Verset à verset Double colonne
Apparition de la Bête
Jean voit monter de la mer une bête à dix cornes ornées de diadèmes et à sept têtes qui portent chacune un nom de blasphème. Elle réunit les traits du léopard à ceux de l’ours et du lion. Le dragon lui donne son pouvoir (1, 2).
La Bête adorée par les hommes
Une de ses têtes, frappée d’une blessure mortelle, guérit. La terre entière, saisie d’admiration suit la Bête et adore le dragon en célébrant la puissance de la Bête (3, 4).
La Bête fait la guerre à Dieu et à ses saints
Elle parle avec arrogance ; il lui est permis d’agir pendant quarante-deux mois. Elle blasphème contre Dieu et le ciel ; il lui est donné de vaincre les saints. Elle est adorée de tous les hommes qui ne sont pas des rachetés de Christ (5-8).
Avertissement aux fidèles
Écouter. Danger de recourir aux armes charnelles. Montrer la patience et la foi des saints (9, 10).
La bête qui monte de la mer est en tout semblable au dragon. Cette ressemblance est voulue ; elle marque l’intime parenté des deux apparitions. La bête est une incarnation de Satan et de sa puissance. Elle représente le monde opposé à Dieu et soumis au « prince de ce monde ». Ce pouvoir hostile existait au temps de Jean et dans l’horizon historique qu’embrassait son regard sous la forme de l’empire romain.
La bête monte de la mer : pour un Oriental, un habitant de la Palestine ou de l’Asie Mineure, les armées et les gouverneurs envoyés par Rome venaient par la grande mer qui baigne ces contrées. D’autres, considérant que les quatre animaux de Daniel (Daniel 7) sortent également de la mer, voient dans la mer la multitude agitée des peuples, ce sens leur paraît indiqué aussi par l’interprétation que l’auteur donne (Apocalypse 17.15) des « eaux sur lesquelles la prostituée est assise ».
L’appellation : la bête, relève le matérialisme, la grossièreté, le caractère bestial de la puissance désignée : tout ce qui est humain lui est étranger. Les divers attributs de la bête sont fournis par la vision des quatre bêtes à Daniel 7.
Les dix cornes sont celles de la quatrième bête de Daniel. Elles apparaissent avant les têtes parce que la bête sort de la mer et que ses cornes sont visibles les premières.
Le texte reçu met les sept têtes avant les dix cornes. C’est une correction destinée à conformer notre texte à celui de Apocalypse 12.3. Les dix cornes sont surmontées de dix diadèmes : le sens de ce symbole sera expliqué Apocalypse 17.12, note. Ici elles figurent, comme dans Daniel, la force de la bête, force qui se manifeste dans un pouvoir royal.
Les sept têtes restent dans notre chapitre une énigme qui sera éclaircie à Apocalypse 17.10. Le nombre sept peut être résulté de l’addition des têtes des quatre bêtes de Daniel (Daniel 7.3-7). Il peut signifier aussi, selon la symbolique de l’Apocalypse, que la bête aspire à prendre la place de Dieu, à qui appartient le nombre sept, signe de la perfection.
Dans la description du dragon (Apocalypse 12.3), les têtes étaient ornées de diadèmes ici les diadèmes se trouvent sur les dix cornes de la bête et ses sept têtes portent chacune un nom de blasphème. Le pluriel des noms (Codex Sinaiticus, A, Q) ne change rien à l’image : sur chaque tête un nom.
Ce nom de blasphème écrit sur la tête (comparez Apocalypse 3.12) serait une allusion au titre de divin que l’on donnait à l’empereur, après sa mort et au culte qu’on lui rendait déjà de son vivant. Le refus de brûler de l’encens sur les autels érigés en son honneur fut souvent pour les chrétiens l’occasion de persécutions sanglantes.
Cette description de la bête combine les traits des trois premières bêtes de Daniel, dont la première ressemblait à un lion, la seconde à un ours, la troisième à un léopard. Ces traits, ajoutés aux dix cornes, signe caractéristique de la quatrième bête de Daniel, indiquent que la bête de l’Apocalypse, c’est-à-dire l’empire romain qu’elle figure réunit tous les caractères des monarchies représentées par les trois premières bêtes de Daniel.
