Verset à verset Double colonne
La critique actuelle elle-même n’hésite pas à accepter comme authentique la donnée renfermée dans le premier verset. Et en effet la vivacité et la fraîcheur des sentiments qui se font jour dans cette hymne, l’ardent patriotisme qui l’inspire, la haine farouche d’un cœur ulcéré par la longue oppression dont il a été témoin et dont il a souffert lui-même, les détails pittoresques de l’état de terreur où avait été plongé le pays, la précision avec laquelle sont citées les tribus qui ont pris part au combat et le mépris avec lequel sont signalées les autres, le tableau dramatique de l’arrivée de l’armée ennemie, l’ironie amère avec laquelle sont décrites l’attente anxieuse de la mère de Sisera et les consolations de ses femmes, tout cela témoigne d’un auteur qui a assisté lui-même à tout ce drame et en a partagé toutes les émotions. Ce chant de victoire, dit Ewald, nous montre comment, dans ces temps bien antérieurs à David, l’art s’unissait déjà à la simplicité ; il joint à un plan noble et grand une exécution très belle et régulière. Ce modèle de chant de victoire est de huit siècles antérieur à Pindare.
On reconnaît dans la manière dont sont opposées les deux figures de Jaël et de la mère de Sisera les émotions d’un cœur de femme.
Chanta… avec Barak. Il est naturel de supposer, surtout quand on pense aux mœurs de l’Orient, que ce fut dans le jour de fête où l’on célébra cette victoire, que Débora et Barak chantèrent ce cantique devant le peuple assemblé pour cette solennité. Peut-être cette déclamation était-elle accompagnée de musique et même d’une représentation scénique, comme dans la célébration populaire récente de la bataille de Sempach. Cet hymne triomphal comprend trois tableaux, de dix versets chacun :
On peut remarquer un certain rythme, rigoureusement observé dans les deux premières, d’après lequel chaque partie contient, à la suite du premier verset qui lui sert d’introduction, trois strophes de trois versets chacune.
C’est Dieu qui est l’auteur de la délivrance. Après un long temps d’apathie et de lâche soumission, il a fait qu’il s’est enfin trouvé des chefs pour appeler le peuple à la résistance et le peuple leur a joyeusement répondu. Loué soit l’Éternel qui a fait cela !
L’Éternel vient de se montrer aussi puissant et secourable en faveur des siens qu’aux jours d’autrefois.
Écoutez, rois … : les rois et princes voisins, aux oreilles desquels parviendra l’écho de cette fête, ils apprendront les grandes choses qu’a accomplies l’Éternel pour son peuple (Deutéronome 32.1 ; Ésaïe 1.2-10).
Moi … celle que l’Éternel a choisie pour donner le signal de ce relèvement et à qui il appartient d’élever avant tout autre la voix pour le célébrer.
L’intervention puissante de l’Éternel dans cette bataille a été comme une répétition de son apparition merveilleuse sur la montagne de Sinaï. Dans Deutéronome 33.2, cette apparition était décrite sous l’image d’un lever de soleil qui a illuminé toutes les contrées d’alentour (Séir et Paran) ; ici elle est dépeinte sous celle d’un orage qui, venant de Séir, du côté du désert, s’est abattu sur Sinaï, l’a ébranlé jusqu’en ses fondements et s’est déversé dans une pluie torrentielle ; comparez Exode 19.18. Cette même scène vient de se répéter en faveur du peuple ; et c’est ainsi que l’ennemi a été anéanti. Il est naturel de conclure de ce passage que la victoire d’Israël sur Sisera avait été facilitée par un violent orage, accompagné d’averses abondantes qui avaient détrempé le sol, rendu difficile la marche des chars et grossi le ruisseau du Kison au point d’en faire un torrent capable de rouler les cadavres des vaincus jusqu’à la Méditerranée.
Ce Sinaï. Elle voit en pensée la sainte montagne du Sinaï ébranlée jusqu’en ses bases par l’approche de l’Éternel. L’image de la pluie n’a pas d’appui dans ce récit de l’Exode ; elle doit donc être inspirée par le fait récent dans lequel Débora voit une répétition du fait antique.
À la divine délivrance dont le peuple vient d’être l’objet, Débora oppose les temps d’abandon et de détresse par où il avait passé. C’était le temps de Samgar, dont la valeur (Juges 3.31) n’avait amené qu’une humiliation passagère de l’ennemi.
Aux jours de Jaël. Ce nom, qui ne peut désigner ici Jaël la Kénienne (chapitre 4) car le poète oppose précisément le temps actuel à celui de Jaël, doit s’appliquer à un juge pareil à Samgar, qui avait accompli un acte d’éclat, mais sans résultat durable pour le relèvement de la nation. La formule aux jours de est généralement appliquée à des hommes revêtus d’une charge publique (Juges 8.28 ; 1 Samuel 17.12 ; 2 Samuel 21.1).
Abandonnées ; par crainte des bandes ennemies et des brigands qui infestaient le pays.
Le gouvernement manquait. Le sens de ces mots est douteux. On traduit aussi : les villages étaient délaissés.
