Verset à verset Double colonne
Après avoir décrit le jugement terrible dont l’Éternel, dans sa colère, a décrété de frapper Ninive, le prophète, s’adresse directement à cette ville :
Ville de sang. Nahum explique ce qu’il entendait par l’image de l’antre du lion, Nahum 2.11-13.
Sang, fraude, violence, rapines, voilà le résumé de l’histoire de Ninive. Les annales assyriennes nous font voir que jamais peuple ne fut aussi rapace dans ses conquêtes, aussi tyrannique dans son gouvernement, aussi cruel dans ses guerres et dans la répression des révoltes. La seule résistance de la part d’une ville attaquée était traitée comme un crime de lèse-majesté et punie avec la dernière barbarie ; les chefs de la ville étaient écorchés vifs ou empalés.
Le prophète ne peut énumérer ces crimes sans que la vision du jugement se reproduise devant ses yeux en quelques traits rapides ; c’est d’abord le bruit lointain des fouets et des roues ; ensuite l’armée apparaît, la bataille s’engage ; puis le prophète ne voit plus que des cadavres.
La prostituée. L’idolâtrie est fréquemment appelée une prostitution par les prophètes ; mais il s’agit dans ces passages du peuple d’Israël qui abandonne son Dieu pour suivre les idoles. Appliqué à Ninive, ville païenne, ce terme ne peut avoir le même sens ; il désigne à la fois la fascination que Ninive exerçait sur les peuples par le prestige de sa puissance et la perfidie avec laquelle elle traitait ceux qui avaient le malheur de se laisser gagner par elle.
Qui vendait les nations. Quand un pays, séduit par ses enchantements, se livre à elle, elle le trahit sans pitié et vend ses habitants comme esclaves.
À toi maintenant. La prostituée sera traitée en prostituée : avec le dernier mépris. Dépouillée de ses vêtements luxueux, elle sera insultée et offerte en spectacle au monde dans sa honte.
Qui la plaindra ? Comme tous les peuples ont eu à souffrir de ses perfidies, ils l’abandonneront tous et se réjouiront de sa chute.
Nahum établit la possibilité d’un tel sort pour Ninive, en rappelant ce qui est arrivé à la seule ville qui pût rivaliser avec elle. No-Amon (voir l’introduction à ce livre pour le fait historique auquel Nahum fait allusion). Nous voyons par Jérémie 46.25 que No était la ville principale de l’Égypte et par Ézéchiel 30.11-16 qu’elle était située dans la Haute-Égypte. Ce doit donc être la capitale de la Haute-Égypte, Ta-Ape (d’où Thèbes), que les Égyptiens eux-mêmes appellent en langage religieux Nu-Amen : le lieu d’Amon et les Grecs, Diospolis, la ville de Jupiter. Cette ville très ancienne fut la principale résidence des rois les plus glorieux qu’ait eus l’Égypte et en particulier des Ramsès de la dix-neuvième dynastie. Son nom même est aujourd’hui inconnu aux habitants de cette contrée ; mais les ruines que l’on trouve près des villages de Luksor et de Karnac attestent l’ancienne magnificence de la Thèbes aux cent portes.
Au milieu des fleuves : du Nil et de ses canaux.
Une forteresse des mers ; l’immense nappe d’eau du Nil porte également le nom de mer dans Ésaïe 19.5. Le prophète insiste sur l’étendue des eaux qui protégeaient Thèbes et qui n’ont pu la préserver de son sort, pour faire comprendre aux Ninivites qu’ils s’abuseraient en croyant que les fossés de leurs fortifications les mettent à l’abri du danger (voir Nahum 2.7).
Thèbes avait, elle aussi, des soldats innombrables pour la défendre ; c’étaient d’abord les troupes nationales, les Éthiopiens (Cus) et les Égyptiens ; puis leurs auxiliaires, les peuples de la côte septentrionale de l’Afrique, Put et spécialement les Libyens proprement dits.