Le dragon donna sa puissance à la bête. Jésus avait refusé l’empire du monde quand Satan le lui avait offert (Matthieu 4.8-10). Rome, dans son ambition de dominer toutes les nations, a fait alliance avec le prince de ce monde. C’est de lui qu’elle tient son pouvoir. Le dragon et la bête représentent les mêmes intérêts et reçoivent les mêmes hommages (verset 4).
Ce trait sera expliqué à Apocalypse 17.11, où il est dit que les sept têtes représentent sept empereurs romains. On voit généralement dans la tête blessée à mort Néron, qui se tua le 9 juin 68 et qui, d’après un bruit répandu dans l’empire et particulièrement accrédité parmi les Juifs d’orient, n’aurait pas été vraiment mort, mais se serait réfugié chez les Parthes, d’où il devait revenir un jour pour marcher contre Rome et reconquérir les hommages de toute la terre.
Des interprètes, qui ne peuvent admettre que Jean ait cru cette absurde fable, pensent pourtant qu’il y fait allusion pour lui substituer sa prophétie de l’avènement de l’Antéchrist. Tandis que les peuples crédules et superstitieux attendaient le retour de Néron en personne, Jean enseignerait aux chrétiens qu’un empereur devait s’élever, qui serait comme une réincarnation de Néron, ce monstre persécuteur qui a été, pour ses contemporains, un type de ce que sera a la fin des temps le grand adversaire, l’Antéchrist.
D’autres enfin font remarquer que, si l’une des sept têtes est comme blessée à mort, la blessure est infligée à la bête elle-même.
Les mots : sa plaie mortelle fut guérie, doivent, d’après le grec, être rapportés à la bête et non à la tête. Ils en concluent que le fait qui excite l’admiration de toute la terre, ce n’est pas le retour à la vie ou au pouvoir de l’empereur représenté par la tête blessée, mais la restauration de l’empire lui-même figuré par la bête.
Jean ferait allusion à l’ébranlement causé dans l’empire par le suicide de Néron. Avec lui disparaissait le dernier empereur de la famille de Jules César. Pendant un interrègne de plusieurs mois ; Galba, Othon et Vitellius, revêtirent la pourpre. On pouvait croire que l’empire romain allait s’effondrer. Grande fut l’admiration de toute la terre quand on le vit, sous la ferme et sage direction de Vespasien, se relever dans toute sa force (comparer verset 18, 2e note, Apocalypse 17.8 et suivants, notes).
La tête blessée à mort (grec comme égorgée à mort), qui représente l’Antéchrist rappelle l’Agneau qui apparaît lui aussi (Apocalypse 5.6) « comme immolé » (Même terme en grec). Comparer ci-dessous verset 8.
Ce qui provoque l’admiration et l’adoration de toute la terre, c’est un pouvoir spirituel (le dragon, Satan) qui s’incarne en quelque sorte dans une puissance politique (la bête).
Une telle association a été de tout temps admirée des hommes et trop souvent ambitionnée par l’Église elle-même. Les hommages des adorateurs de la bête s’expriment dans des termes qui rappellent ceux du cantique de Moïse (Exode 15.11).
Il lui fut donné par Dieu et non par Satan, comme le prouve le temps limité assigné à son activité.
Le trait : une bouche qui prononçait des paroles arrogantes, est pris dans Daniel 7.8.
Pour les quarante-deux mois, comparez Apocalypse 11.2, note.
Le texte le plus autorisé porte : il lui fut donné d’agir, grec de faire. Le texte reçu (Q) porte : de faire la guerre.
Au lieu de : agir pendant quarante-deux mois, on peut traduire : passer ou durer quarante-deux mois comparez Actes 20.3
La description des versets 6 et 7 rappelle Daniel 7.21 ; Daniel 7.25.
Le tabernacle de Dieu est dans le ciel ; il ne représente pas le temple de Jérusalem, ce terme est expliqué par les mots mis en apposition : ceux qui habitent dans le ciel. Dans le texte reçu (Q. versions), ces mots sont précédés de la conjonction et, qui les coordonne simplement au nom et au tabernacle.
Les habitants du ciel sont les anges ou les fidèles glorifiés, distincts des saints (verset 7), auxquels la bête a licence de faire la guerre.
Ces saints sont « le reste des enfants de la femme » (Apocalypse 12.17).