Une mère en Israël : une protectrice qui s’élève spontanément pour la défense de son peuple, mue par un amour semblable à celui d’une mère pour ses enfants.
L’idolâtrie prévalait et bientôt l’ennemi arrivait, poursuivant les habitants jusqu’aux portes des villes où ils se réfugiaient.
Voyait-on … ? Pas un guerrier qui osât se porter en armes à la rencontre de l’ennemi !
Chez quarante milliers en Israël : quarante, nombre rond employé pour désigner une quantité indéfinie.
Mon cœur aux conducteurs… Mon cœur s’élance vers eux, plein d’amour.
Débora invite les diverses classes du peuple à se joindre à ce chant de louange. La première, ce sont les gens de haute qualité qui ont pour monture l’animal le plus estimé, les ânesses blanches ; la seconde, les gens aisés qui, dans leurs maisons, reposent sur de moelleux tapis ; la troisième, les plus pauvres, qui voyagent à pied. Tous doivent maintenant chanter, car ils n’ont plus rien à craindre ni du dehors, ni au dedans.
Par la voix des archers. Que les combattants, réunis le soir auprès des abreuvoirs où le peuple amène ses troupeaux, lui racontent les exploits auxquels ils ont pris part, les péripéties de la victoire à laquelle ils ont assisté ! Ces exploits sont appelés les justices de l’Éternel ; ce sont les vengeances que la justice de l’Éternel a tirées des idolâtres, en faveur de son peuple repentant et suppliant.
Alors le peuple … À la suite de cette délivrance, le peuple, qui s’était réfugié dans les cavernes des montagnes, en est redescendu pour reprendre possession de ses habitations.
Chaque auditeur ou lecteur assiste en quelque sorte à cet acte.
Réveille-toi … Faut-il mettre cet appel il dans la bouche de l’Esprit de Dieu qui stimule Débora à consacrer l’armée pour le combat qui va avoir lieu, par le chant d’un cantique propre à inaugurer ce grand acte ? Ou bien est-ce Barak, qui au jour de la fête invite Débora à reproduire avec toute la verve dramatique dont elle est douée, le tableau de la bataille dans son cantique ? Le second sens paraît plus simple. Débora se transporte ensuite au moment où l’armée se disposait au combat. Elle appelle Barak et le presse de se lever, de fondre sur l’ennemi et de faire une multitude de captifs.
Puis elle se tourne vers l’armée et l’invite à se précipiter du haut du Thabor sur l’ennemi rangé dans la plaine ; elle s’adresse à l’Éternel et le prie de descendre lui-même à son appel au milieu de cette armée de héros.
Débora passe en quelque sorte en revue l’armée qui va se mettre en marche. Elle énumère d’abord les contingents qui ont concouru à former cette petite troupe de braves. Un certain nombre d’Éphraïm sont venus du district qui avait conservé le nom de ses anciens habitants amalékites (Juges 12.15) ; puis de Benjamin ; quelques troupes sont aussi arrivées ; Manassé, également, c’est-à-dire la demi-tribu de ce nom établie à l’est du Jourdain, qui est désignée ici par le nom de Makir, fils de Manassé (Nombres 32.39), a fourni quelques chefs à la tête de leurs troupes. De Zabulon aussi se sont présentés un certain nombre de commandants et de soldats.
Des chefs : littéralement des écrivains, des secrétaires, capables d’écrire et de tenir à jour le catalogue des soldats enrôlés (Jérémie 52.25).
Mais le gros de l’armée, ce sont les princes d’Issacar, qui se sont groupés en masse autour de Débora ; ils sont aussi braves que Barak lui-même.
Elle contemple ensuite en esprit les tribus qui n’ont pas fait leur devoir. Et d’abord, Ruben. Il est resté à délibérer dans son pays coupé de torrents, au-delà du Jourdain.
Là, Ruben écoute commodément le bêlement de ses troupeaux et la flûte de ses pâtres ; cette vie champêtre lui plaît mieux que le bruit du clairon et le cliquetis des armes. C’est à cela qu’ont abouti toutes ses grandes consultations. Dans son pays, il n’avait pas à souffrir de l’oppression de Jabin ; que lui importaient, ses frères ?
Galaad également, c’est-à-dire Gad et la demi-tribu de Manassé situés à l’est du Jourdain. Il a écouté les conseils de l’égoïsme.
Dan, au bord de la mer, n’a pas non plus quitté ses bateaux. Ce qui a été dit Juges 1.34 n’empêche pas que Dan ne possédât quelques localités dans la plaine et sur le bord de la mer. Voir Josué 19.40-46.
Dans ses ports, littéralement : dans ses anses. Les ports manquent sur la côte de Palestine.
Il n’est pas étonnant que cette revue se termine par le nom des deux tribus qui avaient organisé, tout ce grand mouvement (Juges 4.6-10) ; le contraste entre elles et les tribus désignées immédiatement avant, ressort ainsi d’une manière plus frappante. Ce qui a lieu d’étonner davantage, c’est que, tandis que Zabulon avait déià été nommé (verset 14), Nephthali ne l’a point encore été et qu’en échange Issacar soit nommé deux fois au verset 15. On a supposé, non sans raison, qu’au verset 15, dans le second membre, le nom d’Issacar avait remplacé par erreur celui de Nephthali. Cette supposition est d’autant plus probable que par là Nephthali est étroitement uni à Barak, qui était originaire de cette tribu.