Tes alliés : avec sa vivacité de langage habituelle. Nahum s’adresse directement à Thèbes et la prend à témoin.
Nahum décrit en quelques traits saisissants le sort terrible d’une ville prise d’assaut ; il ne dit pas que Thèbes ait été détruite et en effet cette ville, sans reprendre son éclat passé, subsista jusqu’au temps des Ptolémées.
Toi aussi correspond à elle aussi du verset précédent ; le sort de Thèbes est un présage de celui qui attend Ninive.
Tu seras enivrée, tu boiras la coupe de la colère divine et tu en perdras les sens (Habakuk 2.16 ; Ésaïe 51.20 ; Abdias 1.16). En face du danger, Ninive perdra conscience d’elle-même.
Toutes tes places fortes. Une multitude de châteaux forts bâtis en dedans de l’enceinte fortifiée défendaient de tous côtés l’abord de Ninive.
Des figues mûres ; c’est le moment de les cueillir (Ésaïe 28.4) ; l’Assyrie est, elle aussi, mûre pour le jugement, l’ennemi n’aura qu’à se présenter et les forteresses se rendront à lui.
Des femmes : la faiblesse, l’impuissance des guerriers, plutôt que leur lâcheté ; une fatalité pèse maintenant sur cette nation militaire entre toutes (voir Nahum 2.5). Les Grecs, dans leurs légendes sur Sardanapale, avaient gardé le souvenir du caractère efféminé de la dernière génération assyrienne.
Les portes de ton pays, les passages des montagnes.
Les barres, c’est-à-dire les forteresses.
Ninive, voyant tout le pays déjà envahi, songe enfin à se préparer pour le siège ; on remplit d’eau les citernes, on répare les murs avec des briques séchées soit au soleil, soit au four ; mais il est trop tard.
L’image de la sauterelle rend difficile ce passage qui contient en outre quelques termes inusités. La sauterelle porte ici trois noms dont nous avons déjà expliqué deux dans Joël 1.4 ; jélek, c’est la nymphe ; arbé, c’est la larve ; quant à gôb, on l’entend des jeunes sauterelles d’une manière générale. La sauterelle est citée dans notre passage tout à la fois pour sa multitude et la rapidité avec laquelle elle disparaît. Ninive sera dévorée, ses maisons par le feu, ses habitants par l’épée.
Comme la sauterelle (jélek). On peut entendre à première vue : Comme la sauterelle dévore. Ce sont alors les Mèdes qui sont comparés à la sauterelle. Ou bien on peut entendre : Comme la sauterelle est dévorée. Ce sont dans ce cas les Ninivites que représentent les sauterelles. Il y aurait allusion à ces grands feux que l’on allume parfois pour se défaire de ces insectes. Dans ce qui suit l’image de la sauterelle est appliquée aux Ninivites au double point de vue du nombre et de la vélocité. C’est ce qui parle plutôt en faveur du second sens.
Ninive était une ville de commerce d’une très grande importance ; sa situation exceptionnelle, à l’endroit où les routes des caravanes de l’occident rencontrent le Tigre devenu navigable, y avait attiré des négociants du monde entier ; ils donnaient par leur nombre une apparence de force à la ville ; mais dès que l’ennemi surgit, ils prennent leur vol et disparaissent comme la sauterelle (jélek) au moment où ses ailes se déploient (comparez Nahum 2.8).
Tes princes et tes chefs. Nous avons conservé la traduction ancienne de ces deux mots, dont l’un ne se retrouve nulle part ailleurs et l’autre seulement Jérémie 51.27. On est donc réduit à des suppositions sur leur sens. Il est possible que le premier de ces termes désigne les soldats de l’armée plutôt que les généraux, ce qui convient mieux à l’image de sauterelles amoncelées ; le second semble être une dénomination militaire assyrienne dont nous ignorons la valeur (peut-être celui qui écrit, c’est-à-dire qui enrôle les soldats).
