbres (Jérémie 9.17 ; Jérémie 9.20).
Cette seconde complainte forme une gradation sur la précédente ; elle représente, sous l’image d’une descente au schéol (le séjour des morts), l’état de dépendance et d’impuissance auquel est désormais condamnée l’Égypte (comparez Ésaïe 14.9-20). Elle est divisée en sept strophes ; la première et la dernière se rapportant à l’Égypte et les cinq autres à d’autres nations dont la ruine est rappelée à l’occasion de la sienne.
L’indication du mois est omise ; mais ce n’est pas ici une négligence comme Ézéchiel 26.4. Le mois est certainement le même qu’au verset 1.
Fais-la descendre. La parole du prophète étant celle de Dieu, il exécute en la prononçant le jugement qu’il annonce (Jérémie 1.9-10).
Les filles des nations. Ce sont ici les nations elles-mêmes personnifiées. Ces mots se rapportent spécialement aux différents peuples mentionnés ensuite. La complainte prend ainsi le caractère d’un chant de mort sur le monde païen tout entier.
Vaux-tu mieux… ? La réponse est : Nullement. Malgré ta puissance, tu n’échapperas point au sort de toutes tes sœurs.
Qu’on fasse ta couche. Le sépulcre où est couché le corps est identifié avec le schéol où l’âme descend et l’habitation dans celui-ci avec l’état d’impuissance du cadavre.
Auprès des incirconcis : voir Ézéchiel 31.18, note.
L’épée est donnée : à Nébucadnetsar ; comparez Ézéchiel 21.14 ; Ézéchiel 21.24 ; Ézéchiel 21.33 ; Ézéchiel 30.24.
Entraînez l’Égypte. Littéralement : Entraînez-là. C’est un ordre donné à l’armée du roi de Babel.
Lui adresseront la parole. Ce sont les rois jadis alliés de l’Égypte, qui, descendus avant elle dans le schéol, lui souhaitent la bienvenue au milieu d’eux. Comparez Ésaïe 14.9 et suivants.
Assur. Cet empire est placé en tête, comme le plus illustre des ennemis de l’Égypte.
Ses tombeaux. Toujours l’identification des sépulcres avec le schéol (verset 19). Les sépulcres des chefs et des soldats entourent celui du roi.
Elam. Ce pays était situé sur le versant de la haute chaîne qui borne à l’est la plaine de la Babylonie (comparez Jérémie 49.34, note). Il avait été dans les temps les plus antiques le siège d’un empire puissant (comparez Genèse 14.5 ; Genèse 14.9). Les inscriptions récemment découvertes ont permis de reconstruire en partie l’histoire de la monarchie des Kudur, à laquelle appartenait le Kédor-Laomer dont il est parlé Genèse 14.1. La répétition presque identique des mêmes phrases que dans les versets 22 et 23, serait étrange, si l’on ne se souvenait que ce sont là des refrains qui conviennent au caractère de la chanson populaire dont cette complainte affecte la forme.
Mésec et Tubal : peuples septentrionaux (Ézéchiel 27.13, note). Une quarantaine d’années avant le moment où écrivait Ézéchiel, des hordes innombrables de Scythes, venant du nord, avaient fait irruption en Syrie, en Babylonie, en Palestine et jusqu’en Égypte, en ravageant tout sur leur passage, mais elles s’étaient comme fondues sans presque laisser de trace de leur existence. Il est probable que c’est à cet événement que pense le prophète (Hérodote I, 106).
Ils ne seront point couchés… Les cadavres de cette multitude désordonnée ne seront point enterrés régulièrement comme ceux des hommes vaillants qui ont péri en combat régulier et qu’on enterre honorablement avec leur armure.
Toi aussi. Ces mots pourraient s’adresser à Mésec et à Tubal. Mais pourquoi distinguer ainsi ces deux peuples de tous les autres ? C’est plutôt une apostrophe à l’Égypte, qui sert de point de repos, en rappelant l’occasion de ce chant funèbre ; comparez Genèse 49.18.
En pleine vigueur. Tous ces transpercés sont des jeunes hommes abattus par l’ennemi dans la plénitude du courage et de la force.
Les seigneurs du septentrion…, les Sidoniens… La réunion de ces deux expressions fait présumer que la première se rapporte surtout au roi de Damas et aux princes syriens qui avaient succombé peu de temps avant le royaume des dix tribus (2 Rois 16.9).
C’est ici la clôture de la complainte. En arrivant au séjour des morts, Pharaon se console de sa défaite par la nombreuse société de monarques semblables à lui qu’il y trouve réunie. Il n’y a évidemment rien de personnel dans ce tableau. Il se rapporte au Pharaon collectif qui a exercé la souveraineté sur l’Égypte durant tout le temps de sa force et de son indépendance.
Nous n’avons point insisté sur la formule qui termine à peu près chacun des oracles de ce recueil relatif aux peuples étrangers : Et ils sauront que je suis l’Éternel. Elle caractérise l’importance de l’époque en laquelle prophétisait Ézéchiel. Le moment était arrivé où le monothéisme juif, destiné à devenir la religion de toute l’humanité, allait sortir de l’étroite prison où il avait été enfermé jusqu’alors, franchir les limites de la Palestine et commencer la conquête morale du monde par la destruction du paganisme. C’était là ce qu’exprimait dès le commencement d’une manière frappante et plastique l’apparition de Dieu au-dessus des quatre chérubins (Ézéchiel 1.28, note). C’est là ce que rappelle avec insistance le refrain dont nous parlons. Il ne renferme pas expressément la promesse du salut en faveur des restes de tous ces peuples étrangers, telle qu’on la trouve dans les prophéties d’Ésaïe et de Jérémie (comparez Jérémie 48.47 ; Jérémie 49.6 ; Jérémie 49.39). C’est simplement l’anticipation de l’hommage qui sera rendu au nom de Jéhova par toute l’humanité, dans laquelle les restes de ces nations se seront fondus, lorsque, sous le poids des jugements dont elle sera frappée, elle abandonnera les idoles et proclamera Jéhova le Dieu unique. Le jugement du monde, ici décrit, est nécessaire pour que le monde se soumette à l’Éternel. Aucune nation païenne, encore au faîte de sa splendeur, ne délaisserait ses idoles pour donner gloire à Dieu. Pour qu’un peuple reconnaisse ainsi la souveraineté de Jéhova, il faut que sa force ait été brisée.