Les hauteurs des campagnes. Il s’agit sans doute des collines de la plaine d’Esdraélon où a eu lieu la bataille.
Des rois vinrent. Les rois vassaux de Jabin apparaissent à la tête de leurs troupes.
Des eaux de Méguiddo. De la colline sur laquelle est bâtie Méguiddo, descendent dans le Kison plusieurs cours d’eau. Méguiddo est à 12 km à l’est de Thaanac (Josué 12.21). C’est entre ces deux endroits qu’eut lieu la rencontre des deux armées.
Ils ne remportèrent… Sarcasme faisant ressortir le contraste entre leurs espérances et la réalité.
Pas une piece d’argent, littéralement un morceau, car dans ce temps l’argent n’était pas toujours monnayé et consistait souvent en lingots ou fragments de lingots.
Des cieux on combattit. Il se produisit un phénomène météorologique quelconque qui facilita la victoire des Israélites (Juges 4.15). Les étoiles représentent les puissances des cieux ; ce n’est pas par sa force seule qu’Israël a vaincu.
Le torrent du Kison, les a charriés. En fuyant, les vaincus rencontrèrent le Kison grossi par l’orage et furent précipités dans le fleuve. Ceux, dit Harper, qui ont été témoins des effets d’un orage de grêle fondant sur les flancs du Thabor et du Carmel et vu comment le Kison, qui en temps ordinaire n’est qu’un ruisseau, devient en une demi-heure une rivière mugissante et entraînant tout avec une force irrésistible, formant des marais et des sables mobiles dans lesquels les chevaux enfoncent jusqu’aux genoux, peuvent réaliser l’épouvantable confusion qui se produisit lorsque les pesants chariots cananéens et leurs attelages effrayés s’enfoncèrent dans ces bas-fonds.
Torrent des temps anciens : qui a déjà été témoin de tant de choses dans l’histoire des habitants du pays, mais qui n’a jamais rien vu de pareil.
Mon âme, avance hardiment ! Le poète se transporte en esprit au milieu de cette victoire et s’excite lui-même à ne pas laisser échapper les fuyards.
Fuite de Sisera ; malédiction de Méroz ; éloge de Jaël.
Le mot de fuite est en hébreu un mot sonore qui est ici répété de manière à donner une idée du galop des chevaux.
Méroz : localité inconnue par laquelle devait passer dans sa fuite le gros de l’armée vaincue et où elle aurait pu être arrêtée et détruite.
L’ange de l’Éternel : ce chef des armées d’en-haut assiste invisible à cette déroute, conformément à la prière du verset 13 et il maudit ceux qui, par leur lâcheté, ont empêché Israël de remporter tous les fruits de la victoire.
Au secours de l’Éternel : expression hardie qui fait sentir toute la responsabilité que Dieu accorde à l’homme dans l’accomplissement de son œuvre.
Jaël femme de Héber, le Kénien : en opposition aux lâches habitants de Méroz, Israélites sans doute, apparaît la figure vaillante de la Kénienne Jaël.
Il demanda de l’eau… Sisera n’est pas nommé ; chaque auditeur du cantique comprend qu’il s’agit du principal fugitif. Comme le dit Reuss, le poète parle à un public qui connaît encore tous les détails de l’affaire.
La coupe d’honneur : dans laquelle on offrait, dans les jours de fête le vin d’honneur.
S’affaisse… Ou bien il y a contradiction entre ce récit et Juges 4.21, ou bien il faut entendre ces expressions de la position gisante et inanimée du corps de Sisera sur la couche où l’avait tué Jaël ; voir le sens du verbe hébreu naphal dans Juges 3.25 ; Juges 7.12 ; 1 Samuel 5.3.
Pour finir, un amer sarcasme féminin à l’adresse de la mère de Sisera. Pourquoi la mère et non la femme ? On sait que là où règne la polygamie, l’épouse principale elle-même est moins que la mère.
Qu’y a-t-il… ? À mesure que le jour avance, de noirs pressentiments commencent à envahir le cœur de cette mère. Elle regarde, elle écoute, rien ne vient.
Les dames d’honneur cherchent à la tranquilliser.
Les plus avisées. Quelle ironie ! La fin du verset est une parenthèse qui exprime d’avance l’insuccès de cette consolation : elle les laisse dire.
C’est ici l’explication du retard donnée par les dames. Trois genres de personnes à qui le butin doit revenir :
Épilogue du cantique.
Qu’ainsi périssent… En terminant, le regard de Débora s’élève de cette victoire particulière à l’œuvre de Dieu en général ; elle demande que cette œuvre s’accomplisse tant par la destruction de ses ennemis, semblable à la mort de Sisera, que par la prospérité triomphante de ceux qui l’aiment et dont la victoire que viennent de remporter les combattants israélites doit être le prélude.
Épilogue historique des chapitres 4 et 5. Voir une formule pareille Juges 3.11 ; Juges 3.30.