Comme de jeunes sauterelles. La forme employée désigne un amoncellement ; elles sont les unes sur les autres ; quand arrive un jour froid, elles se rassemblent partout ou elles trouvent un abri, sur un mur, sur une haie ; mais dès qu’un rayon du soleil vient les réchauffer, elles s’envolent, sans que personne sache ce qu’elles sont devenues ; c’est ainsi que s’évanouira l’armée assyrienne.
Tes pasteurs… tes hommes forts, tes généraux, sont tués ; ton peuple est dispersé bien loin dans les montagnes ; la situation est désespérée.
Sur qui… ? Cette question résume en un trait final tous les crimes qui ont enflammé la colère de l’Éternel (chapitre 1) et provoqué ce jugement terrible (chapitre 2).
Nous avons fort peu de détails sur les derniers temps du royaume d’Assyrie ; nous avons vu dans l’introduction qu’Assurbanipal sut encore, par son énergie et sa cruauté, réprimer les révoltes des provinces. Il n’en continua pas moins à écraser d’impôt ses sujets pour satisfaire ses goûts fastueux ; il construisit des palais magnifiques, et, c’est dans celui de Ninive que l’on a trouvé cette bibliothèque assyrienne qui est aujourd’hui un des plus précieux trésors du Musée britannique.
Mais la décadence, retardée par son énergie, n’en devait être que plus rapide ; les inscriptions sont naturellement muettes sur ces revers de l’Assyrie, l’Égypte s’affranchit de son joug et bientôt un autre ennemi surgit à l’horizon. C’étaient les Mèdes, qui depuis peu étaient arrivés à former un État. Déjocès réunit ces tribus nomades et son fils Phraorte se hasarda à attaquer leurs anciens maîtres ; mais il fut battu et tué devant Ninive (635 ou 625). Nous ne savons pas si ce fut encore par Assurbanipal ou par son faible successeur, Assur-etel-ilani. Ce roi, le dernier des souverains ninivites, n’a laissé que deux inscriptions qui nous soient parvenues ; il y parle d’une restauration du temple de Nébo et de la construction de son palais à Nimroud ; mais ce palais ne rappelle plus le luxe de ceux de ses ancêtres ; c’est un bâtiment misérable qui atteste la décadence de l’empire. Cyaxare, le fils de Phraorte, se hâta de venger la mort de son père ; il s’était avancé avec son armée victorieuse jusque sous les murs de Ninive, quand l’invasion des Scythes le contraignit à lever le siège et à retourner en toute hâte dans ses États. Ces barbares ravagèrent l’Asie occidentale pendant bien des années ; dès qu’il vit le danger éloigné, Cyaxare revint à la charge avec son allié Nabopolassar, vice-roi de Babylone ; le siège de Ninive, si nous en croyons les historiens grecs, dura trois ans et la ville ne fut prise qu’à la suite d’une inondation du Tigre qui emporta les remparts sur une longueur de vingt stades. Le roi, désespéré se serait brûlé dans son palais. C’était en 606 (d’après d’autres, 608).
C’est ainsi que fut anéantie la grande ville de Ninive et, avec elle, l’empire et le peuple assyriens dont l’histoire ne fait plus jamais aucune mention. Ce désastre eut un retentissement immense dont nous trouvons l’écho dans les prophéties d’Ézéchiel (Ézéchiel 31.11-16 ; Ézéchiel 32.22-23). La destruction fut si radicale que, deux siècles plus tard, Xénophon traversa ces ruines sans savoir quel en était le nom, ni quel peuple les avait habitées. Les âges suivants ignorèrent l’emplacement où fut Ninive et il en a été ainsi jusqu’à notre génération ; les fouilles entreprises par les Anglais et les Français ont remis au jour les restes magnifiques de la ville qui avait régné sur le monde, mais que l’Éternel avait frappée du jugement de sa colère.