La guerre et la victoire remportée par la bête, n’est ni le massacre des chrétiens par Néron en 64, ni la prise de Jérusalem par les Romains en 70, mais une grande persécution qu’exercera l’Antéchrist à venir (comparer Apocalypse 11.7).
Grec : Tous les habitants de la terre duquel le nom… Ce pronom relatif au singulier (d’après C), quand il aurait fallu le pluriel, marque le caractère individuel de l’exclusion : chacun de ceux dont le nom n’avait pas été inscrit.
Dès la fondation du monde se rapporte à écrit dans le livre, d’après Apocalypse 17.8, plutôt qu’à immolé (1 Pierre 1.20).
Le livre de vie appartient à l’Agneau immolé, parce que c’est le Christ rédempteur qui procure le salut. Ceux qui ne le confessent pas sont des adorateurs de la bête.
Comparer Matthieu 13.9 et les exhortations aux sept Églises (Apocalypse 2.7, etc.).
Le texte de la première phrase du verset est assez incertain.
La plupart des éditeurs adoptent le texte de A, dans lequel le verbe mène est sous-entendu.
Les mots : en captivité, après s’en va, manquent dans Codex Sinaiticus, C, Q, etc.
Ces paroles annoncent la ruine certaine des persécuteurs, pour l’encouragement des persécutés (comparer Ésaïe 33.1 ; Genèse 9.6).
En même temps, ces derniers y trouvent un sérieux avertissement à ne pas employer les mêmes armes charnelles (comparez Matthieu 26.52) ; leurs seules armes légitimes sont indiquées ici : la foi et la patience. Celles-ci se fondent sur la certitude du triomphe de la justice divine.
La seconde bête et ses rapports avec la première
Jean la voit monter de la terre. Elle a deux cornes, comme un agneau, son langage est celui du dragon. Elle exerce l’autorité de la première bête sous ses yeux (11, 12a).
Son action sur les hommes
Elle les amène tous à adorer la première bête dont la blessure mortelle a été guérie. Elle les séduit par les prodiges qu’elle opère ; elle leur persuade de faire de la bête une image qu’elle fait parler ; et elle ordonne la mort de tous ceux qui n’adorent pas cette image (12b-18).
La marque et le nombre de la bête
Elle amène les hommes de toute condition à prendre une marque, sans laquelle ils ne pourront faire aucune transaction commerciale. Cette marque est le chiffre du nom de la bête. Celui qui a de l’intelligence est invité à le calculer. C’est 666 (16-18).
La première bête était montée de la mer (verset 1, note). Celle-ci monte de la terre, ce qui signifie, d’après les uns, Qu’elle était originaire d’orient ; c’est de l’orient, du continent asiatique que provenaient les magiciens et les propagateurs de religions et de superstitions qui envahirent Rome et l’empire à l’époque impériale.
D’après d’autres, la terre, opposée à la mer, image des foules agitées, désigne un état de choses plus stable, tel que le présentaient les peuples domptés et disciplinés par Rome.
Les deux cornes semblables à celles de l’Agneau ne sont pas un symbole de force et ne représentent pas deux puissances réunies, mais signifient seulement que la bête avait toute l’apparence extérieure d’un agneau.
Avec ce caractère contrastait le langage de la bête : elle parlait comme un dragon, comme le serpent (Apocalypse 12.9 ; Genèse 3.1 ; Genèse 3.13) ; elle proférait des paroles de ruse et de mensonge, propres à séduire les hommes, à introduire dans leurs âmes un venin mortel.
Ce contraste rappelle la description que Jésus faisait des faux prophètes (Matthieu 7.15). Et, en effet, la seconde bête reçoit dans la suite de l’Apocalypse (Apocalypse 16.13 ; Apocalypse 19.20 ; Apocalypse 20.10) le titre de « faux prophète ».
D’après cette description du rôle qu’elle joue, la seconde bête représente la classe des prêtres païens, spécialement ceux qui étaient attachés au culte des empereurs. Avec l’aide de magiciens et de faux prophètes de toute sorte (Actes 13.6 et suivants), ils entretenaient au sein des populations une vénération superstitieuse de la puissance impériale.
Comparer verset 3, note. Ici encore c’est la bête elle-même et non l’une de ses têtes seulement qui a été guérie de sa blessure mortelle et qui devient l’objet de l’adoration des habitants de la terre.
La bête opère des signes et des miracles, comme Jésus l’a prédit des faux prophètes et des faux messies qu’il annonçait (Matthieu 7.22 ; Matthieu 24.11 ; Matthieu 24.24 ; comparez 2 Thessaloniciens 2.9 ; 2 Thessaloniciens 2.10) ; elle imite les miracles d’Élie (1 Rois 18.38 ; 2 Rois 1.10) et des « deux témoins » (Apocalypse 1.5).
Comparer verset 3, note et verset 12. Ici il ne s’agit plus seulement d’une guérison de la bête, mais d’un retour à la vie.
La bête qui représente l’empire est de plus en plus identifiée avec l’empereur ; c’est ce qu’indique en grec l’emploi du pronom relatif masculin relié au mot bête, qui est neutre.
Un des faux miracles mentionnés au verset 13.
La peine de mort était infligée à ceux qui refusaient de rendre leur culte à l’effigie de l’empereur. Comparer Daniel 3.15.
On marquait au fer rouge les esclaves coupables de fautes graves.
Cette marque s’imprimait soit à la main, soit au front. Mais elle constituait une flétrissure, tandis que la marque prise par les adorateurs de la bête était un signe de dévotion ou d’association.
Elle imitait donc probablement les tatouages par lesquels les païens inscrivaient sur leurs corps les noms de leur dieu ou quelque formule magique. Chez les Hébreux mêmes, le prophète invite le fidèle à « prendre sur sa main la marque de l’Éternel ». Ésaïe 44.5.
La marque de la bête est l’opposé de la marque mise sur le front des serviteurs de Dieu (Apocalypse 7.3).
Acheter et vendre est l’exercice d’une liberté essentielle ; refuser à un homme cette liberté, c’est l’exclure de la société et lui rendre la vie impossible.
Ce droit élémentaire n’était accordé qu’à ceux qui avaient la marque, le nom de la bête, c’est-à-dire la marque qui consistait dans le nom de la bête, ou le nombre de son nom, c’est-à-dire son nom écrit en chiffre (verset 18, 2e note).
C’est ici que la sagesse est nécessaire (même tournure verset 10) ; mais aussi elle suffit ; il n’est pas besoin d’une révélation ; celui qui a de l’intelligence peut calculer le nombre de la bête, car c’est un nombre d’homme, un nombre comme les hommes en emploient, qui a sa valeur propre et non une portée symbolique.
Telle est, semble-t-il, l’explication la plus naturelle de cette expression obscure : un nombre d’homme (comparer Apocalypse 21.17).
L’avertissement qui est ainsi donné au lecteur n’était pas superflu, car il pouvait être tenté de donner à ce chiffre étrange, 666, une valeur purement symbolique, comme en ont beaucoup d’autres nombres de l’Apocalypse (Les 140000 rachetés, les 42 mois, etc.).
Des interprètes, encore aujourd’hui, trouvent dans ces trois 6 l’indication d’un triple effort manqué pour atteindre à 7, le nombre de la perfection.
Ce chiffre caractériserait la bête dans sa vaine tentative pour s’élever à la place de Dieu. Mais l’auteur nous dit que ce sens symbolique n’est pas le sens qu’il a voulu cacher dans le nombre mystérieux. Celui ci renferme le nom de la bête.
Un art pratiqué surtout par les Juifs, adonnés aux recherches de la cabale, s’appliquait à représenter un nom par un nombre égal à la somme de ses lettres. Les Hébreux ni les Grecs n’avaient de chiffres. Les lettres de leurs alphabets leur en tenaient lieu. Chacune représentait un nombre. En additionnant les lettres d’un nom selon leur valeur numérique, on arrivait à un total qui figurait ce nom. L’énigme à déchiffrer consistait à décomposer le chiffre de manière à retrouver les lettres du nom.
Si un nombre d’homme signifie un nombre ordinaire, ayant sa vapeur propre, le nom renfermé dans l’énigme peut être un nom désignant l’empire figuré par la bête ou un mot destiné à caractériser la bête.
Beaucoup d’exégètes donnent à l’avertissement : c’est un nombre d’homme, un sens qui limiterait les recherches du nom proposé. Ils traduisent : c’est le nombre d’un homme, c’est le nom propre d’un individu. On peut objecter que si telle avait été l’intention de l’auteur, il aurait dû écrire : c’est le nombre d’un certain homme. Il devait d’autant plus préciser que le lecteur ne s’attendait pas à avoir à chercher le nom d’un personnage particulier, puisqu’il s’agissait du nom de la bête et que celle-ci représente l’empire romain ; et, bien que l’auteur ait montré une tendance à identifier la bête avec un des empereurs (verset 14, note), c’est la notion collective de l’empire qui prédomine.
L’explication qui a réuni jusqu’ici les suffrages du plus grand nombre de savants de toutes les écoles, est celle qui trouve dans ce nombre le nom de l’empereur Néron, écrit en lettres hébraïques : NERON KESAR. On fait valoir en faveur de cette hypothèse qu’elle concorde avec la variante déjà indiquée par Irénée et qui se lit dans C, d’après laquelle le chiffre serait 616. Il suffit, en effet, pour obtenir ce total, de retrancher le N et de lire NERO KESAR, ce qui est également admissible. Le nom de César Néron doit être celui que Jean avait en vue, car, à Apocalypse 17, il désigne clairement cet empereur comme la tête frappée mortellement, et, dit-on, il identifie avec lui la bête, qui jusque-là représentait l’empire.
On peut objecter à cette interprétation tout d’abord qu’elle recourt à l’alphabet hébraïque. Il serait étrange que, dans un livre écrit en grec pour des Grecs, dans lequel tous les mots hébreux sont traduits, où l’auteur, pour indiquer le commencement et la fin, emploie la première et la dernière lettre de l’alphabet grec (Apocalypse 21.6), le nom énigmatique eût été calculé en lettres hébraïques. Or Irénée déjà (Adversus Hæres, V, 30) rapporte une tradition, d’après laquelle le calcul avait été établi en lettres grecques.
Une autre objection, de plus de portée encore, c’est que ce nom est le nom de la bête et non pas seulement de l’une de ses têtes c’est-à-dire un nom applicable à l’empire dans son ensemble et si l’empire devait être personnifié dans un de ses empereurs, c’eût été dans l’empereur vivant au moment où le livre fut écrit. D’ailleurs l’auteur cache ce nom par prudence, parce qu’il y aurait eu danger l’écrire en toutes lettres et non pour le vain plaisir de poser à ses lecteurs une puérile énigme. Or, quand l’Apocalypse fut écrite, Néron était mort ; Jean ne risquait plus grand-chose à stigmatiser son nom exécré.
Le nom qu’il enveloppe de mystère doit désigner un souverain présent ou prochain, ou, plutôt encore, il s’applique à la bête tout entière, à l’empire où Satan déploie sa puissance, pour le flétrir d’une épithète significative. Ce nom caractéristique, nous en avons perdu le secret ; les tentatives pour le retrouver resteront probablement toujours vaines. Un des essais les plus anciens, déjà cité par Irénée, explique le nombre 666 par l’adjectif lateinos, écrit en lettres grecques et qui signifie : « latin ». Mais on ne voit pas bien à quoi rapporter cet adjectif au masculin, ni comment il pourrait désigner l’empire romain. La langue même que nous appelons le latin était connue des Grecs comme le « romain » (Luc 23.38 ; Jean 19.20). Et puis surtout c’eût été là une désignation par trop insignifiante, qu’il ne valait pas la peine de voiler par des combinaisons cabalistiques.
On ne saurait prétendre, en effet, que l’auteur devait, sans se trahir, faire deviner à ses lecteurs que la bête était Rome. Il les identifie si clairement à Apocalypse 17, qu’il n’avait pas de raison de dissimuler leur relation dans notre passage. On peut faire les mêmes objections à l’explication qui trouve dans le nombre 666 le mot hébreu : Romiith, romain.
Nous passons sous silence bien d’autres hypothèses. Quelques-unes sont sans rapport avec la bête de l’Apocalypse : 666 donne le nom d’Adonikam, qui signifie : « le Seigneur se lève » et qui est cité (Esdras 2.13) comme le père de six cent soixante-six Juifs revenus de l’exil ; ou encore 666 correspond à la somme des lettres du nom de Nimrod, fils de Kousch, écrit en hébreu (Genèse 10.8 ; Genèse 10.9). On ne voit pas pourquoi la bête ou l’Antéchrist recevraient l’un ou l’autre de ces noms.